La lettre datant du 30 juin 2018 dévoile l'attitude assez sceptique de la direction du fonds vis-à-vis du «rétablissement sans précédent» de l'économie mondiale après la crise financière mondiale et ses craintes quant au sort de l'ordre mondial si favorable pour les affaires de la famille jusqu'à présent.
Jacob Rothschild, qui a notamment pour partenaires d'affaires des personnalités comme Warren Buffet et Henry Kissinger, pointe depuis longtemps la vulnérabilité de l'économie mondiale et critique activement les agissements des banques centrales occidentales qui ont remédié aux conséquences de la crise financière mondiale en faisant marcher la planche à billets. En 2016, il écrivait que les banques centrales organisaient «la plus sérieuse expérience de politique monétaire» de toute l'histoire de l'humanité, et soulignait que personne ne pouvait prédire les «conséquences non prémédités» de cette expérience.
Curieusement, Donald Trump et Jacob Rothschild critiquent l'état de l'économie occidentale pratiquement dans les mêmes termes, sauf que l'aristocrate britannique n'est manifestement pas emballé par les actions du Président américain. Il convient de souligner également qu'en faisant abstraction de l'origine des critiques, le principal reproche formulé par le dirigeant de RIT Capital Partners vis-à-vis des marchés financiers occidentaux coïncide à la virgule près avec celle formulée par certains experts russes, accusés de «parti pris par rapport aux perspectives des USA».
Le reproche est simple: une bulle financière classique est gonflée sur les marchés américains, et le prix des actifs américains, des actions aux obligations en passant par la monnaie, est surélevé. Dans les périodes particulièrement dangereuses, par exemple en 2016, quand, selon Rothschild, le monde se trouvait dans la situation la plus risquée «depuis la Seconde Guerre mondiale», son fonds a même converti une partie de ses actifs en or.
En 2016, Rothschild écrivait aux investisseurs qu'il était préoccupé par «l'agression et l'expansion russe». Il déclare aujourd'hui être inquiet du risque auquel est confronté l'ordre mondial. Ce risque étant que, contrairement aux anciennes crises lors desquelles les grandes puissances coopéraient entre elles d'une manière ou d'une autre, cette fois leur coopération «paraît bien plus difficile». C'est une allusion directe au fait que le jeu à qui perd-gagne et les spectacles pour le public sont terminés, et qu'un véritable conflit a commencé entre les pôles de force mondiaux. Pas étonnant que Jacob Rothschild soit inquiet. Cependant, dans cette même lettre, on voit qu'il mise tout de même sur la victoire de la Chine, ou du moins sur un match nul bénéfique à Pékin: «Dans ce contexte, nous prenons conscience du potentiel économique en Asie, notamment en Chine, ainsi que du potentiel de développement des innovations et des technologies», écrit-il, en expliquant aux investisseurs sa tactique et sa stratégie pour cette période qu'il qualifie lui-même d'«imprévisible».
Si l'on se penche sur la liste concrète des actifs dans lesquels investit le fonds RIT Capital Partners plutôt que de se fier aux seules déclarations retentissantes, l'image de sa tactique et de sa stratégie devient encore plus intéressante. Il s'avère que le fonds Rothschild investit effectivement beaucoup d'argent en Asie: dans son portefeuille se trouvent des investissements dans d'autres fonds spécialisés dans les actifs chinois, japonais et indiens. Sans oublier les compagnies américaines: le fonds préfère essentiellement investir dans celles qui travaillent dans les technologies de l'information (par exemple, il a beaucoup investi dans le service populaire Dropbox et dans le groupe Alphabet-Google), les biotechnologies de pointe, ainsi que les routes ferroviaires des USA (en d'autres termes, il mise sur l'infrastructure). Il aurait pu sembler qu'après 2016, quand Rothschild était très déçu et inquiet du comportement de la Russie sur la scène internationale, les actifs russes avaient cessé d'être attractifs pour ses investissements, mais ce n'est pas tout à fait vrai. En regardant «sous le capot» du fonds BlackRock Emerging Markets Fund, où a été également investi l'argent de RIT Capital Partners, on trouve notamment des actions des compagnies russes Sberbank et Novatec.
Difficile de ne pas être d'accord avec l'approche du fonds de Rothschild en matière d'investissements: miser sur l'économie numérique à travers les technologies de l'information, sur les biotechnologies et l'énergie traditionnelle (le portefeuille du RIT Capital Partners contient de nombreux investissements indirects dans les compagnies pétrolières) est un bon choix des priorités pour survivre et même prospérer dans les conditions de turbulence et d'incertitude globale. Dans ce sens, la Russie est un pays d'opportunités uniques. D'un côté, elle possède le potentiel pour les percées technologies, de l'autre c'est effectivement une superpuissance énergétique. Et c'est une bonne chose que Rothschild soit si préoccupé par la fracture de l'ordre mondial et par l'expansion russe. L'ordre mondial actuel peut et doit même être brisé, et il existe une chance historique réelle pour cela.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.