La Belgique tape les journalistes au porte-monnaie et s’attire les foudres de la presse

© AFP 2023 JOHN THYSLe bâtiment Europe, siège du Conseil de l'UE, à Bruxelles
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Les journalistes belges et étrangers accrédités dans le plat pays ont eu la désagréable surprise d’apprendre qu’ils devront passer à la caisse pour assister aux sommets européens à Bruxelles.

Les autorités belges demandent 50 euros par semestre pour couvrir les frais générés par les contrôles de sécurité. La presse est vent debout. Contre cette mesure.

«Violation de la liberté d'informer», «image désastreuse», «manquement aux obligations internationales», les critiques pleuvent sur le gouvernement belge.

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Pourquoi des journalises seront obligés de payer 50EUR pour couvrir les sommets européens?
Les journalistes présents à Bruxelles ont récemment appris qu'ils devront payer pour couvrir les sommets européens. Et ils ne décolèrent pas. «Depuis le 1er juin 2018, une nouvelle législation belge prévoit un droit de 50 euros à la charge des employeurs de toute personne faisant l'objet d'un contrôle de sécurité effectué par les autorités belges. Ce contrôle a actuellement une validité de 6 mois. Une facture sera envoyée à votre employeur par les autorités belges», peut-on lire sur le site du Conseil européen. C'est en renouvelant leurs accréditations semestrielles pour les sommets européens que les reporters ont appris la désagréable nouvelle. Concernant les journalistes et les techniciens non basés en Belgique et qui viendront des États membres pour suivre les sommets, c'est le pays qui assure la présidence de l'UE (l'Autriche depuis le 1er juin Ndlr) qui prendra en charge le montant de la taxe.

La mesure, qui sera effective à compter du prochain sommet des chefs d'État et de gouvernement le 18 octobre, a pour but de couvrir les dépenses liées aux contrôles de sécurité imposés pour accéder aux «lieux sensibles», dont fait évidemment partie le bâtiment abritant les réunions semestrielles des dirigeants des 28 à Bruxelles.

​«La Loi relative à la classification et aux habilitations, attestations et avis de sécurité du 11 décembre 1998 a été amendée le 1er juin 2018 faisant suite à un ensemble de mesures prises par le gouvernement dans la lutte contre le terrorisme», a précisé à Sputnik Matthieu Branders, porte-parole du ministère belge des Affaires étrangères.

«Il y a beaucoup d'intox sur cette affaire. Premièrement, ce n'est pas une taxe, mais une contribution financière. Deuxièmement, elle n'est pas adressée spécifiquement aux journalistes, mais à plusieurs professions sensibles. Les individus qui travaillent dans le nucléaire sont par exemple concernés», précise le porte-parole.»

D'après lui, les attentats qui ont secoué la Belgique, dont ceux du 22 mars 2016 à Bruxelles qui ont fait 32 morts et 340 blessés, ont totalement redessiné les besoins en matière de sécurité et les procédures qui les accompagnent:

«Vous n'êtes pas sans savoir que la Belgique a récemment été touchée par des actes terroristes très graves et que ce contexte tendu a fait exploser les demandes en matière de sécurité. Les lieux sensibles bénéficient d'une sécurité renforcée et les procédures sont plus lourdes. Nous avions besoin de pouvoir faire face. De plus, la somme est forfaitaire et ne couvre pas l'ensemble du coût.»

Matthieu Branders précise que «la possibilité de demander une contrepartie financière pour la délivrance d'attestations et d'avis de sécurité était prévue dès l'origine dans la législation».
Des explications qui ne convainquent pas la presse. Contacté par Sputnik France, Ricardo Gutiérrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes, vise les autorités:

«Nous en voulons au gouvernement. C'est un projet de modification de loi à son initiative. Je ne suis même pas sûr que les députés savaient ce qu'ils votaient précisément. D'ailleurs, je me suis penché sur les débats et à aucun moment il n'est fait mention de la presse. Soit le gouvernement savait que les journalistes seraient impactés et c'est délibérément qu'il a décidé de ne pas agir en concertation avec la presse, soit il ne savait pas et a fait preuve d'incompétence.»

S'il conçoit le besoin sécuritaire, il demande que les journalistes soient exemptés:

«Je comprends que le contexte sécuritaire tendu force à plus de prudence. Si un lobbyiste de l'industrie pharmaceutique veut se rendre à un sommet européen et que l'on doit enquêter sur lui, ça ne me choquerait pas qu'il participe financièrement. Mais la presse, c'est différent. La loi exempte déjà un certain nombre de professions d'intérêt public comme les policiers. Les journalistes informent la population. C'est un métier d'intérêt public. Nous demandons donc qu'ils soient ajoutés à la liste.»

Les autorités prêtes à écouter

L'Association Générale des Journalistes professionnels de Belgique (AGJPB) a interpellé le gouvernement. Sputnik France a pu se procurer la lettre que les responsables de l'organisation ont adressée à plusieurs membres de l'exécutif, dont le Premier ministre Charles Michel.

«Demander une contribution financière viole en outre la liberté d'informer. Nous nous opposons à l'instauration d'une rétribution que le journaliste ou son employeur devrait payer pour ces contrôles de sécurité. Cette mesure établirait un précédent dangereux. Nulle part ailleurs en démocratie, les journalistes ne doivent payer pour obtenir une accréditation. Les journalistes free-lance, qui n'ont pas d'employeur pour prendre ce coût en charge, risquent de subir cette rétribution comme un frein à leur activité», peut-on notamment y lire.

© PhotoLa lettre que les responsables de l’organisation ont adressée à plusieurs membres de l’exécutif, dont le Premier ministre Charles Michel.
La lettre que les responsables de l’organisation ont adressée à plusieurs membres de l’exécutif, dont le Premier ministre Charles Michel. - Sputnik Afrique
La lettre que les responsables de l’organisation ont adressée à plusieurs membres de l’exécutif, dont le Premier ministre Charles Michel.

L'association s'inquiète également de l'image projetée par la Belgique à l'international:

«Nous tenons aussi à vous rappeler l'image désastreuse que cette procédure donnerait de la Belgique auprès des centaines de journalistes concernés. Notre pays y perdrait beaucoup en matière de liberté de la presse.»

Des craintes partagées par Ricardo Gutiérrez, qui rappelle que le plat pays est signataire de la Convention européenne des droits de l'Homme:

«La Belgique est censée faciliter l'accès des journalistes, afin qu'ils produisent une information de qualité. En votant cette loi, elle a manqué à ses obligations internationales. Et quelle image le pays dégage à l'international! Celle d'une nation qui taxe les journalistes.»

Les opposants au texte se sont trouvé un soutien de poids en la personne des membres de la Commission européenne. L'organe bruxellois a critiqué la décision du gouvernement belge le 1er août. «L'idée ne nous plaît pas», a déclaré la porte-parole adjointe de la Commission, Mina Andreeva, avant d'ajouter: «La Commission, en tant que gardienne des traités, peut être saisie de plaintes et elle les examinera sur la base du droit».

La balle est donc dans le camp des autorités belges. Ces dernières ne ferment pas la porte aux discussions. Elles ont même fait un premier pas vers la presse.

«La mise en œuvre des nouvelles mesures sera évaluée et pourra, si nécessaire, être ajustée dans l'avenir. Les préoccupations exprimées par la presse seront donc soumises dans ce cadre au collège de l'ANS», nous a expliqué Matthieu Branders.

L'ANS est une autorité collégiale, qui réunit le SPF (service public fédéral, équivalent de nos ministères) Finances, le Ministère de la Défense, le SPF Intérieur (contrôle nucléaire, police fédérale, centre de crise), le SPF Économie (Direction Générale des Analyses économiques et de l'Économie internationale), le SPF Mobilité et Transports (DG Transport aérien) et le SPF Justice (Sûreté de l'État).

À en croire les données du Conseil européen, environ 1.250 journalistes s'accréditent pour les sommets européens. 700 d'entre eux sont des Belges ou des étrangers en poste en Belgique.

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