Pékin achète sur le Vieux Continent des sites d'infrastructure clés et investit si activement en Europe de l'Est que Bruxelles tire la sonnette d'alarme.
Des achats méthodiques
La Tchéquie, la Hongrie, la Grèce et d'autres pays de l'Europe regardent la Chine avec beaucoup d'espoir.
«Les milieux politiques de l'Allemagne et d'autres pays d'Europe occidentale s'inquiètent de plus en plus de l'acquisition systématique par la Chine de sites d'infrastructure stratégiques», indique Alexander Rahr, directeur scientifique du Forum germano-russe.
En effet, ces dernières années la Chine est devenue la propriétaire ou copropriétaire de plusieurs ports maritimes en Grèce, en Espagne, en Belgique, aux Pays-Bas et en Allemagne. Ainsi que d'aéroports, de systèmes énergétiques, de grandes entreprises industrielles et agroindustrielles. Par exemple, l'an dernier, le groupe chinois ChenChina a acheté pour 43 milliards d'euros le groupe suisse agroalimentaire Syngenta. Berlin est conscient que de cette manière Pékin s'ouvre un accès aux technologies occidentales avancées.
En six ans le montant des investissements chinois directs dans l'économie européenne a été multiplié par presque 22, en passant de 1,6 milliard à 35 milliards d'euros. L'an dernier, Bruxelles a durci les exigences relatives aux investissements chinois, et cet indice a diminué de 12%. Mais seulement en ce qui concerne les pays occidentaux: les échanges de la Chine avec l'Europe centrale et de l'Est ont augmenté de presque 25% au cours de la même période.
La peur face au dragon chinois
La «conquête de l'Europe» par la Chine suscite différentes émotions dans la presse occidentale — de la panique à l'exaltation. Certains effraient par l'«expansion de la Chine», d'autres comptent sur le développement économique et l'augmentation des emplois. Comme toujours, la vérité est quelque part entre les deux, affirme l'ex-Premier ministre slovaque Jan Carnogursky.
«Le plus souvent les campagnes médiatiques autour des investissements chinois résultent des querelles politiques intérieures. Par exemple, la puissante attaque des médias tchèques pour renforcer les relations entre la Tchéquie et la Chine était en réalité dirigée uniquement contre le président Milos Zeman», explique le politicien.
Ces derniers temps, la République Tchèque et la Chine se sont nettement rapprochées. A tel point que dans les rues des villes tchèques il est possible de voir des affiches publicitaires non seulement de produits chinois, mais également de la monnaie yuan.
«En arrivant dans un pays les entreprises chinoises poursuivent avant tout leurs propres intérêts. Pour la construction des sites d'infrastructure les entreprises cherchent avant tout à employer des citoyens chinois», affirme le politologue hongrois Gabor Stier.
L'argent contre les principes?
La Chine arrive avec investissements en Europe de l'Est parce qu'ils y sont sollicités. Alors que depuis quelques temps l'Occident ne cherche pas à accroître les investissements dans ses voisins moins aisés. De plus, il évoque sérieusement le concept d'«Europe à deux vitesses» séparant les pays prospères des voisins qui ne le sont pas. Sans oublier un autre facteur.
«L'Europe de l'Est affiche le niveau le plus bas de screening — c'est-à-dire de vérification des sources d'investissement. Par endroits elle est complètement absente. Or dans les pays occidentaux le screening est minutieux», explique Alexeï Maslov.
Sachant que les principes d'affaires avec lesquels Pékin arrive en Europe sont très différents de ceux de l'UE. L'attitude désinvolte envers les droits à la propriété intellectuelle, l'admissibilité du copiage de tous les modèles industriels, la fermeture aux investissements occidentaux de la Chine elle-même — ce ne sont que quelques problèmes. L'Allemagne est le protecteur le plus fervent des valeurs d'affaires européennes.
«La question est seulement de savoir qui sera plus fort: les principes ou l'argent. Ce sera manifestement l'argent, parce qu'aujourd'hui, quand certains pays renoncent à l'idée de la mondialisation au profit des intérêts nationaux, certains principes généraux passent d'eux-mêmes en arrière-plan en cédant la place au pragmatisme», estime Alexander Rahr.
L'odeur du yuan
Début juin, Emmanuel Macron s'est fermement prononcé contre la «loi de la jungle» dans les relations économiques internationales, en faisant principalement allusion à l'activité d'investissement de la Chine en Europe. Le Président français a suggéré de durcir le contrôle des grands investissements étrangers dans les pays de l'UE. Il a été soutenu en Allemagne.
Les paroles sont une chose, mais la Chine poursuit son action en conquérant le marché européen. A cela contribuent plusieurs circonstances, notamment la guerre commerciale déclenchée par les USA aussi bien contre la Chine que contre l'Europe. L'affaiblissement de l'unité européenne à cause du problème migratoire et les contradictions de longue date entre les pays riches et pauvres du Vieux Continent jouent également en faveur de la Chine.
La résistance qu'essaie d'opposer l'Occident à la pression de l'économie chinoise en rapide croissance est probablement temporaire: même si l'argent chinois a une certaine odeur, cela reste de l'argent. Or les riches en ont besoin tout autant que les pauvres.