L'esprit de solidarité régnant entre Maghrébins, malgré le «bon» voisinage historique entre Algériens et Marocains, s'est vérifié à propos de cet enjeu footballistique. Pourquoi, dès lors, ne pas faire du football la véritable locomotive de l'intégration maghrébine? C'est en tout cas la proposition du Think Tank algérien, Nabni, (Notre Algérie bâtie sur de nouvelles idées), pour pallier la léthargie des institutions maghrébines, c'est-à-dire, l'Union du Maghreb Arabe (UMA).
Dans sa dernière publication, «Le football pour relancer la dynamique d'intégration régionale maghrébine?», en date du 30 juin dernier, et relayée depuis, par des médias algériens, Nabni remet en selle l'idée d'une candidature maghrébine commune pour accueillir la Coupe du Monde 2030, avant de la dépasser au profit d'une idée «bien plus ambitieuse et bien plus bénéfique».
«L'organisation d'un championnat de football professionnel réunissant les meilleurs clubs algériens, marocains et tunisiens peut naître de la volonté des trois pays sans nécessité de candidater auprès de la FIFA. Rayonnant sur une zone de plus de 100 millions d'habitants [le championnat maghrébin, ndlr] aura un effet catalyseur sur la dynamique d'intégration régionale. Ce projet a d'autant plus de chance de réussir qu'il suscitera une forte adhésion des populations maghrébines.»
à la base de cette ambition, un constat, celui du «manque d'attractivité et de compétitivité» des différents championnats maghrébins, qui «ne parviennent pas à retenir leurs meilleurs joueurs».
«Le niveau économique très faible des clubs maghrébins s'explique par des sources contenues de revenus provenant des contrats de sponsoring, des droits télévisuels qui ne sont jamais exportés et du niveau relativement bas de fréquentation des stades. À cela s'ajoute leur dépendance à quelques grandes fortunes ou monopoles d'État qui les maintiennent sous perfusion au travers d'une gouvernance opaque et paternaliste», décrit le rapport de Nabni.
Le schéma proposé entend tirer profit des potentialités dont regorge le marché maghrébin, où le football est un véritable phénomène de masse, pour mettre en place «une ligue unifiée qui regroupera les clubs les plus prestigieux et les plus capables de répondre à un cahier des charges dûment établi accordant une prime à l'histoire, au palmarès récent ainsi qu'aux infrastructures de standing susceptibles d'abriter des matches internationaux avec une exposition médiatique mondiale.»
Le modèle économique, lui, s'inspirerait «de ce qui avait été imaginé par le géant pétrolier et gazier russe Gazprom pour le financement de la ligue de football Panrusse», à savoir, l'implication d'un consortium de grandes entreprises maghrébines privées et publiques et des fonds d'investissement pour financer, au moins, les premières saisons du championnat. Les auteurs du rapport comptent sur un modèle économique pérenne qui s'installera, par la suite, à la faveur de la hausse des droits télévisuels et de l'intérêt porté par les annonceurs et sponsors en tout genre, attirés par
«une exposition et une couverture médiatique internationale, un meilleur spectacle, des taux de remplissage des stades élevés.»
Objectif ultime, une meilleure intégration par le football. De la liberté de circulation des personnes, rendue nécessaire par le déplacement des supporters à l'intérieur de l'espace maghrébin jusqu'aux mesures d'homogénéité et d'intégration financière, comme conséquence du développement du marché de transfert des joueurs. Par ailleurs,
«L'existence d'une Ligue unifiée diminuera les ardeurs nationalistes et renforcera la fraternité des peuples maghrébins. Comment ne pas imaginer que des habitants d'Oujda n'en viennent pas à supporter le Mouloudia d'Oran? ou que les Souk Ahrassiens [habitants de Souk Ahras, ndlr] ne deviennent pas de fervents supporters des sangs et or tunisois [Espérance Sportive de Tunis, ndlr]?»
L'hypothèse est d'autant plus plausible, que les supporters se trouveront naturellement détournés de leurs petits clubs locaux, qui seront laminés ou disparus, à en croire le géopoliticien du sport, Jean-Baptiste Guégan.
«Les clubs qui accèdent aux compétitions continentales disposent d'un avantage comparatif par rapport aux autres clubs, qui réside dans des dotations conséquentes. Les 40 millions d'euros, par exemple, que va reverser l'UEFA au PSG cette année, correspondent au budget annuel d'un petit club comme Angers. En s'engageant dans la ligue des champions, les clubs gagnent tellement qu'ils peuvent acheter les meilleurs joueurs… et déstabiliser leur championnat. Si la Juventus, le Bayern ou le Real Madrid dominent systématiquement leurs championnats nationaux respectifs, c'est bien dû, en grande partie, à ce qu'ils gagnent grâce à la Ligue», explique Jean-Baptiste Guégan à Sptunik.
«Il y aura d'abord une bataille juridique, puisqu'en droit, il y a un monopole, sous l'égide de la FIFA et des organisations régionales. Tous les clubs qui accepteront de prendre part à cette initiative seront exclus aussi bien des championnats nationaux que des grandes compétitions. Les joueurs pourraient même être exclus des sélections nationales, mais aussi des fédérations qui leur enlèveraient la licence. C'est ce qui s'est passé avec la FIBA (Fédération internationale de Basket-Ball) quand elle a exclu de l'Euro 2017 une quinzaine de pays, au motif que leurs clubs prennent part à la compétition privée de l'Euroleague», compare l'auteur de «Géopolitique du sport, une autre explication du monde.»
«C'est un système qui se fait en dehors du monopole sportif. Si on détruit ce monopole, on risque d'avoir des territoires sportifs entiers qui vont disparaître. Au Maroc, un club comme le Raja, par exemple, va avoir plus de revenus que tous les autres. Il raflera la mise, achètera les joueurs qu'il voudra, et écrasera dans la foulée son championnat domestique», illustre l'expert français à travers un cas d'école.
Seule solution préconisée par Guégan qui adhère, par ailleurs, sur le principe, aux retombées escomptées par les auteurs de la publication, est la mise en place d'un système hybride.
«Il faut obtenir l'aval de la CAF et rester sous contrôle fédéral, en veillant à garantir un minimum de mécanismes correctifs…. Et à inscrire cette initiative dans la perspective d'une candidature commune pour accueillir la Coupe du monde en 2034. En somme, un championnat maghrébin, en prélude à une candidature conjointe.»