«Je souhaite que l'Iran reste pleinement engagé dans l'accord nucléaire et ne reprenne aucune activité. […] J'ai dit au Président Poutine cette volonté, je crois que nous la partageons. Et nous avons l'un et l'autre acté de cette volonté commune de préserver ce cadre qui me semble être un cadre utile pour la sécurité régionale.»
Si, contrairement à ses allocutions précédentes, de sa prise de fonction à son truculent séjour américain, l'invité d'honneur du Forum Économique de Saint-Pétersbourg a soigneusement évité d'énoncer les mots un «nouvel accord», il a, de nouveau, parfaitement mis en application son meilleur slogan, celui du «en même temps»:
«J'ai dit aussi au Président Poutine quelles étaient nos autres préoccupations, et je crois là aussi pouvoir dire que nous les partageons: l'activité nucléaire après 2025, l'activité balistique et l'activité régionale de l'Iran.»
Et d'enchaîner:
«Je souhaite que nous puissions engager avec l'Iran, et j'ai eu l'occasion de le dire à deux reprises au Président Rohani, un dialogue sur ces sujets. Mais il est évident que ce dialogue n'est possible que si nous savons collectivement aménager ce cadre crédible de l'accord de 2015, ce que nous sommes en train de faire.»
«Aménager»? Une nouvelle fois, Jupiter mêle l'accord de 2015 et son application, qui sont largement discutés par tous les acteurs concernés, aux autres problématiques dont l'Iran est l'acteur principal et où les seconds rôles sont tenus par Israël et l'Arabie saoudite. Tout d'abord, éviter à ses alliés qui possèdent et qui posséderaient l'arme nucléaire d'avoir l'Iran comme concurrent potentiel après 2025. Puis, remettre en avant la question du balistique, qui de manière concrète demande à un pays souverain de ne pas développer sa puissance militaire. Et enfin, éviter, selon le discours officiel, «l'hégémonie régionale iranienne». Et là encore, l'application de cette pensée reviendrait à contraindre l'Iran à ne pas établir hors de ces frontières, des forces, notamment à Bahreïn, au Liban, au Yémen, en Irak et surtout en Syrie.
Pour éviter une escalade de violences au Moyen-Orient, notre volonté commune avec la Russie: construire un cadre plus large et qui complète l’accord nucléaire avec l’Iran. pic.twitter.com/mpBm1HLURj
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 24 мая 2018 г.
Ce manque de clarté ou l'association peu explicite entre le deal iranien de 2015 et l'endiguement de sa puissance, n'est probablement pas une simple application du «en même temps» macronien. En effet, le Président de la République pourrait utiliser la fragilité iranienne, causée par le revirement américain, pour contraindre Téhéran à respecter certaines demandes occidentales. Si les autorités iraniennes semblent être sur la position défendue depuis des années par le Président Rohani, les ultra-conservateurs du pays des mollahs, hostiles à l'accord de 2015, scrutent les secousses causées par les sanctions américaines, présentes et futures.
Ainsi, Emmanuel Macron, prenant à partie de nombreuses fois son homologue, évoquant même —sans grande vraisemblance- que les préoccupations françaises rejoignaient celles des Russes dans ce bourbier moyen-oriental, cherche probablement a utiliser Vladimir Poutine. En effet, la Russie est un allié incontournable de l'Iran, aussi bien dans l'accord sur le nucléaire iranien que dans les conflits régionaux, et si un homme peut tempérer les ardeurs de Téhéran et surtout remettre autour de la table les diplomates iraniens pour cadrer leur puissance militaire et géopolitique, c'est bien Vladimir Poutine.
Mais cette stratégie parisienne est loin d'être sans risque. En effet, l'Iran pourrait choisir la rupture et les dernières déclarations de l'ayatollah Khamenei adressées aux Européens (E3) illustre cette possibilité: deux des sept conditions posées par le Guide suprême obligent les E3 à s'abstenir d'évoquer, dans les pourparlers pour l'application de l'accord, le balistique et la politique régionale de Téhéran.
De plus, et même si un tel discours pourrait quelque peu amadouer Washington sur les sanctions qui visent les entreprises françaises qui commercent avec l'Iran, Emmanuel Macron reprend le discours tenu par les États-Unis et leurs alliés israéliens et saoudiens, en oubliant que les intérêts de la France ne peuvent être les mêmes.
Ainsi, en marquant sa différence avec ses homologues européens, Emmanuel Macron empêche-t-il l'UE de parler d'une seule voix: par son ambiguïté, il affaiblit la position de l'Europe dans ce dossier qui est la première occasion pour elle d'affirmer une diplomatie indépendante. Réussira-t-il son coup de poker menteur?