Sont-ce les récentes déclarations de Donald Trump de retirer prochainement ses troupes de Syrie ou l'accord d'évacuation de la Ghouta orientale, conclu entre Jaych al-Islam et les autorités syriennes, qui a motivé une possible attaque au gaz dans la Ghouta?
Alors que l'armée syrienne s'apprête à enfoncer un «clou dans le cercueil des terroristes» — pour citer la télévision d'État syrienne — en reprenant la dernière poche de résistance dans le quartier de Douma, une attaque au chlore serait survenue samedi 7 avril dans ce même quartier, tuant au moins 80 personnes, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Encore pire dans l'horreur, c'est un hôpital qui aurait été la cible de cette attaque inhumaine.
Lundi 9, à l'aube, l'aérodrome militaire syrien de Tiyas, dans la province de Homs, est la cible d'une attaque de missiles, faisant plusieurs victimes. Une frappe qui en rappelle fortement une autre, celle des forces américaines après la dispersion chimique qui a touché des dizaines de personnes à Khan Cheikhoun, voilà un an quasiment jour pour jour. Ainsi, dans la nuit du jeudi 6 au vendredi 7 avril 2017, une soixantaine de missiles Tomahawk s'abattaient sur la base aérienne de Shayrat après que Donald Trump a cédé aux suppliques des «élites» de Washington, y compris celles de sa propre fille, de punir les coupables désignés avant toute enquête digne de ce nom.
Comme hier, la frappe de ce lundi 9 survient au surlendemain d'une attaque chimique supposée. Si Washington et Paris ont rapidement démenti être à l'origine de ces frappes — les regards se tournant à l'heure qu'il est vers Tel Aviv —, d'autres points de rapprochement entre ces deux épisodes de crise subsistent.
Comme en avril 2017, les preuves brandies sont les photos et vidéos d'une «ONG médicale» — à savoir les sulfureux Casques blancs — auxquelles s'ajoutent les accusations des «rebelles» — en l'occurrence de Jaych al-Islam, des extrémistes qui n'hésitent pas à exécuter les civils hostiles à leur mainmise dans la Ghouta orientale.
Rappelons que les Casques blancs ont été créés en 2013 par un ancien officier britannique reconverti dans le mercenariat, présentés par nos confrères français comme une «ONG» opérant en zone rebelle. Ils sont très officiellement financés et soutenus par l'USAID, l'agence gouvernementale américaine pour le développement et le Foreign Office britannique. Cette vidéo de septembre 2016, où l'on voit Boris Johnson évoquer sa «fierté» de prodiguer 32 millions de livres sterling de soutien aux Casques blancs — soit alors la moitié de l'aide qu'ils recevaient — peut en témoigner.
Des Casques blancs qui se présentent comme «neutres», mais qui sont souvent plus présentés comme des saboteurs que des sauveteurs par les habitants des zones libérées par l'armée — ils sont notamment soupçonnés d'avoir pris part au blocus de l'eau de Damas en janvier 2017 — un acte qualifié de «crime de guerre» par l'Onu. Des sauveteurs quelques fois filmés les armes à la main, qui ne cessent de réclamer l'établissement d'une zone d'exclusion aérienne au profit des forces antigouvernementales, et auxquels le chef d'Al-Qaïda en Syrie adresse ses hommages… comme on peut le voir sur cette vidéo exhumée par une blogueuse de Mediapart.
Comme en avril 2017, les réactions et les conclusions des chancelleries occidentales sont tirées à chaud — un phénomène qui, ces derniers temps, ne se cantonne plus au seul théâtre syrien. Une attaque qui, comme il y a un an celle de Khan Cheikhoun, survient au lendemain d'accords trouvés entre les différentes parties en conflit.
Aujourd'hui, cette attaque forcément appelée à être médiatisée — en raison de cette fameuse «ligne rouge» fixée par Barack Obama et qui subsiste dans les esprits — survient alors que depuis le 9 mars, 133.000 civils et combattants ont quitté la Ghouta orientale, selon l'Onu. Une évacuation que finalise l'accord trouvé ces derniers jours entre Jaych al-Islam et les autorités syriennes.
En avril 2017, l'attaque survenait pile au moment où se tenait à Bruxelles un sommet, organisé sous l'égide de l'Union européenne et des Nations unies, réunissant depuis 70 pays et organisations internationales afin de parler de l'avenir de la Syrie. Le tout une semaine après la fin d'un round de négociations entre l'opposition et le gouvernement syrien à Genève, lui-même rendu possible par la conférence Astana III.
Une attaque qui tombait «à point nommé, non pas pour le régime, mais contre lui» réagissait à l'époque le député socialiste Gérard Bapt, président du groupe d'amitié France-Syrie de l'Assemblée nationale. À notre micro, il rappelait qu'«une commission américaine qui avait enquêté après la Ghouta avait elle-même certifié que les provisions d'armes chimiques étaient — avant la destruction par le régime de ses propres stocks — réparties "équitablement" des deux côtés. Il y avait autant d'armes chimiques chez les rebelles que dans les entrepôts du gouvernement syrien». Un point régulièrement éludé par nos confrères.
Le bilan même de l'attaque pose la question de sa crédibilité, selon certains observateurs, qui soulignent que toute attaque à l'arme chimique, par obus d'artillerie ou de mortier, voire "simple", largage de bidon, devrait être efficace sur un rayon d'au moins un kilomètre, soit au minimum 3,14 km2.
"We are winning, both the battle & the war, we have large support internationally & locally, so instead of targeting terrorists, let's just damage our public image, trigger a military response from the west & gas civilians"
— ܓܐܟ (Jack) (@RealJackTheBad) 8 апреля 2018 г.
How stupid do you think Syrians are? https://t.co/mXGq6FkYSB
Dans une zone aussi densément peuplée que la Ghouta, avec plus de 16.000 habitants au km2 annoncés par les "rebelles", le bilan de 80 personnes tuées n'est donc pas cohérent: environ 50.000 personnes devraient être directement affectées.
Même en divisant par deux toutes les variables (zone de contamination et densité de population), on arrive à 12.500 personnes affectées, ce qui n'est toujours pas du même ordre de grandeur que le bilan avancé pour cette attaque au gaz, qui ressemble plus à un gazage dans un lieu confiné, dont l'armée syrienne serait incapable depuis l'extérieur du quartier en question.
Peut-on alors parler de provocation, comme l'avait fait l'armée russe, qui mettait en garde contre cette possibilité depuis longtemps? Les éléments nous manquent pour l'affirmer, mais ces incohérences, ajoutées au total manque d'intérêt du gouvernement d'Assad de recourir à ce type de moyens alors qu'il a déjà remporté la victoire, devraient pousser les chancelleries occidentales à plus de retenue dans leurs conclusions. Mais le souhaitent-elles vraiment?