Rappelons les étapes de ce scandale qui a éclaté à vitesse grand V.
Dans la soirée du 4 mars, un homme âgé et une jeune femme ont été retrouvés inconscients devant une pizzeria au Royaume-Uni. Dans la matinée du 5 mars, tout le monde avait déjà appris qu'il s'agissait de Sergueï Skripal, ancien colonel de la GRU (renseignement militaire russe) et ancien espion du renseignement britannique, et de sa fille.
Quatre jours plus tard, le 12 mars, la première ministre britannique Theresa May a annoncé que des chercheurs britanniques avaient identifié le poison: il s'agirait du «Novitchok», fabriqué en URSS dans les années 1980. Personne ne posséderait la formule du poison à part la Russie. Theresa May a également fixé un ultimatum soudain à la Russie en exigeant de «fournir une explication exhaustive à l'empoisonnement de Skripal avant minuit le 13 mars». Alors, il serait décidé si elle est fautive ou si elle ne contrôle pas son arme chimique. Et si la réponse n'était pas assez convaincante, l'incident serait assimilé à un usage illégal de la force contre le Royaume-Uni avec toutes les conséquences que cela implique.
Mais la Russie (probablement morte de peur) ne s'est pas empressée de se justifier. A une question de la BBC, Vladimir Poutine a suggéré «d'éclaircir l'affaire d'abord» avant d'importuner une puissance nucléaire. Le ministère russe des Affaires étrangères a poliment demandé, conformément à la Convention sur l'interdiction des armes chimiques (CIAC), d'accorder un accès aux dossiers de l'enquête, à l'échantillon de la substance et globalement à quelque chose de concret (bien évidemment Londres n'a pas réagi à cette exigence humiliante de respecter les normes internationales).
Pendant ce temps, on a commencé à tendre la main au Foreign Office de tous les côtés: les premiers à se ranger inconditionnellement de son côté ont été les tigres baltes et la Pologne — son absence aurait été même étrange. Puis la France et l'Allemagne, même si c'est de manière moins inconditionnelle, ont également exprimé leur soutien. Le dernier à avoir résolument soutenu Londres fut le secrétaire d'État américain, qui a été toutefois démis de ses fonctions quelques heures plus tard.
Entre temps, le Foreign Office a diffusé une vidéo de propagande annonçant que la «Russie cherchait à détériorer l'ordre mondial».
Le 13 mars à minuit, faute de réponse des cosaques perfides, la première ministre a réuni le Conseil de sécurité nationale.
Et mercredi, le monde a vu ce qu'il a vu.
C'est un résumé succinct, mais rien n'a été inventé.
… Et voici le résultat intermédiaire.
Les dirigeants occidentaux racontent de manière hautaine qu'il n'est pas très correct d'utiliser l'arme chimique, que l'affaire nécessite une enquête minutieuse, et appellent la Russie à y prendre part.
Le ministère russe des Affaires étrangères garde un visage impassible et suggère d'appeler un adulte qui a lu la CIAC et pourrait communiquer conformément au droit international.
Gazprom annonce qu'il ferme son bureau à Londres et y cesse ses opérations.
Les analystes s'interrogent: c'était quoi? Pourquoi ils se sont couverts de honte maintenant?.
Mais le fait est que les stéréotypes ancrés en nous (et activement propagés par la culture de masse britannique) dessinent le tableau suivant: à Londres se trouvent des hommes et des femmes à première vue réservés mais extrêmement rusés qui se permettent des remarques incisives et qui dirigent le monde en silence, sans convulsions ni hystérie.
En réalité, on assiste à un spectacle sur la bande originale de Benny Hill et selon un scénario des Monty Python. La dame de fer arrive en courant et crie: «Oh mon Dieu! Quelqu'un a empoisonné l'espion! Il faut fixer un ultimatum à la Russie de toute urgence.» Scène muette. «Oh mon Dieu! La Russie nous ignore! Que Berlin renonce au gazoduc et que l'Otan invente quelque chose!» Scène muette. Et ainsi de suite.
C'est parfaitement normal. L'histoire a déjà vu de nombreuses fois la grande culture survivre à la grandeur du pays qui l'avait engendrée. Les Romains, qui s'inclinaient devant la culture grecque classique, étaient consternés par les Hellènes insignifiants qui étaient leurs contemporains. Mark Twain était choqué par le contraste entre l'Italie des opéras et des musées et l'Italie réelle qu'il avait vue.
Au XXIe siècle coexistent pacifiquement le Royaume-Uni réel, où la première ministre est en pleine hystérie et avance une logique ridicule, et le Royaume-Uni virtuel où des surhommes avec des vestes en tweed boivent du thé et planifient des machinations rusées.
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