Qui stoppera donc la spirale inflationniste en Tunisie? À défaut d'afficher clairement cette ambition, la nouvelle gouvernance de la Banque centrale tunisienne (BTC) s'y essaie à tout le moins. Fraîchement nommé gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi héritait, de son propre aveu, d'indicateurs «effrayants». Il s'agit, principalement, d'un taux d'inflation qui a atteint la barre de 7,1%, contre 6,4% en décembre 2017 et 4,6 en février 2017. Le risque d'un glissement encore plus important, courant 2018, est bien présent. À cette hausse des prix, devront pallier «des décisions douloureuses, mais nécessaires», selon Abassi. Quelles sont-elles?
Le taux directeur, ou comment agir sur la propension à la consommation
Le 5 mars 2018, soit trois semaines après son entrée en fonction, Abassi a décidé d'augmenter de 75 points de base le taux d'intérêt directeur, en le relevant de 5% à 5,75%. Il s'agit, en moins d'un an, de la troisième hausse que subit cet indicateur monétaire, après celles d'avril et de mai 2017.
«L'objectif à travers l'augmentation du taux d'intérêt directeur est de pousser les ménages à consommer moins, en contractant moins de crédits à la consommation, et à épargner plus, puisque le coût de l'argent va augmenter.»
Réduire «la ferveur de la consommation» fera mécaniquement baisser les prix, par le seul mécanisme de l'offre et de la demande, et modérera ainsi l'inflation. D'ailleurs, l'origine de l'inflation est à situer entres autres, selon Sfar, dans les baisses de taux d'intérêt directeur décidées au lendemain de la révolution de janvier 2011. Dans l'esprit du gouverneur de l'époque, cette baisse devait anticiper la reprise de l'investissement privé, dont on pensait que la frilosité était principalement liée à la prédation des proches de l'ancien Président. En définitive, elle fut le catalyseur d'une frénésie de la consommation encouragée par l'octroi de crédits bancaires dédiés. De plus, une reprise de la croissance par la consommation était espérée, toutefois on ne peut compter sur cela de par la taille du marché tunisien.
«C'était bien une décision maladroite dans un contexte postrévolutionnaire, caractérisé par une économie en berne, avec, en sus, une inflation latente. On voyait mal comment les investissements auraient pu démarrer, au milieu des mouvements sociaux, alors que les différentes structures institutionnelles étaient en chantier. Sur le volet consommation, c'était encore un mauvais calcul, puisque dans le petit marché qu'est la Tunisie, la corrélation entre consommation et croissance est à relativiser», analyse Habib Sfar, par ailleurs membre du Centre international Hédi Nouira de prospective et d'études sur le développement (CIPED).
Faut-il craindre un effet pervers sur le pouvoir d'achat?
«La baisse du dinar est due au manque de devises étrangères sur le marché local. C'est clairement une conséquence de la baisse des exportations des biens, mais aussi la baisse du tourisme, des IDE (investissements directs étrangers) et des revenus du travail. Tout cela a reculé au cours de ces dernières années, tant et si bien que les banques ne pouvaient plus répondre aux besoins de leurs clientèles importatrices et demandeuses de devises.
C'est que, parallèlement, les flux de dépenses (en devises), eux, ont augmenté, puisque les crédits à la consommation étaient favorisés alors que l'offre locale n'arrivait pas à suivre. Chez les banques, le matelas en devises s'est donc fortement réduit. Elles ont dû recourir à la BCT, qui ne pouvait assurer indéfiniment l'appoint important du marché, considérant notamment le plafond d'intervention convenu avec le FMI», a analysé l'ancien haut fonctionnaire tunisien.
Résultat: les réserves de la Banque centrale en devises sont passées de 9,5 milliards USD, fin 2010, à moins de 5 milliards USD actuellement, bien qu'alimentées par un volume d'endettement extérieur important au cours des 7 dernières années de près de 43 Milliards de DNT. En sus de l'inflation importée, il existe un autre paramètre limitant la marge de manœuvre de la BCT: celle-ci ne peut agir que sur l'inflation dite «sous-jacente» (inflation globale diminuée de celle concernant les prix des produits contrôlés par l'État ou ceux dépendants des marchés mondiaux). Or, la loi de Finances 2018 a justement fortement taxé plusieurs produits contrôlés par l'État.
Et si ça ne marche toujours pas?
L'augmentation du taux directeur aura-t-elle un effet immédiat? Non, selon Rym Kolsi, Directrice de la Stratégie de la Politique monétaire, qui estime que la mesure ne commencera à porter ses fruits que vers la fin de l'année prochaine. Produira-t-elle, à coup certain, l'effet escompté? Pas sûr qu'elle y suffise, juge Habib Sfar, qui n'exclut pas une palette d'autres mesures, à commencer par une nouvelle hausse, pour la 4e fois consécutive, de cet indicateur.
«Si, en dépit de cette décision, l'inflation reste toujours élevée, voire augmente, on peut encore élever le taux directeur de 25 autres points de base ou plus. Il y a aussi une autre solution, qui consiste pour la Banque centrale à réduire, voire à refuser aux banques de refinancer des catégories de crédit jusque là éligibles», poursuit Habib Sfar.
Autre possibilité, restreindre encore plus la liste des produits interdits à l'importation. Une première liste de 220 produits avait été établie depuis plusieurs mois, avant d'être actée sous le nouveau gouverneur.
«Il n'est pas exclu, non plus, qu'en coordination avec le ministère du Commerce, la Banque centrale élargisse encore plus la liste des produits qui n'entrent pas dans le cycle de production», conclut l'ancien Directeur général des Finances extérieurs de la BCT.
Ici, l'objectif est double: agir sur l'inflation importée et endiguer, un tant soit peu, le déficit de la balance commerciale qui s'est considérablement creusé ces dernières années.