Pour ce patriarche de l’aéronautique, la coopération franco-russe avance à petits pas

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À en croire les dirigeants et politiques, la coopération aéronautique franco-russe serait au beau fixe. «On pourrait mieux faire», note pourtant Émeric d’Arcimoles, président de la société BeAM, en pointe dans ce domaine. Vrais blocages ou impatience d’un industriel pressé? Sputnik est allé à Strasbourg pour tirer l’affaire au clair.

En octobre dernier, les autorités de la ville de Joukovski, dans la région de Moscou, ont annoncé l'ouverture prochaine d'un centre de compétences sur les technologies additives. BeAM, société française en pointe dans les imprimantes 3D industrielles, y est annoncée comme partenaire clé. Mais six mois plus tard, le projet est toujours en stand-by. Alors, en pointe, le projet franco-russe? Qu'en est-il?

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«BeAM confirme son intérêt pour le marché russe, c'est une possibilité pour nous tous d'aller de l'avant, précise à Sputnik le directeur commercial de l'entreprise, Frédéric Le Moullec. Même si le financement n'est pas encore confirmé, nous sommes prêts à faire un geste fort: en vendant la machine nous l'accompagnons par le transfert de notre savoir-faire.»

Émeric d'Arcimoles, un des pontes français de l'aéronautique et parrain de nombre de coopérations franco-russes dans ce domaine, a pris la direction de BeAM Machines en 2016. Ce Méridional à la tête d'une start-up alsacienne a évoqué pour Sputnik les possibles points de blocage:

«Pourquoi je me suis intéressé tout de suite à la Russie? explique Émeric d'Arcimoles. En discutant avec des responsables à très haut niveau, en particulier avec Rostec, j'ai compris que pour eux vendre du matériel à l'étranger n'était pas facile pour différentes raisons et le réparer après, gérer la logistique lointaine c'est encore plus compliqué.»

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Pour d'Arcimoles, la création en 2007 de Rostec, Société d'État russe pour la promotion, le développement, la production et l'exportation de produits industriels, était une bonne option:

«Pour l'État russe, avoir de plus en plus de gestion centralisée a un avantage, c'est l'opportunité d'éviter plusieurs investissements dans le même secteur. Toute l'information remonte à Moscou où on voit l'intérêt pour tel ou tel organisme d'être équipé. C'est une coordination nécessaire, en particulier dans la fabrication additive.»

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«Des résultats concrets»: les petits pas de la coopération aéronautique franco-russe
«BeAM se réjouit d'avoir des interlocuteurs transversaux au sein de Rostec. Nous attendons que cela porte ses fruits» précise Frédéric Le Moullec, tout en en confirmant son prochain voyage en Russie.

Ces dernières années, BeAM a participé à plusieurs signatures et visites de haut niveau: en mars 2016, un protocole d'accord est conclu avec l'Université Aerocosmique à Samara; en mai 2017 à Moscou, un mémorandum de coopération est signé avec l'Institut des technologies laser et de soudage (ILWT). Point culminant de ces échanges — la délégation du gouvernement de la région de Moscou a organisé un road show pour les entreprises françaises à Strasbourg en octobre 2017 et a également visité l'usine de BeAM.

«Ils sont tous venus, les ingénieurs ont tout vu, tout le monde a dit: "C'est génial! C'est ça qu'il nous faut pour bosser!", précise Émeric d'Arcimoles. On pourrait progresser plus vite, puisque dans les universités, il y a des gens brillants. C'est une chance pour tous d'avoir deux-trois universités qui, sans être en concurrence, pourraient relever un challenge et pousser la technologie toujours plus loin.»

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«Convaincus par le haut niveau de nos machines, nous sommes prêts à partager notre savoir-faire pour qu'ils montent en compétence en même temps que BeAM.»: le directeur commercial fait chorus avec son président, avant de compléter: «Dans ces collaborations directes de recherche, tous les partenaires pourraient être gagnants: ni sanctions ni embargos ne pourraient les entraver.»

«Tous les signaux sont au vert, assure D'Arcimoles. Tant que ce sont les centres de recherche et des universités, on peut y aller. Et on a intérêt que les ingénieurs russes soient formés en même temps que nous, parce qu'un jour, quand on aura des grands projets, il faut que nos ingénieurs se comprennent.»

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La coopération aéronautique franco-russe en 10 projets-phares
BeAM emploie 36 personnes et génère environ 6 millions d'euros de CA. Fondée en 2012, la start-up strasbourgeoise s'est spécialisée dans un domaine hyper-pointu, où elle rivalise avec les leaders mondiaux américains: la fabrication de pièces métalliques par impression 3D au laser. Un domaine qui cartonne, puisqu'elle s'est classée dans le Top 10 national avec une croissance de +2.272% de son CA en quatre ans. L'ambition du BeAM a toujours été de se déployer à l'international. Elle vise en particulier le marché asiatique, Singapour et le Japon. Sans oublier les États-Unis, où BeAM s'est déjà installée, à Cincinnati. Émeric D'Arcimoles, qui admet beaucoup agir «à l'affectif» avec la Russie, est convaincu par le potentiel du marché russe.

«Quand j'étais patron de SPC aero en Belgique [Statistical Process Contol, est une méthode de contrôle qualité par prélèvement de la production, ndlr], on a eu de bonnes relations avec la Russie. Le projet européen Eureca avec la Russie continue toujours, mais à un rythme très lent. C'est dommage, parce que les jeunes qui vont arriver sur le marché des technologies n'iront pas. On ne peut pas leur en vouloir. Pour les jeunes, il faut que ça zappe!»

Les autorités de Joukovski, une ville dans la région de Moscou et un des plus importants centres aérospatiaux de Russie, prévoient d'ouvrir un centre de compétences sur les technologies additives. La société BeAM est partenaire de ce projet innovant.

«C'est rare que l'on parle d'une technologie comme prioritaire. On sait qu'aujourd'hui l'"additive manufacturing", dans l'usine de futur, est prioritaire en Europe, aux États-Unis. Les Russes ont encore une fois mentionné en octobre dernier l'"additive manufacturing" comme élément essentiel d'échange entre les deux pays. Ils ont même mentionné —ce qui est rare- BeAM en tant que société-clé pour les échanges…. Le soutien politique est alors fort.»

La mise en place des technologies dans ce domaine demande du temps, une quinzaine d'années en moyenne. «Les Russes pourraient prendre du retard, alerte le Président de BeAM.» Pour M. d'Arcimoles ces technologies seront bientôt incontournables pour un accès à un certain niveau technologique dans n'importe quel domaine: médecine, aéronautique ou autre… Il s'agit d'une technologie transversale.

«Pour une petite société comme la nôtre, la prospection du marché russe est conséquente à long terme, il s'agit de trois ans d'investissement, beaucoup d'argent dépensé de notre part. À un moment donné, cela peut devenir dur à tenir.» annonce d'Arcimoles.

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L’impression 3D à la française pour réparer les moteurs en Russie?
«Je me suis dit qu'il fallait donner à ce pays une possibilité rapide d'être autonome, poursuit le président de BeAM. Ainsi, ils n'ont pas besoin d'aller chercher au-delà des frontières: ils pourraient fabriquer et réparer chez eux. Pour moi, c'était une demande très forte d'industriels… et des politiques. Manifestement, cela ne suffit pas. Aujourd'hui, je crois, le problème est économique, savoir quelle est la priorité. Et il est important de l'admettre.»

Il en faut plus pour décourager Frédéric Le Moullec, le directeur commercial de l'entreprise:

«Certes, lorsque les projets se rallongent, BeAM est obligée de ralentir l'investissement sans pour autant nuire au échanges riches comme les nôtres. Nous sommes connus dans le monde de fabrication additive en Russie. Et on y va!»

En Europe, les machines BeAM ont déjà été vendues à de nombreux clients, notamment aux sociétés aéronautiques Safran et Chromalloy, ainsi qu'à des organismes de recherche comme Polytechnique.

«L'Angleterre s'équipe. Singapour s'équipe. La Suisse s'équipe. En France, on a quatre écoles d'ingénieurs équipées. Les Russes étaient les premiers, parce que j'ai toujours eu beaucoup de bons contacts avec les Russes, ils étaient emballés, parce que nous sommes les seuls à proposer simultanément les machines et la technologie. Tout le monde pourrait progresser ensemble.»

La stratégie de BeAM est très claire: pouvoir construire sur le long terme ses machines en Russie. «On le fera un jour, mais si c'est quand tout le monde y sera passé —c'est trop tard» annonce le président de BeAM, en concluant par un message clair en direction de ses partenaires russes:

«Venez à la cuisine, on l'a toute équipée. Il faut maintenant une compétition entre les chefs pour améliorer les recettes.»

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