Quelques mois plus tôt, le président français Emmanuel Macron en visite à Alger s'engageait à restituer des dizaines de restes mortuaires de résistants algériens exposés, aujourd'hui, au Musée de l'homme de Paris. Une copie des archives déclassifiées de la guerre d'Algérie sera également adressée aux autorités algériennes.
Il n'en est pas de même de la problématique de la «repentance», malgré des concessions asymptotiques distillées par les présidents français à ce sujet. Au cœur du débat, l'explication sur le passé. Thème commun à toutes les anciennes colonies de la France, encore qu'il reçoive, dans le contexte algérien, une dimension bien particulière. Et pour cause,
«[…] La perte de l'Algérie était ressentie comme insupportable. Même le très raisonnable Pierre Mendès France qui avait accompagné la sortie du Maroc et surtout de la Tunisie vers l'indépendance disait que ceci est un "solde de tout compte", que le mouvement des indépendances s'arrêtait là et ne concernait pas l'Algérie. Cela montre bien l'importance attachée par l'État français au maintien de l'Algérie dans son giron», analyse Brahim Senouci, universitaire et écrivain algérien, dans une déclaration à Sptunik.
Illustration du chemin parcouru, en 1957, les «Actualités françaises» prédisaient aux habitués des salles de cinéma d'après-guerre que l'indépendance de l'Algérie mènerait immanquablement la métropole à sa décadence: «Demain, la France privée de son prolongement algérien connaîtrait une crise grave».
Soixante ans après, la question algérienne continue de s'inviter régulièrement au cœur des «Actualités françaises», version petite lucarne cette fois-ci. Jusqu'au débat présidentiel de mai 2017.
«Preuve que la société française est tout sauf indifférente à la guerre de libération et à l'indépendance de l'Algérie», selon Anisse Terai, universitaire algérien approché par Sputnik.
Pour Brahim Senouci, qui est aussi à l'origine de la pétition qui a abouti à l'engagement français sur les restes mortuaires algériens, la restitution des crânes de 37 résistants tout comme la question des archives ne concernent que «la manifestation de la vérité» que veulent les Algériens. À distinguer de «la repentance» qui est plus une question «franco-française».
«La repentance n'est pas quelque chose mis en avant de façon particulière par les Algériens. L'Algérie demande que la France reconnaisse ce qui s'est passé réellement durant plus de 130 ans de colonisation. Et c'est dans cet esprit que s'inscrit, par exemple, la question de l'ouverture des archives. La question de la repentance, elle, a fait plus de débats en France, alors qu'en Algérie, personne n'en parle»,
ajoute Senouci. Il indique que, selon lui, lorsqu'il s'agissait de la responsabilité de la France dans l'holocauste, la repentance française s'était faite «spontanément» sans que la communauté juive ne le demande. Mais «faire acte de repentance envers l'Algérie est aussi insupportable que le déchirement qu'a constitué l'indépendance», compare-t-il.
«Nous autres Algériens nous ne demandons rien à personne. La repentance des affres et des crimes du colonialisme est une question exclusivement franco-française. Elle ne vous regarde que vous. Le moment venu, elle deviendra un acquis de la conscience française. Ce jour-là, s'il advient, l'Algérie saura honorer une telle volonté par son pardon. Mais c'est peut-être l'affaire d'une autre génération. Toutefois, les mémoires peuvent déjà s'apaiser, se réconcilier.»
C'est ainsi qu'Anisse Terai s'était adressé dans une première lettre au président Macron alors en campagne pour l'élection présidentielle.
Pas d'exigence de repentance, donc? Pourtant, le 25 août 2005, dans un discours prononcé dans la ville de Sétif, le président algérien Abdelaziz Bouteflika a demandé à la France de reconnaître sa responsabilité morale dans la colonisation. Pour Senouci, toutefois, «Il s'agit d'un discours à replacer dans son contexte».
À l'époque, Bouteflika était en campagne pour un référendum qui avait pour objectif de restaurer la paix civile en Algérie. Il ne s'agit pas donc pas plus que d'une déclaration «démagogique» de campagne», précise cet écrivain algérien. Toutefois,
«Il n'est pas possible de faire l'impasse sur la question mémorielle. Sans être un préalable, elle est la clé de voûte de la nouvelle relation entre l'Algérie et la France. Nous devons faciliter le travail des historiens pour réconcilier les mémoires, pour faire triompher la vérité», avait aussi souligné Terai à l'occasion d'une seconde lettre à Emmanuel Macron.
Avec Hollande, la colonisation de l'Algérie était décrite comme «un système injuste et brutal», alors que Macron, candidat à la présidentielle, ira même jusqu'à la qualifier en février 2017 de «crime contre l'humanité».
«Je maintiens ce que j'ai dit, même si cela m'a causé quelques ennuis», aurait dit Macron au président Bouteflika, en décembre 2017. Des propos rapportés par l'ambassadeur de France en Algérie, Xavier Driencourt, aux médias algériens.
Les «ennuis» ce fut notamment le tollé politico-médiatique que ses propos ont suscité. Un reproche qui lui a été également adressé par sa principale adversaire à la présidentielle, Marine Le Pen, à la veille du second tour. Le refus de «toute forme de repentance» est du reste une position largement partagée à droite.
«Je m'oppose totalement à toute forme de repentance sur la question algérienne: la guerre d'Algérie a suscité des drames des deux côtés du conflit, et la France ne saurait en être tenue seule responsable. Par ailleurs la France a laissé à l'Algérie des infrastructures importantes: ce n'est pas pour rien si ce département coûtait plus cher au budget français que ce qu'il rapportait. L'œuvre française en Algérie a donc aussi des aspects positifs dont nous pouvons être fiers et sur lesquels il faut insister», a déclaré à Sputnik Sophie Montel, vice-présidente du parti Les Patriotes (LP).
Entre les deux positions, les médias français jouent à l'équilibriste… On aime rappeler les affres de la colonisation en Algérie, surtout lorsqu'il s'agit d'enfoncer l'extrême droite, dont la figure de proue est accusée d'avoir pris une part active à la torture. Accusation au demeurant démentie par l'intéressé, Jean Marie Le Pen.
«Je pense que les médias se penchent là-dessus tout simplement quand c'est inévitable: par exemple les déclarations de Macron, une visite officielle, etc. Sinon, ils s'en foutent, c'est plutôt les politiques qui font ça pour "faire chier" le FN et les médias suivent comme ce qu'a fait Hollande», décrypte pour Sputnik une journaliste dans un média français.
«Ce qu'a fait Hollande» c'était son choix de l'anniversaire des Accords d'Evian, le 18 mars 1962, pour commémorer le cessez-le-feu entre l'Algérie et la France. Ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, s'y étaient refusés. D'autant plus que cette date est associée, dans la mémoire de pieds-noirs, à leur «abandon» par la France.