«Laïcité et islam: Emmanuel Macron laisse des questions en suspens», titrait Le Monde, en mars 2017, à propos de celui qui n'était alors que le favori des sondages. Un an après, son discours sur la laïcité se fait toujours attendre, mais l'ancien ministre de l'Économie est bien résolu à lancer son plan de (re) structuration de l'islam en France. Deux questions qui ne sont pas sans liens l'une avec l'autre.
Le chantier lancé par le Président de la République n'en est pas encore à trancher cette question, même s'il a parlé d'«Islam de France». Il faut dire que l'organisation du culte musulman est d'autant plus complexe que Macron hérite d'un embouteillage institutionnel: Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), Mosquée de Paris, Fondation pour l'islam, et last but not least, une université pour former les imams, que Jean-Pierre Chevènement appelle de ses vœux… Le paysage est «infiltré» d'influences étrangères souvent rivales, avec l'éclosion, au sein des espaces cultuels, d'autant de discours que de communautés.
«Faire le ménage dans tout cela répond d'abord au besoin précis d'assurer une meilleure représentation des musulmans de France, mais aussi, surtout, arriver à mieux gérer les modèles de financement, et à travers ceux-ci, les influences étrangères que peuvent exercer sur l'islam en France les différents bailleurs de fonds ou pourvoyeurs logistiques, et même nourrir le communautarisme»,
C'est également le cas de la Tunisie, où le ministère des Affaires religieuses étend sa tutelle aux quelque 6000 mosquées recensées à travers tout le pays. Ce pays revient de loin, pourtant, avec le pullulement, au lendemain de la révolution, de mosquées anarchiques. Seule une petite cinquantaine de lieux de culte, construits sans autorisation, témoignent encore de cette période. Ils sont néanmoins tous «sous suivi», et invités à se mettre en règle sur le plan administratif, mais leurs discours ne font pas le lit de l'extrémisme.
«Pour toutes les autres, réparties sur le pays, pas un cours n'est donné sans autorisation préalable des autorités locales ou régionales compétentes», résume fièrement Najet Hammami, chargé de communication de ce département, contacté par Sputnik.
«Le ministère apporte un soutien financier pour la construction des mosquées. Mais le processus d'approbation des initiatives privées obéit aussi à des conditions strictes», ajoute Hammami.
Parmi ces conditions, les autorités prennent en considération le nombre de mosquées par habitant. «Il serait absurde que deux mosquées se côtoient au sein d'un même quartier, parce que la vocation d'une mosquée est justement de rassembler les fidèles, pas de les diviser», commente Hammami.
A Châteaudun, deux mosquées sont construites côte à côte: la mosquée "turque" à droite et la mosquée "maghrébine" à gauche. Que pensez-vous de cette situation? pic.twitter.com/VXZDAftOzW
— Dômes & Minarets (@domes_minarets) 11 февраля 2018 г.
C'est pourtant ce qu'on peut rencontrer de l'autre rive, par exemple à Châteaudun, dans l'Eure-et-Loir, où deux mosquées, turque et maghrébine, «cohabitent», l'une à côté de l'autre, avec des religieux turcs et maghrébins souvent formés dans leurs pays respectifs. Autant de messages, de discours, de ceux qui jouent presque, par moments, les «nonces apostoliques». Au Maghreb, en revanche,
«La sélection des imams et des employés dans les mosquées obéit à des critères stricts, un processus qui est encadré en amont et en aval, avec un suivi du contenu des prêches, et une attention donnée aux réclamations qui peuvent nous parvenir des fidèles eux-mêmes», a expliqué Najet Hammami.
Contrepoids du «concordat national», le décaissement de quelque 19.000 primes par mois, ainsi que les dépenses fonctionnelles (eau, électricité, etc.) qui plombent une bonne partie du budget du ministère. Alors qu'Emmanuel Macron entend, au cours du premier trimestre 2018, poser les jalons d'une nouvelle organisation de l'islam en France, des voix s'élèvent prêchant pour un nouveau «Concordat» en faveur des musulmans. Une hypothèse à laquelle Macron n'est pas favorable, d'après Youssef Seddik, anthropologue tunisien consulté, début février 2018, par l'hôte de l'Élysée.
«Étendre le Concordat aux musulmans est une mauvaise idée dans la mesure où ce système applicable en Alsace et Lorraine repose sur une particularité historique incomparable avec la situation des musulmans dans ce pays. Cela dit, j'ai dit à Macron que la France n'a pas besoin, effectivement, de recourir à des pays étrangers tant pour la formation que pour la question du financement».
D'autant plus qu'au sein même de ces pays «exportateurs», l'islam officiel est sujet lui-même à débat. Quoique présenté comme «modéré», l'islam maghrébin partage globalement le même «corpus» avec les «versions fondamentalistes» qu'il dit combattre.
La réflexion engagée par des penseurs et intellectuels du Maghreb depuis des années tourne, dès lors, autour deux axes: la disposition du Coran à s'ouvrir, en permanence, à de nouvelles lectures, au-delà des brèches consenties par les écoles classiques.
Le tout, et c'est le second axe, en remettant sévèrement en question les traditions prophétiques comme source religieuse crédible.
Selon Seddik, la réflexion sur le culte musulman en France devrait, dès lors, s'inspirer de cet élan engagé dans le Maghreb et le reste du monde arabe, pour permettre de «donner un horizon d'un islam réenchanté» tout en étant dans «le refus de l'idéologie, mais aussi des lobbys étrangers». Toutefois,
«Aujourd'hui, une partie de l'islam de France se joue aussi en dehors de l'Islam. Il existe au sein des populations musulmanes une frange irréductible qui ne se reconnaîtra pas dans le nouveau projet, parce qu'ils se positionnent contre le système. La bataille contre la radicalisation, c'est donc la réorganisation du culte, mais aussi, la question sociale», a conclu Seddik.