Gerbert Rambaud: France et islam, «de fausses idées circulent de part et d’autre»

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«L’islamisme n’est pas un problème», affirment certains journalistes et hommes politiques. Au-delà des polémiques, l’historien Gerbert Rambaud éclaire le présent par une analyse minutieuse des relations entre la France et l’islam depuis quinze siècles.

Nous avons commémoré le triste anniversaire du Bataclan il y a 48 heures, et le débat public en France se fait toujours plus vif autour de l'islam et de l'islamisme. Chose plus ou moins surprenante, la gauche semble se fracturer toujours davantage sur le sujet. Les rédactions de Charlie Hebdo et de Mediapart s'écharpent par tribunes interposées, entre «islamo-gauchistes» et «islamophobes», entre appels au calme et absurdité la plus totale: «L'islamisme en tant que tel n'est pas une chose grave, l'islamisme est un phénomène qu'il faut comprendre et expliquer», a déclaré Jade Lindgaard, coprésidente de la société des journalistes de Mediapart.

Tirades théologico-militantes

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Au-delà de cette tirade polémique, il est au moins possible de s'accorder sur la nécessité de comprendre et d'expliquer. Mais pour une fois, nous allons nous extraire d'un débat théologico-militant pour essayer, avec peut-être un peu plus d'originalité, de comprendre par l'histoire.
Et pour ce faire, nous avons convoqué un historien, Gerbert Rambaud. Originalité, disions-nous, car son essai, intitulé La France et l'islam au fil de l'histoire, 15 siècles de relations tumultueuses, a le grand avantage de proposer une réponse dynamique.

Comprendre par l'histoire

En effet, il ne s'agit pas de comprendre l'islamisme et l'islam, mais de les comprendre par leur relation avec notre propre pays, avec toute la complexité que l'analyse historique exige. Les relations entre la France et l'islam ne sont pas au beau fixe, mais ce n'est pas la première fois… on dit que l'histoire est tragique, et c'est certainement le cas des relations entre la France et l'islam.

Extraits:

«L'histoire est une merveilleuse leçon pour comprendre pourquoi nous vivons la situation actuelle. Il y a tellement de méconnaissances sur ces relations vieilles de quinze siècles, qu'il est d'autant plus important de découvrir comment le territoire France a pu gérer ces relations très différentes selon les époques.»

Les premières confrontations

«On nous parle uniquement de Poitiers. Or, Poitiers n'est qu'un épiphénomène dans une épopée qui a commencé en 719 à Narbonne. Lorsque les armées musulmanes vont prendre le contrôle de l'Espagne wisigothique, ce royaume se poursuivait au-delà des Pyrénées. Cette région est la première à être confrontée à une arrivée conquérante. Narbonne tombe et devient terre d'islam. Il va y avoir la bataille de Toulouse, on n'en parle jamais: c'est la première fois que les musulmans sont arrêtés. (…) Il faut toujours se poser la question: pourquoi les croisades ont été lancées à la fin du onzième siècle? La région entière autour de Jérusalem va être déstabilisée. Les Européens et les Arabes avaient trouvé un motus vivendi: depuis Charlemagne, un équilibre avait été trouvé. Jérusalem a été pris par les musulmans dès 637. Quatre siècles plus tard, la région est déstabilisée par les Seldjoukides. Ils envahissent Jérusalem et le sud de l'Empire romain d'Orient, les Arabes musulmans sont d'ailleurs aussi massacrés. Les Européens sont alors appelés par l'Empereur romain d'Orient pour l'aider.»

​Une présence et une influence?


«Il y a eu en effet des implantations de populations musulmanes: dans le sud du Cantal, on retrouve des noms d'origine arabe. Nous avons eu aussi ce petit pays en Provence, base navale très importante autour de Saint-Tropez. Que s'est-il passé après? Les populations vont se fondre dans la population française. (…) Il faut toujours raison garder. Il y a eu des textes antiques traduits par les Arabes. Il y a eu une recherche mathématique et en astrologie par les musulmans: pour eux, c'est un point essentiel dans la détermination précise pour le début et la fin du ramadan. Là, clairement, il y a des avancées qui ont pu être faites par la culture arabe. Pour les autres, notamment au niveau philosophique, on a eu beaucoup plus recours à Constantinople.»

Un Orientalisme avant l'heure

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«François Ier s'est trouvé confronté à l'un des Empereurs les plus puissants. La France se retrouve prise en tenaille: la question se pose de la survie de la France. La seule solution qu'a trouvée François Ier est d'appeler à l'aide Soliman le Magnifique. Il va y avoir cette alliance décriée, l'alliance du lys et du croissant, avec une demande d'attaquer l'empire de Charles Quint par le sud pour desserrer l'étau sur la France. La France obtiendra une liberté de circuler sur la Méditerranée. Il y aura une influence culturelle, car il fallait expliquer pourquoi nous étions alliés avec un empire musulman, ce qui était décrié par la papauté. Grâce à cela, on obtenait la sécurité des lieux saints, et une certaine appétence pour les fastes de la Turquie.»

Les Lumières

«[Certains] vont trouver de l'intérêt au niveau de l'islam par anti-christianisme. D'autres auront une vision réductrice de l'islam —Voltaire va changer de position fréquemment. Au XVIIIe siècle, on s'est posé la question sur ce que l'islam pouvait apporter un pays. Et souvent, l'islam a été vu comme un système contrôlant un peuple de manière assez forte.»

Trois grandes périodes


«J'ai identifié trois grandes périodes dans mon ouvrage: celle de confrontation, les guerres de conquête territoriale. Après, on a les alliances qui vont varier au fil du temps. Et puis troisième phase, les cohabitations: cohabitation de la France en terre d'islam, et cohabitation de l'islam en terre de France. C'est une situation très différente par rapport à ce qui a été vécu, de fausses idées circulent de part et d'autre.»

Et maintenant?


«C'est la première fois qu'une religion n'est pas passée sous les fourches caudines de la République ou de l'Empire. Pour les trois grandes religions présentes en France, il y eut de grandes obligations de s'adapter au pouvoir politique français. Napoléon créa le consistoire, interdira le financement des temples par les puissances étrangères, etc. L'histoire nous enseigne comment ces trois religions ont pu vivre et s'adapter avec l'État français. Là, nous sommes avec une quatrième religion qui n'a pas eu cette étape-là, c'est là où c'est inédit pour l'histoire de la France.»

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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