UA: la querelle entre le Maroc et la République sahraouie peut-elle vraiment dégénérer?

© AFP 2023 Simon MainaL` Assemblée des chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine, à Addis-Abeba
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Alors que le Royaume chérifien s’est défendu de toute tentative visant à semer la division au sein de l’Union africaine, des observateurs spéculent sur son intention, à terme, d’exclure la République sahraouie de l’organisation intercontinentale. Une hypothèse toutefois peu crédible au regard d’éléments juridiques et politiques.

Il y a près d'un an, en célébrant son «retour au foyer aimé après une trop longue absence», le Roi du Maroc se voulait rassurant. «Nous ne voulons nullement diviser, comme certains voudraient l'insinuer», jurait Mohamed VI devant l'assemblée de l'Union africaine (UA), en janvier 2017.

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Pourtant, ces «certains», qui se retrouvent du côté des soutiens indéfectibles de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), croient ne pas se tromper sur les véritables intentions du Royaume, qui s'était retiré, en 1984 de l'OUA, ancêtre de l'UA, pour protester contre la présence de ce nouveau membre.

L'hypothèse se trouve régulièrement accréditée par des incidents, comme celui qui a entravé, en août dernier, une réunion ministérielle à Maputo (Mozambique), à l'occasion de laquelle les délégations marocaine et sahraouie en étaient venues aux mains. Pour les médias algériens et sahraouis, la RASD serait bien dans le collimateur de Rabat qui a signé son grand retour au sein d'une Union africaine plus que jamais clivée entre «les amis du Maroc» et ceux de l'Algérie au sujet de cette question très sensible.

Pourtant cette exclusion, à supposer même qu'elle figure dans les intentions de Rabat, est loin d'être évidente. Elle serait même impossible juridiquement… dans l'état actuel des statuts de l'Union africaine.

Deux possibilités juridiques, inapplicables dans les faits

Adoptée en juillet 2000 dans la capitale togolaise Lomé, la «constitution» de l'Union africaine ne prévoit que deux possibilités d'exclusion. Il s'agit, d'abord, d'une procédure dite de «suspension», que régit l'article 30, et qui concerne «les Gouvernements qui accèdent au pouvoir par des moyens anticonstitutionnels».

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Or, si cette procédure a pu jouer pour la suspension de la Guinée-Bissau et de l'Égypte après les coups d'État qui y ont eu lieu respectivement en 2012 et 2013, elle s'avère inapplicable dans le cas de la République arabe sahraouie démocratique. Un coup d'État téléguidé par le Maroc contre le gouvernement en exil, basé à Tindouf, en Algérie, et dans la seule fin de provoquer la sanction d'un nouveau gouvernement «illégitime», demeure une hypothèse farfelue. D'autant plus que cette suspension n'aboutirait pas à mettre fin à la qualité de membre du pays en question, mais prive seulement «les gouvernements» de «participer aux activités de l'Union africaine». C'est ensuite, comme toute suspension, une sanction temporaire, et le cas de la Guinée-Bissau et de l'Égypte est suffisamment probant à cet égard. En 2014, suite à des élections qui ont eu lieu dans ces deux pays, ils ont en effet pu regagner leurs sièges au sein de l'organisation intercontinentale.

La cessation définitive de la qualité de membre, régie, quant à elle, par l'article 31, n'est pas moins réaliste dans le cadre d'une éventuelle tactique marocaine, puisqu'il s'agit d'une «exclusion volontaire», que le Front Polisario, mouvement politique et armé du Sahara occidental, ne demandera pas.

«Tout État qui désire se retirer de l'Union en notifie par écrit le Président de la Commission qui en informe les États membres. Une année après ladite notification, si celle-ci n'est pas retirée, le présent Acte cesse de s'appliquer à l'État concerné qui, de ce fait, cesse d'être membre de l'Union», dispose l'article 31 de l'acte constitutif de l'Union africaine.

Sortir l'artillerie lourde?

Seule possibilité, dès lors, qui serait ouverte au Maroc, à qui sont imputées de telles velléités, c'est de sortir l'artillerie lourde. En d'autres termes, obtenir la modification des statuts juridiques de l'Union africaine.

Là encore, c'est une procédure complexe, qui se trouvera entravée par de nombreux obstacles. À défaut de pouvoir réunir un consensus sur la question, Rabat devrait pouvoir réunir l'approbation des deux tiers des membres. Une hypothèse théoriquement possible, certes, puisque le Maroc a pu réintégrer l'Union africaine à la faveur de 39 votes positifs, soit deux de plus que les deux tiers requis.

Reste à savoir toutefois si les pays qui n'avaient pas vu, à l'époque, d'inconvénient au retour du Maroc, pourraient cautionner un amendement qui signerait la mort de la RASD en tant que membre de l'UA. Rien n'est moins sûr, dans la mesure «où le lobbying exercé par les Algériens pour empêcher le retour du Maroc au sein de l'UA, en 2017, n'a rien à voir avec celui qu'ils déploieraient pour s'opposer à une éventuelle révision des statuts dans ce sens», estime un fonctionnaire de l'UA désirant garder l'anonymat en raison d'une obligation de réserve.

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Outre l'Algérie, la RASD se trouve particulièrement soutenue par deux autres poids lourds de l'Afrique, le Nigéria et l'Afrique du Sud. En dépit de quelques couacs diplomatiques qui ont terni un partenariat historique, l'axe Abuja-Alger s'est revigoré, ainsi qu'en témoigne la discrète résistance d'Abuja à l'adhésion du Maroc à l'organisation ouest-africaine (CEDEAO). Avec Cape Town, c'est une relation à toute épreuve. Les Sud-africains se souviennent encore aujourd'hui du soutien sans faille apporté par les Algériens à leur lutte contre l'Apartheid. L'exclusion, en 1974, par l'Assemblée générale des Nations unies présidée par Abdelaziz Bouteflika de la délégation ségrégationniste sud-africaine en témoigne amplement. «L'Algérie, c'est mon pays», assenait même Nelson Mandela, à propos de ce pays où il avait reçu sa première formation militaire.

Autre obstacle que pourrait rencontrer Rabat, le fondement juridique sur lequel il baserait un hypothétique élargissement du champ de l'exclusion. Une hypothèse périlleuse, au demeurant, en ce qu'elle pourrait également ouvrir la voie, pour d'autres pays, à des tentatives de ce genre, menaçant par là même le principe de «solidarité», véritable ciment de l'Union africaine amplement consacré par le Préambule de son Acte constitutif.

À défaut, batailler «prudemment»

À l'occasion du dernier sommet de l'UA, tenu fin janvier 2018 à Addis-Abeba, le Maroc a pu prendre place au Conseil Paix et sécurité (CPS), un organe incontournable de l'UA. Une adhésion décidée in extremis, contrairement aux assertions des Marocains, puisque les instruments de ratification du protocole d'adhésion au CPS, de même que leur candidature, ont été déposés quelques jours seulement avant la date limite du 15 novembre 2017, ont indiqué à Sputnik des sources au sein de la Commission de l'UA.

«Désormais, l'objectif poursuivi par Rabat, c'est d'arriver à aligner le discours de l'Union africaine, intransigeant sur la question sahraouie, sur celui de l'ONU, jugée moins offensif», a déclaré le fonctionnaire de l'UA.

Dans cette approche, Rabat pourrait se trouver légèrement avantagé au sein du CPS, puisqu'il saura compter, parmi ses 15 membres, sur le soutien de huit alliés indéfectibles, dont la Guinée équatoriale et le Gabon. Ce qui veut dire aussi que le consensus, qui a été de loin l'instrument privilégié du processus de prise de décision au sein du CPS, pourrait quelques fois laisser place au vote. Ce sera notamment le cas pour trancher des points relatifs à une question aussi clivante que le Sahara, que le Maroc ne manquera pas de soulever quand la présidence du CPS lui échoira. Toutefois, il est à penser que

«Le Maroc opérera prudemment pour ne pas se mettre à dos plusieurs pays du continent. Surtout qu'il est en phase de normalisation avec des pays comme le Nigéria ou l'Afrique du Sud. Les Algériens, qui ont miné le terrain institutionnel par des textes pro-Polisario, voudraient bien, eux, pousser le Maroc à la faute», rajoute la source de Sputnik.

La marge de manœuvre du Maroc se trouvera également limitée par des pratiques «coutumières» régissant le fonctionnement de l'UA. Comme celle faisant de l'ambassade du doyen des représentants permanents de chaque région, le lieu des consultations préalables aux nominations dans certains comités techniques. Or, il se trouve que le plus ancien ambassadeur nord-africain à Addis est justement le Sahraoui, Lamine Aba Ali. «On voit mal l'ambassadeur marocain se déplacer au siège permanent de la RASD. Ce sera, donc, une épine dans le pied du Maroc, et qui limitera son action», prévoit la source de Sputnik.

Reste la question de l'exclusion de la RASD de rencontres africaines auxquelles elle est régulièrement conviée. S'il est exclu que Rabat fasse pression sur un pays hôte d'un sommet de l'UA, la question reste posée pour les sommets dits «de partenariat», tels que la rencontre UA/UE, qui s'est tenue à Abidjan fin novembre 2017. Le refus d'Alassane Ouattara, président ivoirien et non moins ami du Maroc, de cosigner avec le président de l'exécutif africain, selon l'usage, l'invitation officielle de la RASD, avait pointé un risque de blocage.

Finalement, c'est uniquement sur invitation de celui-ci que la RASD a pu prendre part à ce sommet. Reste à savoir si cette pratique fera jurisprudence pour d'autres sommets de partenariat. Pragmatique, le Maroc s'en est finalement accommodé, en raison de l'importance stratégique que revêtait pour lui ce sommet.

«Quand on est au plus haut niveau de représentation diplomatique, le discours marocain est très pesé. Dans les coulisses et lors des réunions de fonctionnaires, c'est complètement autre chose», a résumé la source de Sputnik, en comparant le discours du Roi en janvier 2017 et l'empoignade de Maputo quelques mois plus tard.

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