Dounia Bouzar: «la France doit s’accrocher à ses valeurs, sinon c’est Daech qui gagne»

© AFP 2024 Joel SagetDounia Bouzar
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Malgré des résultats contestés par certains, Dounia Bouzar demeure une figure de la déradicalisation. Elle réagit pour Sputnik à la polémique sur le retour des djihadistes de Syrie lancée par la Garde des Sceaux le 28 janvier. Un prélude à un entretien plus développé sur l’évolution de la radicalisation en France.

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Les faire revenir ou pas? Intervenir s'ils sont condamnés à mort à l'étranger ou non? Les polémiques sur les «revenants» s'enchaînent. Nous avons voulu connaître l'avis de Dounia Bouzar, anthropologue, fondatrice et directrice du Centre de Prévention contre les Dérives Sectaires liées à l'Islam (CPDSI), sur la question.

À la différence du centre de déradicalisation de Beaumont-en-Véron (Indre-et-Loire), fermé en juillet 2017 faute de résultats et de candidats, elle appuie son expertise sur le suivi de plus d'un millier de jeunes radicalisés, pour une large majorité d'entre eux interceptés par les autorités ou leurs familles sur le chemin du Levant. Une mission qui lui avait été confiée durant deux ans par Bernard Cazeneuve, alors Ministre de l'intérieur.

«Le piège de Daech n'est pas uniquement la guerre, c'est aussi la désorganisation de nos systèmes émotionnels et de nos repères civilisationnel et je pense que le danger est de devenir un miroir de Daech […] Daech, c'est un système totalitaire et c'est nous qui perdons si nous ne nous rappelons plus de ce que l'on est. On ne doit pas changer de système législatif et nous mettre en miroir de ce système terroriste. La France est le pays des droits de l'homme et elle doit s'accrocher à ses valeurs civilisationnelles, sinon c'est Daech qui gagne,» estime Dounia Bouzar.

Un avis que semble partager la Garde des Sceaux, Nicole Belloubet, qui annonçait au micro du Grand jury RTL/LCI/Le Figaro être attachée «aux règles du procès équitable» et que par conséquent l'Etat «interviendrait en négociant avec l'État en question» si un djihadiste de nationalité française venait à être condamné à la peine capitale en Irak ou en Syrie, sans toutefois préciser s'il pourrait s'agir d'un rapatriement. Une ligne qui n'est clairement pas partagée par Florence Parly, ministre des Armées, qui lors de ses vœux aux armées, lundi 22 janvier, déclarait que «les djihadistes n'ont jamais eu d'états d'âme, je ne vois pas pourquoi nous en aurions pour eux.»

Il faut dire que les problématiques soulevées par le retour sur le territoire national de tels individus, ayant jurés la perte de notre model civilisationnel, sont évidentes. Comme le souligne d'ailleurs Dounia Bouzar ceux-ci ne peuvent être incarcérés entre eux, ce qui ne mènerait qu'à faire «monter l'exaltation du groupe» et encore moins être éparpillés avec les autres  détenus de droit commun, au risque de voir ces derniers se faire radicaliser.

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Si les méthodes prônées par Dounia Bouzar s'adressent à des jeunes ayant tentés de rejoindre l'Irak et la Syrie, le tout afin de les détourner de la propagande djihadiste, la difficulté n'est plus, de son propre aveu, du même ordre concernant des individus ayant franchi le pas de partir combattre au Levant. Qui plus est lorsqu'ils ont été directement exposés à la cruauté d'organisations terroristes telles que Daech.

«Quand on a tué quelqu'un, dans des conditions de déshumanisation aussi graves, […] je pense que forcément cela doit imprégner le système cognitif et le système neurologique. On ne peut pas du tout penser sortir la personne de son idéologie de son groupe aussi facilement que nous l'avons fait pour des gens qui ne sont pas passés à l'acte.»

Néanmoins, si elle regrette qu'en France, les décideurs politiques ne soient pas toujours en phase avec les travaux des chercheurs, elle estime que l'expertise pouvant permettre d'appréhender de tels individus est à portée de main. Comme pour l'élaboration de sa méthode, basée sur des retours d'expérience, elle plaide en faveur de la prise en compte d'expérimentations passées.

«Je pense que l'on raisonne comme si le djihadisme était quelque chose de particulier. Or, si on reprend d'autres idéologies, d'extrême gauche, d'extrême droite, et bien on a des compétences que l'on peut appeler.»

Le retour en France des djihadistes, un des nombreux aspects de notre entretien avec Dounia Bouzar, sur lequel nous reviendrons en detail prochainement.

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