Le KGB et la CIA, amis jurés et meilleurs ennemis

© AP Photo / Carolyn KasterCIA
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Le 20 décembre marque le 100e anniversaire de la création de la Commission extraordinaire panrusse (Tchéka) qui donnera naissance à tous les services de renseignement soviétiques.

A cette occasion, Alexandre Braterski revient sur l'histoire complexe des relations entre les renseignements soviétiques et américains pendant la Guerre froide, écrit le site d'information Gazeta.ru.

Quelques jours avant la fête professionnelle des tchékistes russes, le président américain Donald Trump a annoncé que la CIA américaine avait fourni à ses homologues russes des informations sur la préparation d'un attentat à Saint-Pétersbourg.

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Ces informations ont permis aux forces de l'ordre russes d'empêcher une explosion et de sauver des centaines de vies. Le président russe Vladimir Poutine a remercié les agents de la CIA en téléphonant à son homologue américain.

Lors de cet échange, Trump s'est probablement souvenu d'un épisode réel de sa propre vie. En 1992, l'homme d'affaires aidait en effet l'équipe du réalisateur russe Leonid Gaïdaï à tourner la comédie Il fait beau à Deribassovskaïa. Dans ce film, il était précisément question de la CIA et du KGB luttant ensemble contre un ennemi commun: la «mafia russe».

Et malgré une certaine imprécision artistique — la CIA est responsable du renseignement extérieur et ne lutte pas contre le crime à l'intérieur du pays — l'histoire de la Guerre froide montre qu'un tel scénario aurait pu se produire. Bien que le KGB et la CIA s'affrontaient durement, tous les éléments étaient réunis: la coopération, l'aide et même des sympathies réciproques entre les agents soviétiques et américains.

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Le sénateur russe Igor Morozov, qui a servi au sein du service de renseignement extérieur du KGB, explique que «différentes phases de relations» se sont enchaînées dans l'interaction avec la CIA. On prenait en général conscience de la nécessité de créer des lignes secrètes quand des cas tragiques se produisaient.

Par exemple, dans les années 1970, les renseignements américains ont éliminé un agent russe dans un pays européen alors que pratiquement en même temps aux USA était abattu un autre officier du KGB. Morozov rappelle que l'URSS avait réagi en adoptant des mesures très sévères, ce qui avait poussé les Américains à engager des contacts officieux.

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Les renseignements ont alors établi une règle tacite: ne pas recourir à l'élimination physique des agents adverses. Et malgré la guerre, même «froide», cette règle est respectée depuis.

Le canal de communication mis en place entre les services soviétiques et américains — une ligne téléphonique cryptée — était officieusement appelé «canal de Gavrilov». Selon une version, cette appellation vient du nom du poète russe Gavriil Derjavine. «Les deux camps utilisaient le canal de Gavrilov pour éviter une crise potentielle dans les relations entre les deux services de renseignement, ainsi que pour évoquer les questions d'intérêt mutuel», dévoilent les analystes de la CIA Milton Bearden et James Risen dans le livre The Main Enemy.

Un canal permanent de liaison entre le KGB et la CIA a été établi au début des années 1980 quand les USA étaient dirigés par le président très conservateur Ronald Reagan, qui qualifiait l'URSS d'«empire du mal». L'initiateur de la mise en place de ce canal était le chef de la CIA William Casey. A la même époque a eu lieu la première rencontre «pacifique» officieuse entre des agents du KGB et de la CIA. Les canaux de liaison officieux ont ensuite été mentionnés dans une interview de Leonid Chebarchine, directeur de la Première direction générale du KGB à l'époque.

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Il expliquait que «parfois l'information était partagée à haut niveau si l'affaire concernait, par exemple, une menace terroriste». Leonid Chebarchine décrivait ces contacts comme «assez efficaces». Les réunions se déroulaient le plus souvent à Vienne, capitale de l'Autriche neutre.

En 1984, les USA ont utilisé ce canal pour demander à leurs collègues soviétiques ce qu'ils savaient de l'enlèvement de William Buckley, chef de poste à Beyrouth kidnappé par le groupe Djihad islamique — une organisation terroriste soutenue par l'Iran, pays qui à l'époque entretenait des relations hostiles aussi bien avec l'URSS qu'avec les USA.

Les agents soviétiques avaient alors promis leur aide mais l'agent américain n'a pas pu être sauvé: il est mort torturé par ses ravisseurs.

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La Guerre froide ne laissait pas de place aux sentiments, ni aux USA ni en URSS. La confrontation entre les superpuissances se déroulait essentiellement sur le territoire de pays tiers. Mais cela n'empêchait pas les adversaires de se traiter avec un certain respect. «Je me souviens que les agents soviétiques de la GRU et du KGB contre lesquels je travaillais étaient très professionnels. Beaucoup d'entre eux étaient mieux préparés que les officiers de la CIA», se souvenait dans une interview l'ex-officier supérieur de la CIA Philip Giraldi.

Ce dernier expliquait que quand il travaillait en Turquie, il déjeunait même parfois avec un officier de la GRU (direction générale des renseignements de l'état-major des forces armées russes) de l'ambassade d'URSS à Istanbul. «Il parlait mieux turc que certains Turcs», se souvient le vétéran de la CIA.

Après l'arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev, les contacts entre la CIA et le KGB via le «canal de Gavrilov» se sont intensifiés. On a même fait état de cas insolites. Après la réunion des chevaliers américains et soviétiques «de cape et d'épée» à Helsinki en 1989, le directeur du contrespionnage américain de l'époque, Gus Hutaway, avait oublié son portefeuille dans la pièce. Les officiers du KGB avaient dû le poursuivre à travers toute la ville pour le rendre à leur collègue maladroit.

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A la fin des années 1980, les vétérans du KGB et de la CIA organisaient également des réunions officieuses qui, selon les souvenirs des participants, se déroulaient dans une ambiance conviviale.

Les anciens chevaliers de Guerre froide reconnaissaient éprouver un respect mutuel et observaient avec crainte le monde qui changeait rapidement autour d'eux. De nombreux professionnels pensaient que la coopération entre les services de renseignement ne devait pas se limiter seulement à l'échange d'informations. «La CIA et le SVR (Service des renseignements extérieurs) doivent organiser des opérations conjointes pour empêcher l'éventuelle apparition de foyers de terrorisme», écrivait l'ancien résident soviétique aux USA Viktor Tcherkachine dans son livre coécrit avec le journaliste américain Gregory Fifer.

Des anciens agents de la CIA et du KGB, qui se faisaient appeler «Old Boys», ont même créé un groupe de travail conjoint appelé à élaborer des recommandations pour les gouvernements des deux pays. Les propositions d'échanger des informations entre les renseignements ont été posées sur la table de la direction de la CIA et du chef tout-puissant du KGB de l'URSS, Vladimir Krioutchkov.

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Malgré son image d'homme dogmatique, ce dernier, surnommé «le comptable», avait conscience de la nécessité de coopérer avec les Américains.

Comme l'affirme l'historien du renseignement Steve Coll dans son livre Les Guerres secrètes de la CIA, début décembre 1987 Vladimir Krioutchkov a rencontré son collègue le puissant directeur adjoint de la CIA Robert Gates dans un restaurant à Washington. L'URSS disposait d'un agent haut placé à la CIA, Aldrich Ames, qui était responsable du contre-espionnage américain par rapport à l'URSS.

Cela donnait un certain avantage à Vladimir Krioutchkov sur son interlocuteur. Mais, écrit Coll, il avait besoin de l'aide des USA pour trouver une issue politique à la situation en Afghanistan. Les Américains ont accepté d'aider mais même quand la décision a été prise l'entente n'a pas été entièrement respectée: les moudjahidines soutenus par la CIA attaquaient périodiquement les convois militaires soviétiques.

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Même après le retrait du contingent russe, dans les années 1990 les renseignements des USA et de la nouvelle Russie continuaient de coopérer. Le sénateur Morozov se souvient d'un cas en particulier, quand des résidents américains avaient demandé de l'aide à leurs collègues russes pour trouver des collaborateurs de la Croix-Rouge qui avaient été kidnappés.

Ils avaient disparu sur le territoire contrôlé par les troupes du président Mohammad Najibullah loyal envers la Russie. Le personnel a été retrouvé et la CIA a exprimé sa grande gratitude, se souvient Igor Morozov.

L'expert conclut que même si «la confrontation des renseignements continuera d'exister, les États qui mènent une politique active pourraient parfois avoir des intérêts communs».

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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