Chacun y est allé de son petit commentaire à chaud, mais c'est à tête reposée qu'Hervé Mathoux, présentateur du Canal Football Club et figure emblématique du journalisme sportif français, a préféré partager son analyse footballistique au cours d'une interview exclusive. En jeu, bien sûr, les résultats du tirage au sort pour les phases finales de la Coupe du monde 2018, qui s'est déroulé au Palais du Kremlin le 1er décembre dernier.
Sputnik: Le Maroc dans le groupe B avec le Portugal, l'Espagne et l'Iran:
Hervé Mathoux: Je trouve que le Maroc est tombé dans un groupe très, très, très difficile. Le Portugal et l'Espagne sont costauds et je pense que l'Iran fait vraisemblablement partie des équipes qui sont sous-estimées à cause de la méconnaissance du football iranien, mais c'est une équipe qui, à mon avis plus que le Maroc, peut créer la surprise dans ce groupe B.
Je dirais qu'à supposer que l'Espagne et le Portugal se fassent du mal l'un l'autre, je vois plus l'Iran en profiter que le Maroc. La sélection marocaine arrive avec pas mal d'inexpérience et je ne les sens pas capables de sortir de ce groupe. J'espère me tromper pour eux.
Sputnik: La France dans le groupe C avec l'Australie, le Pérou et le Danemark:
Le Pérou faisait partie dans son tableau des équipes les plus prenables, l'Australie aussi. Le Danemark est une bonne équipe, mais rien d'insurmontable. Les Français devraient pouvoir s'extraire. Je ne dis pas aisément parce que je pense que ce n'est jamais facile, mais la France devrait sortir de ce groupe en première position avec en plus un ordre des matches qui lui est favorable. On va crescendo, en commençant par l'Australie, qui est en théorie le plus faible des trois, le Pérou et le Danemark. On les prend par ordre de qualité et c'est une bonne chose.
Sputnik: La Suisse dans le groupe E face au Brésil, au Costa-Rica et à la Serbie:
C'est un groupe extrêmement homogène, extrêmement compact, difficile. Et la Serbie et le Costa-Rica sont de bonnes équipes; la Suisse a une bonne équipe également. Pour moi c'est du 33,33 pour les trois. Ils ont tout à fait leurs chances de sortir de ce groupe, même si ce ne sera pas facile.
Sputnik: La Belgique et la Tunisie dans le groupe G aux côtés de l'Angleterre et du Panama:
H.M. À propos de la Belgique et de la Tunisie qui cohabitent dans le groupe G… Je pense que c'est un bon tirage pour les Belges, parce que l'Angleterre semble avoir une bonne équipe cette année, mais n'est pas insurmontable. Le Panama et la Tunisie sont assez largement en retrait. Je pense que la Belgique sortira de ce groupe.
Je pense surtout —et c'est valable pour la Tunisie et pour le Maroc- que la difficulté de ces nations est de faire la part des choses entre la satisfaction de faire un retour en phase finale et l'attente énorme de leurs opinions publiques, souvent persuadées que leur équipe va aller très loin et qui exercent indirectement une forte pression sur les équipes. Je pense donc que les Tunisiens vont avoir du mal à sortir du groupe.
Sputnik: Le Sénégal dans le groupe H avec la Pologne, la Colombie et le Japon:
Sputnik: Auriez-vous un commentaire sur la sélection russe? Sa forme, ses individualités qui vous ont marqué, ses chances de se qualifier? Vous risqueriez-vous à donner un pronostic?
Je constate quand même des résultats un peu inquiétants: des défaites contre le Costa-Rica, la Côte d'Ivoire, le Qatar, qui laissent à penser qu'ils ont du mal à être constants. La Coupe des confédérations n'a pas été rassurante, loin de là! Je pense que c'est une équipe qui part avec assez peu de certitudes.
Ils ont quelques joueurs de valeur —je pense à Smolov par exemple. Ça va être nouveau pour eux de gérer la pression inhérente au fait qu'on accueille la Coupe du monde et que l'opinion publique/le peuple peut exercer. Et Dieu sait que le peuple russe est nombreux derrière son équipe. C'est une nation qui ne fait pas partie des équipes majeures dans les classements FIFA et qui a surtout du mal à rester constante.
Après, c'est difficile de faire des pronostics. Ils peuvent tomber sur l'Espagne, ils peuvent tomber sur le Portugal, sur l'Iran. Un Russie-Iran en huitièmes de finale serait une bénédiction pour eux s'il y avait une surprise dans le groupe B. Ils pourraient avoir un parcours qui les emmène loin, mais également croiser l'Espagne ou le Portugal dès les huitièmes. Ça va dépendre de ce qu'il se passe… S'ils y arrivent, ce sera la France ou l'Argentine ensuite.
Vu les tirages, personne ne comprendrait que la Russie ne soit pas présente dans la 2e phase. Arriver en quarts serait déjà une Coupe du monde réussie, compte tenu des résultats très irréguliers ces dernières années et qu'ils n'ont pas de joueurs de classe mondiale, classés parmi les 20 ou 30 meilleurs mondiaux.
Sputnik: Qui, de l'équipe de France ou de Belgique, est en meilleure forme actuellement selon vous?
H.M. La forme actuelle n'a pas beaucoup d'importance. Ce qui va compter, c'est la forme en juin. Le champion du monde est champion pour quatre ans, mais ça n'en reste pas moins un tournoi ponctuel d'un mois qui sacre l'équipe la plus en forme sur un mois. Plein d'éléments vont peser sur la forme des nations: la saison des joueurs individuels, ceux qui vont aller loin en Ligue des champions, etc.
Ce sont deux équipes à fort potentiel. J'aurais tendance à placer la France un peu au-dessus de la Belgique, mais à pas grand-chose. Ils ont des individualités très fortes, ils travaillent bien aussi. Pour moi, l'un et l'autre font partie des nations juste au-dessous des favoris traditionnels, comme l'Allemagne et le Brésil. Mais avec malgré tout un peu plus d'expérience chez les Bleus. Les deux équipes ont moyen de se retrouver en quarts de finale. Après c'est un match de foot, c'est la manière dont ça se passe, les aléas de la compétition, c'est très difficile à pronostiquer.
Sputnik: Quelle équipe vous a personnellement particulièrement séduit durant les phases de qualification?
H. M. Deux ont été particulièrement brillantes lors des phases de qualification, mais je vais en citer trois.
L'Allemagne est mon deuxième pays. Ils ont fait une phase de qualification parfaite si je ne me trompe pas: dix matches, dix victoires me semble-t-il. Les Allemands sont toujours impressionnants en qualification. Ils sont mûrs, ils ont une génération qui arrive à maturité, avec des jeunes bien intégrés. Pour moi les deux favoris sont là.
Et puis j'ai envie de citer l'Islande, qui est le plus petit pays au niveau démographique à participer à la Coupe du monde et qui a fait fort en confirmant un Euro qui était déjà exceptionnel. C'était une grosse performance de participer à l'Euro. Ils enchaînent derrière sur une première Coupe du monde, qui plus est en sortant d'un groupe extrêmement difficile avec la Turquie, la Croatie et l'Ukraine. C'était très compliqué et ils sont sortis sans même passer par les barrages.
C'est une performance exceptionnelle. Les Islandais vont découvrir la Coupe du monde deux ans après avoir découvert l'Euro. Le rêve continue et ils ont une vraie valeur. On ne peut pas penser que c'est du hasard quand on fait deux performances de suite comme ça.