Crise de l'ordre libéral international
Pour Xin Zhang, professeur d'économie politique à l'École normale supérieure de l'Est de la Chine, l'ordre libéral international est en crise profonde. Selon lui, les trois piliers de cet ordre, l'ouverture économique, la démocratie libérale et le respect de ses règles par les acteurs de ce système, sont contestées pour différentes raisons.
Paradoxalement, ce sont les États-Unis qui, par leur isolationnisme et leur protectionnisme, sapent aujourd'hui activement les principes de la mondialisation économique, indique l'expert. Dès après sa nomination, Donald Trump a annoncé la sortie de Washington de l'accord de partenariat trans-pacifique (TTP) qui instaurait des règles de libre-échange dans la zone Pacifique. Les États-Unis insistent par ailleurs pour que l'Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) soit révisé. Parallèlement, des pays à forte croissance économique, tels que la Chine, soutiennent le processus de la mondialisation économique, souligne M. Zhang.
Quant à la démocratie libérale, le point le plus contestable de ce pilier de l'ordre actuel réside dans les efforts des États occidentaux à diffuser ce modèle politique dans un système global fonctionnant conformément à d'autres principes, et dans les systèmes politiques des pays non-occidentaux. Une telle politique, accompagnée par la violation de la souveraineté nationale et les changements brutaux de régimes, ne fait que déstabiliser ce même ordre libéral, constate l'expert.
Les USA ne seraient-ils plus le premier violon du concert international?
Contrairement à son collègue chinois, Alan Cafruny, expert en relations internationales et en politique européenne à l'Hamilton College (New York), estime que ces tendances ne mènent pourtant pas à des changements majeurs dans l'ordre international libéral et ne menacent pas les positions américaines.
Selon lui, Washington, qui demeure la première économie du monde avec près de 25% du PIB mondial, qui parvient à conserver au dollar son statut de monnaie de réserve globale et qui possède un potentiel culturel considérable, a toutes les chances de rester le maître du jeu sur l'échiquier mondial.
En ce qui concerne la politique extérieure de l'administration Trump qui semble saper l'ordre libéral, il s'agit d'un défi pour les élites américaines, mais pas pour l'ordre international.
Les décisions de Trump lourdes de conséquences, telles que la sortie de l'accord nucléaire iranien, l'exacerbation des tensions avec Pyongyang et le fait de reconnaître Jérusalem comme capitale de l'État hébreu, sont des gestes symboliques qui ne changeront pas sérieusement l'équilibre international, indique le spécialiste.
Il compare la présidence de Trump à celle de Ronald Reagan, entre lesquelles il ne relève qu'une seule différence.
«Son protectionnisme ressemble à celui de l'administration Reagan, mais il [Trump, ndlr] est hors de l'establishment», explique l'expert américain.
La transformation de l'ordre mondial serait-elle tout de même pour demain?
Dmitri Suslov, américaniste à l'École des hautes études en sciences économiques (EHESE) de Moscou, est parmi ceux qui pensent qu'un nouvel ordre international est proche. Il se focalise sur l'adaptation des États-Unis aux réalités géopolitiques de la transition vers un nouveau système international qui, pour lui, est un des principaux défis auquel le monde est confronté.
«Il est absolument clair que les États-Unis résistent aux changements et que cette adaptation sera extrêmement difficile et pénible, pour eux-mêmes et pour le monde entier», constate M. Suslov.
La politique de Washington dans un monde instable serait déterminée par deux groupes de facteurs: les uns, extérieurs, comme l'équilibre des pouvoirs, la demande de leadership américain; les autres, intérieurs, comme la capacité de Washington à assurer ce leadership et le consensus entre les élites sur sa politique internationale, explique l'expert.
Tous ces facteurs connaissent actuellement de graves perturbations, selon lui.
Les facteurs extérieurs sont en crise profonde depuis la présidence de George W. Bush.
«Il est évident que les États-Unis sont incapables de transformer le monde de façon à ce qu'il serve leurs intérêts. Il est tout aussi clair qu'ils sont incapables de soutenir l'équilibre régional. Le Moyen-Orient en est la meilleure illustration, en plus, les États-Unis ne peuvent pas entraver l'ascension de la Chine», souligne M. Suslov.
Cette crise intérieure ne s'achèvera pas avec la présidence de M. Trump puisque son accession au pouvoir n'est pas la raison de cette crise, mais la conséquence du clivage profond qui mine la société américaine, estime l'expert russe.
Ainsi, l'incertitude dans la politique extérieure de Washington et la crise politique et sociale à laquelle sont confrontés les États-Unis affaibliront encore l'ordre mondial actuel, mais n'ajouteront ni stabilité et ni volonté de trouver un compromis dans la construction d'un nouvel ordre mondial.