L'huile d'olive fait partie des joyaux de l'agro-industrie tunisienne: avec l'exportation de 200.000 tonnes en ligne de mire, la récolte de cette année devrait battre des records. Au même titre que ce produit, dont les bienfaits sur la longévité sont désormais établis, le Président tunisien Béji Caïd Essebsi a ramené, lui aussi, un nouveau record à son pays.
Chez les Grecs anciens, l'huile d'olive occupait une place centrale dans les mets et la médecine. On rapportait que Platon prodiguait son enseignement à l'ombre d'un olivier planté dans les jardins de son Académie. Ç'aurait été sous ce même olivier, si l'on pousse l'Histoire antique dans ses retranchements les plus improbables, que le philosophe aurait produit quelques réflexions sur les mérites de la gérontocratie. Élément déclencheur, une olive qu'il reçut sur la tête.
Si l'on devait «s'interroger sur le sous-jacent psychologique» de la popularité du Président (une formule du «très» jeune Macron qui passera à postérité), on pourrait pencher pour une repentance collective du peuple qui a applaudi, en 1987, la chute de Bourguiba, lequel reprend peu à peu ses droits dans la nouvelle Tunisie. Une pénitence massive, avec des isoloirs pour seuls confessionnaux, où se sont succédé, fin 2014, les bulletins favorables à BCE, qui a accordé l'absolution à 55,6% des électeurs.
Avant même la chute de Bourguiba, et même son accession au pouvoir, c'est dans ce pays, se voulant le plus émancipé parmi les Nations, que le dernier roi Lamine Bey entreprit, disait-on, de désigner son fils, Chedly, Bey du camp (prince héritier). Le saut générationnel n'aboutit pas, alors que la transmission du trône se faisait jusque-là latéralement, par rang d'âge. Le sort misérable qui frappa, après ces intrigues de palais, la dynastie husseinite, aurait-il fini par dissuader à jamais la conscience collective tunisienne de chercher le salut chez les moins vieux?
C'est que, du haut de ses 42 ans, Youssef Chahed, le chef du gouvernement a été promu à ce poste à la surprise générale, par le seul fait du prince. Et ce n'est certainement pas cet ingénieur agronome de formation (qui pourra donc confirmer ès qualité les vertus de l'huile d'olive), qui reprendra la malheureuse formule de Jospin à l'encontre de Chirac, en 2002. Et pour cause, Caïd-Essebsi et Chahed ramènent à eux deux l'âge de l'exécutif tunisien dans une moyenne mondiale tout à fait acceptable (91 + 42/2= 66,5 ans).
La Tunisie, ce pays de toutes les exceptions, y compris celles s'enclenchant à rebours de l'Histoire, alors qu'une nette tendance au rajeunissement des dirigeants se dégage, même dans le monde arabe. Ainsi, face à des pays du Golfe en plein rajeunissement de leurs élites les Tunisiens deviennent-ils subitement jaloux de leur «modèle» gérontocratique.
C'est vrai qu'en Tunisie, on s'est toujours senti plutôt proche du voisin algérien, qui constitue la véritable profondeur stratégique du pays. On prendra garde, tout de même, à ne pas se retrouver noyés dans les mêmes profondeurs: «la vieillesse (commune) est un naufrage», disait le général de Gaulle, qui au moment de quitter les affaires, en 1969, laissait Abdelaziz Bouteflika à la tête de la diplomatie algérienne. C'est ce même Bouteflika, alors âgé de 77 ans et très affaibli, qui prit part à la présidentielle de 2014 en fauteuil roulant. Et puis, entre Algériens et Tunisiens, c'est là encore une histoire commune d'isoloirs où l'on déverse abondamment ses «Confessions» depuis Saint-Augustin dont la paternité est revendiquée par les deux pays.
Mais pourquoi donc aller s'inquiéter de l'âge du Président quand celui-ci fait feu de tout bois pour «faire tourner la roue»? Réunions quotidiennes, déplacements officiels et même quelques décisions perçues comme historiques: Béji Caïd Essebsi garde la main sur tout. Il restera, certes, à combler certaines lacunes sur la politique africaine, puisque les relations avec le Zimbabwe restent quasi-inexistantes, la concurrence gérontocratique n'ayant pas créé suffisamment d'affinités.
L'âge du Président n'est-il donc qu'un simple détail? Que nenni! D'abord parce qu'il inspire des réformes publiques, avec l'âge de la retraite repoussé à 62 ans, une réforme qui ne concerne donc pas la magistrature suprême… Et puis, alors que l'opposant Moncef Marzouki, a déclaré urbi et orbi qu'il s'occuperait de son potager et ne se représenterait pas en 2019, le voilà qui revoit ses ambitions à la hausse, alors que sa cote est à la baisse. Mais à 72 ans, l'ancien challenger de BCE a encore la vie devant lui. Originaire du Sud du pays, il opposera peut-être à l'olivier millénaire le dattier centenaire (manque de pot, celui-ci a déjà été choisi comme emblème du parti de BCE dans un souci de maximiser ses chances en matière de longévité).
«Révolution des jeunes!», rappelle-t-on, toujours excédés par ce Président d'un autre âge qui confond François Hollande avec François Mitterrand lors d'une rencontre officielle. En même temps, point de Daniel Balavoine dans l'assistance pour lui apporter une réplique des plus cinglantes:
Alors on s'en accommode et puis le vénérable BCE fait bénéficier le pays d'un capital sympathie sur la scène internationale. L'ancien Président américain Barack Obama ne lui avait-il pas posé la question au sommet du dernier G20 à Berlin: «Quel est donc le secret de votre bonne santé?» On attendra les Mémoires de l'ex-Président américain pour confirmer qu'il s'agit bien de l'huile d'olive.
En attendant, la Tunisie est devenue le deuxième exportateur mondial de cette denrée, après l'Espagne. Dans les plaines de Kairouan, de Sfax, de Sousse, où les oliviers se dorent au soleil, on parie, pour l'année prochaine, sur un scénario à la zimbabwéenne qui frapperait Madrid. Que Dieu garde Sa Majesté Felipe VI contre les turpitudes de son armée, c'est seulement une première place d'exportateur d'huile d'olive pour la Tunisie qui est souhaitée!