Branle-bas de combat en Tunisie pour faire revenir les touristes! Fer-de-lance de cette offensive, la diplomatie tunisienne s'active pour que le pays soit rayé définitivement de la liste des destinations à risque.
«C'est une question de sécurité nationale», glisse un responsable au ministère des Affaires étrangères à Sputnik.
Dans les locaux de ce département, le ministre Khemaïes Jhinaoui a accueilli lundi, entre deux déplacements, son homologue polonais. Après avoir évacué la traditionnelle «coopération bilatérale dans tous les domaines», c'est tout naturellement qu'on en vient à la question cruciale du tourisme. Et pour cause, la Tunisie figure depuis longtemps parmi les destinations les plus prisées des touristes polonais. Seul hic, les restrictions toujours imposées par Varsovie lesquelles, sans interdire la destination à leurs ressortissants, en brident tout de même les flux.
«La Tunisie est aujourd'hui un pays sécurisé, plusieurs pays sont revenus sur ces consignes (défavorables). Nous espérons que la Pologne fera la même chose»,
a justifié Khemaïes Jhinaoui dans un point de presse avec son homologue Witold Waszczykowski. De fait, la Pologne avait déjà assoupli, en août dernier, ses consignes à destination de ses ressortissants désirant se rendre en Tunisie. Le pays du jasmin n'est plus une destination dangereuse, ce qui était le cas selon les Polonais juste après la vague d'attentats terroristes de 2015, mais un pays où il convient tout de même de s'armer de beaucoup de précautions. «Notre ambition est que ces consignes s'améliorent encore plus pour que la Pologne retrouve pleinement sa place dans le marché touristique tunisien», a prêché Khemaïes Jhinaoui.
Arriver à faire reconsidérer l'ensemble des restrictions de voyage à l'échelle internationale, telle est l'ambition affichée par la Tunisie, en quête d'une bouffée d'oxygène, alors que le tourisme représente en moyenne 7% du PIB du pays.
«On est conscient que les mises en garde ciblées [déconseillant certaines régions, ndlr] pourront mettre du temps à être levées. Mais l'objectif, c'est d'amener les différentes recommandations générales vers une vigilance normale, au lieu d'une vigilance renforcée»,
a précisé à Sputnik Bouraoui Limam, directeur de l'information et de la communication du ministère tunisien des Affaires étrangères. Ces restrictions couvrent en effet un large spectre, qui va des avertissements déconseillant formellement le pays dans son ensemble, quitte à annuler des voyages déjà réservés, à l'appel à la vigilance, normale ou renforcée, en passant par des mises en garde concernant uniquement certaines régions.
«Aujourd'hui, il n'y a plus de recommandation formelle d'ordre général déconseillant toute la Tunisie en tant que destination, se réjouit un responsable au ministère du Tourisme dans une déclaration à Sputnik, mais simplement des avertissements touchant certaines régions.»
La formule la plus sévère, appelée abusivement «interdiction», faisait que les Tours operator ne pouvaient plus engager de frais d'assurance, désormais revus à la hausse. Ils déprogrammaient ainsi la destination, réduisant les départs vers le pays en question aux simples initiatives individuelles.
Ces avertissements partiels, de même que les appels à la vigilance renforcée, sont légion. Ils concernent aussi les partenaires classiques de la Tunisie, à commencer par la France. «Les ressortissants français (…) sont appelés à faire preuve de vigilance renforcée», peut-on lire par exemple sur le site du Quai d'Orsay. Le Canada appelle ses citoyens à «faire preuve d'une grande prudence» en assortissant ce conseil «d'avertissements régionaux». C'était également le cas, l'été dernier, des pays scandinaves, quand ils ont levé leurs restrictions de voyage vers la Tunisie.
La Russie affiche aussi des avertissements liés à «la persistance de la menace terroriste» en Tunisie, mais n'en a pas moins acheminé, en 2016, près de 624.000 touristes vers ce pays. «Un chiffre record, qui a permis, avec les touristes algériens, de sauver la saison», d'après Mohamed Mzah, aujourd'hui consultant international en transport aérien et en tourisme, après avoir été au sein de la compagnie nationale Tunisair, l'artisan de l'ouverture de la ligne Tunis-Moscou en 2010.
Certes, ce flux résultait en grande partie de la réorientation des touristes devant se rendre en Turquie vers la Tunisie, à la suite d'une crise diplomatique entre Moscou et Ankara. Toutefois, les quelque 513.300 visiteurs russes affichés jusqu'au 20 novembre de cette année par le ministère du Tourisme donnent plutôt raison à Mzah, qui estime que
«l'avenir du tourisme tunisien est avec la Fédération de Russie et plus généralement l'Europe orientale notamment l'Ukraine et la Pologne.»
Entre-temps, on s'active côté tunisien. Les différents assouplissements ont été le résultat de la mise en place, à un niveau interministériel, d'un comité regroupant les départements de l'intérieur et du tourisme. Objectif, arriver à atteindre les standards internationaux en matière de sécurité touristique pour rassurer «les bailleurs de touristes».
En 2015, la Tunisie a été frappée par trois attentats terroristes qui ont fait plus de 70 morts en l'espace de huit mois seulement. L'attaque djihadiste au musée Bardo, ainsi que celle qui a frappé un hôtel dans la station balnéaire de Sousse visaient particulièrement les touristes. Le troisième attentat a visé, quant à lui, un bus de la garde présidentielle et a fait une dizaine de morts.
En attendant, des centaines de milliers de familles dont le tourisme, qu'il soit saisonnier ou annuel, formel ou informel, constitue le gagne-pain, souffrent des fragilités qui frappent le secteur. Plusieurs hôtels jouent leur va-tout pendant la période estivale, pour fermer leurs portes dans les mois qui suivent.
«C'est absolument injuste. La France a été frappée par des attentats autrement plus récents et plus meurtriers. L'état d'urgence y sévit aussi. A-t-on pour autant déconseillé de se prendre en photo au pied de la tour Eiffel?» se demande Ali Dhaou, chef animation dans un hôtel de l'île de Djerba.