Attentat contre le président rwandais: «il s’agit de nier le rôle de la France»

© AFP 2024 Phil Moore Rwanda
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Jacques Morel, auteur notamment du livre « La France au cœur du génocide », spécialiste sur le Rwanda. Il a rassemblé durant douze ans plusieurs documents sur l’implication de la France au Rwanda. Il a répondu par écrit à nos questions.

C'est un énième rebondissement dans l'instruction sur les causes de l'attentat de 1994 qui provoqua la mort de l'équipage français de l'avion du président rwandais, Juvénal Habyarimana, de la mort de ce dernier et de son homologue burundais. Un attentat qui est considéré comme le point de départ du génocide rwandais. Cette instruction a été ouverte 4 ans après les faits. Il est important de rappeler qu'il existe deux thèses concernant les responsabilités, la première décrit la France comme responsable (thèse défendue par notre intervenant) et la seconde qui implique les Tutsis.

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C'est dans un climat diplomatique tendu entre le Rwanda et la France, que les juges Nathalie Poux et Jean-Marc Herbaut ont convoqué le ministre de la défense rwandais, James Kabarebe, pour une confrontation avec un nouveau témoin accusant l'ancienne rébellion tutsi, dirigée à l'époque par l'actuel président rwandais, Paul Kagamé, d'être responsable du tir de missile ayant abattu l'avion présidentiel. Une convocation qui passe très mal au Rwanda, en témoigne l'interview paru dans Le Monde de la ministre des affaires étrangères rwandaise, Louise Mushikiwabo, qui voit dans ce développement judiciaire l'influence de « certains responsables [français] qui étaient les soutiens d'un régime qui a commis un génocide, et qui essaient depuis vingt-trois ans de cacher leurs traces, de brouiller les pistes »

Question: Comment peut-on expliquer ce énième rebondissement dans l'instruction?

Jacques Morel: «Cette instruction a été ouverte 4 ans après les faits, les familles ayant été priées de ne pas déposer plainte. La formation d'une mission d'information parlementaire en 1998 a provoqué l'ouverture de cette instruction, l'enquête judiciaire permettant de limiter le champ d'investigation parlementaire.

En montrant que les tirs de missiles étaient partis du camp militaire de Kanombe ou de son voisinage immédiat, les experts mandatés par les juges Trévidic et Poux ont confirmé ce que l'on savait déjà: que l'attentat contre le président Habyarimana a été organisé par des militaires rwandais qui refusaient la mise en application des accords de paix d'Arusha, c'est-à-dire par l'arrivée du FPR au gouvernement (5 portefeuilles) et la fusion des deux armées.

Mettre en cause des militaires rwandais c'est mettre en cause la France. D'une part, ce sont des officiers français qui commandaient les opérations de l'armée rwandaise et qui avaient accès à toutes les écoutes des services de renseignement.

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Et d'autre part, les militaires rwandais ne savaient pas régler l'artillerie donnée par la France, comment pouvaient-ils tirer des missiles? (c'est ce que dit l'ancien ambassadeur Martres.

Ce sont certainement des spécialistes de tirs de missiles envoyés par la France qui ont été introduits dans ce camp Kanombe.

Question: Pourquoi est-il si compliqué pour la justice de faire la lumière sur les responsabilités durant le génocide?

Jacques Morel: «Il ne s'agit pas de la justice mais de la justice française. Un juge est un fonctionnaire, non seulement il espère bénéficier de sa retraite mais il estime également qu'il y a droit pour la vie.

L'État français est impliqué au plus haut niveau dans cet attentat même s'il a pu être commis par des mercenaires étrangers».

Question: Pensez-vous que cette convocation puisse être une manœuvre diplomatique afin de minorer le rôle de la France dans le génocide?

Jacques Morel: «Il s'agit de nier le rôle de la France tout simplement.

Hormis la responsabilité française dans l'attentat, jamais les politiciens extrémistes Rwandais n'auraient pu former un gouvernement en un jour s'il n'y avait pas eu l'ambassadeur de France qui a su imposer un gouvernement MRND-Hutu Power, le Hutu Power étant constitué des fractions anti-tutsi des partis opposés à Habyarimana et le MRND étant l'ancien parti unique de ce dernier.»

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Question: Avec une rencontre avec Paul Kagamé, pensez-vous qu'Emmanuel Macron peut être le président qui améliorera les relations avec le Rwanda? Et permettra d'accélérer les choses, peut-être en explicitant le rôle de la France, si elle a joué un rôle, dans cette affaire?

Jacques Morel: «Je voudrais espérer qu'Emmanuel Macron sorte la France de ce « bourbier ».

Cette guerre sourde que nourrit la France contre le Rwanda depuis 23 ans plombe notre pays. Il suffit de voir le dynamisme actuel du Rwanda et de comparer avec les autres pays africains qui restent sous domination française.

Mais l'entourage de M. Macron, en particulier M. Le Drian, n'est pas prêt à faire cette révision des événements de 1994 et ce n'est pas l'opposition qui l'y poussera.»

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