Les USA réussiront-ils à déloger la Russie du marché indien de l'armement?

© AFP 2024 Manjunath Kiran Vikrant
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La marine de l'Inde, qui s'est développée à travers l'histoire en recourant activement aux technologies étrangères, recherche en permanence de nouveaux partenaires et fournisseurs de savoir-faire.

Aujourd'hui, l'image de la flotte indienne est déterminée avant tout par l'influence russe et européenne, mais les USA tentent activement d'entrer sur ce marché. Arriveront-ils à évincer la Russie et l'Europe sur le marché naval indien? Selon Izvestia.

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En octobre 2017, plusieurs médias ont annoncé que les USA étaient prêts à livrer à l'Inde des catapultes électromagnétiques EMALS — un tout nouveau dispositif actuellement à l'essai sur les polygones terrestres et sur le récent porte-avions américain Gerald Ford. Cette proposition a constitué un nouveau pas des USA sur le long chemin pour gagner leur place sur la liste des principaux fournisseurs de la marine indienne.

Du Royaume-Uni à la Russie

L'aviation navale, ou Naval Air Arm, est l'une des principales composantes des forces navales indiennes. L'Inde prête beaucoup d'attention à la construction de sa flotte aéronavale, surtout depuis que la Chine a commencé de se pencher sur le développement de ces navires. Les USA sont le leader mondial incontesté dans la construction de porte-avions et le développement de l'aviation navale, mais ces dernières décennies l'Inde a surtout fait appel au Royaume-Uni, qui lui a vendu ses deux premiers porte-avions et les avions appropriés, puis la Russie.

Dans l'aviation embarquée indienne, l'ère britannique a duré plus d'un demi-siècle: de 1961, quand l'Inde a reçu son premier porte-avions Vikrant (ancien navire de Sa Majesté Hercules), à 2017, quand le deuxième porte-avions Viraat (également un ancien navire de Sa Majesté Hermes transmis à l'Inde en 1985) a été officiellement retiré du service. En 2013, avec la transmission du porte-avions Vikramaditya (un porte-avions soviétique Amiral Gorchkov reconstruit), a commencé l'ère russe qui devrait manifestement durer étant donné que le projet 71 de porte-avions indien, baptisé Vikrant en hommage à son prédécesseur, a été construit avec l'utilisation du complexe aéronautique russe et de plusieurs autres technologies et systèmes. Ces deux navires — le Vikramaditya fourni en 2013 et le Vikrant en construction — utilisent également le matériel aérien russe: les chasseurs MiG-29K/KUB et les hélicoptères Kamov.

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Compte tenu des délais de service des porte-avions modernes, la période russe des forces aéronavales indiennes s'éteindra très probablement dans la seconde moitié du XXIe siècle, mais New Delhi compte poursuivre le développement de cette classe de navires et recherche déjà des partenaires pour construire une unité navale plus grande et plus puissante qui rejoindra le Vikramaditya et le Vikrant dans la flotte.

Parmi les partenaires potentiels pour la construction du nouveau bâtiment — dont plusieurs sources pensent qu'il sera baptisé Vishal — sont étudiées les candidatures de toutes les principales puissances européennes ayant une expérience de construction de porte-avions, ainsi que celle de la Russie. De facto, il est question d'une compétition entre la Russie, les USA et d'éventuels consortiums avec la participation de puissances européennes.

Le miracle électromagnétique

Plusieurs facteurs détermineront le choix de tel ou tel partenaire par New Delhi pour la construction du nouveau porte-avions, le cinquième au total — le deuxième de sa propre construction et le troisième pour la composition contemporaine de la flotte.

La Russie est avantagée par son expérience pratique de coopération et la disposition de Moscou à partager ses technologies — ce que ne sont pas prêts à faire tous les partenaires étrangers. Les USA, pour leur part, offrent potentiellement un meilleur éventail de technologies — y compris la présence d'un chasseur embarqué de 5e génération, les catapultes EMALS déjà mentionnées et d'autres systèmes. Parmi les avantages de la France ou d'un éventuel consortium européen on peut citer l'expérience de coopération, un niveau technologique relativement élevé et la volonté traditionnelle de l'Inde de diversifier ses fournisseurs.

La manœuvre des USA, qui promettent de fournir des catapultes électromagnétiques, n'est pas la première tentative de Washington d'imposer sa version de porte-avions pour la marine de l'Inde. Pendant la seconde moitié des années 2010, quand le sort du Vikramaditya était encore en suspens, les Américains ont tenté de proposer le Kitty Hawk propulsé par des turbines à vapeur et retiré du service, mais New Delhi a renoncé à acheter ce navire de guerre de presque 50 ans — et de 80.000 tonnes — à un prix exorbitant.

Ayant manqué cette occasion, les USA, qui participent rarement à des projets conjoints, ont abandonné leur ligne de conduite habituelle en proposant à l'Inde des systèmes modernes pour un porte-avions de construction nationale. Le tout en faisant preuve d'une souplesse impressionnante: ainsi, une source de la compagnie Northrop Grumman au salon d'aviation Dubai Airshow 2015 a évoqué la possibilité de concilier le travail du tout nouveau «radar volant» embarqué E-2D Advanced Hawkeye avec les chasseurs russes si la marine indienne commandait ces avions.

La livraison de catapultes sous-entend toutefois l'utilisation de chasseurs conçus pour un décollage par catapulte — ce qui réduit la liste aux américains F/A-18E/F Super Hornet et F-35C Lightning II et au français Rafale M. Théoriquement, il serait également possible d'adapter au décollage par catapulte le russe MiG-29K initialement conçu pour décoller d'un tremplin, au moins pour assurer la possibilité d'utiliser des escadrilles composées de différents avions à partir des trois porte-avions dont la marine indienne compte se doter d'ici le début des années 2030.

Cependant, la probabilité que la participation américaine au projet de porte-avions indien devienne réalité est faible. Selon Andreï Frolov, rédacteur en chef du magazine Exportation des armements, elle tend vers zéro.

«On assiste surtout actuellement à l'activité de lobbies qui tentent d'imposer telle ou telle solution, mais il faut savoir que la technologie de la catapulte électromagnétique est encore très imparfaite, peu travaillée. Son fonctionnement lors des essais est même critiqué aux USA et elle n'est certainement pas un produit d'exportation aujourd'hui», indique Andreï Frolov.

Dans le même temps, l'expert souligne la possibilité de livrer des catapultes à vapeur traditionnelles. «Elles pourraient être livrées à l'Inde, surtout que les USA l'ont déjà fait pour le porte-avions français Charles de Gaulle», ajoute-t-il.

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D'après Andreï Frolov, les chances de la Russie sont plus élevées mais le format de participation au projet reste encore à définir. «Cela dépendra de plusieurs facteurs, notamment de savoir si les Russes seront les principaux développeurs et quelle part de fournitures serait prise en charge par les entreprises nationales. Pour le Vikrant en construction, la Russie a fourni non seulement les équipements techniques d'aviation, mais également de nombreuses matières premières et même le chantier naval», a déclaré l'expert.

Une source de l'industrie de l'armement note que l'éventuelle participation de la Russie à la construction du nouveau porte-avions indien influencerait en grande partie le sort des navires de cette classe dans la marine nationale: «Les projets doivent être réalisés en pratique. Si nous arrivions à prendre une place dans le projet indien sur les principaux points comme la propulsion, le complexe technique d'aviation et bien d'autres, cela faciliterait considérablement l'élaboration d'un nouveau porte-avions pour la marine russe».

Il est encore difficile de prédire quand sera prise la décision définitive sur l'aspect du futur porte-avions pour la marine indienne. Comme l'indique l'expérience des appels d'offres indiens, ils peuvent durer de manière indéterminée sans résultat visible. Les décisions finales sont souvent prises en dehors des procédures d'appels d'offres, et les chances de la Russie paraissent plus élevées compte tenu des liens plus étroits dans le commandement de la marine indienne. Étant donné que la volonté de la marine indienne d'obtenir un nouveau porte-avions est dictée entre autres par le développement relativement rapide de la marine chinoise, il est à supposer que les principales décisions seront prises d'ici deux ans, et que la construction du navire commencera aux alentours de 2021-2022.

Toutefois, il faut tenir compte du fait qu'en raison de l'activité de la Chine à la frontière nord, l'Inde doit investir dans l'infrastructure frontalière de son côté en développant le réseau routier et le système de stationnement dans ses régions septentrionales. On ignore si cela affectera les dépenses pour la flotte, mais les propositions russes, qui induisent des dépenses moins élevées, pourraient en tirer avantage.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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