Modération et fake news: l’UE passe à l’offensive sur le Net

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La Commission européenne pourrait légiférer afin de pousser les acteurs du Web à mieux modérer les propos «illicites» ainsi que les «fake news» sur leurs plateformes. Une initiative saluée par certains face au développement de zone de non-droit en ligne et dénoncée par d'autres, craignant des dérives et une mise en péril de la liberté d'expression.

«L'État de droit s'applique en ligne autant que hors ligne. Nous ne pouvons accepter qu'il existe un Far West numérique et nous devons agir», tels sont les mots de la Commissaire européenne pour la Justice les consommateurs et l'égalité des genres, Vera Jourová, dans un communiqué de presse en date du 28 septembre au titre sans équivoque «Union de la sécurité: La Commission redouble d'efforts pour lutter contre le contenu illicite en ligne».

Communiqué où la Commission présente un premier train de mesures visant à lutter contre les contenus «illicites en ligne incitant à la haine, à la violence et au terrorisme» afin d'avancer vers l'instauration d'«une Union européenne de la sécurité réelle et effective et un marché unique numérique plus fort.»

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Pour y parvenir, l'organe exécutif européen entend forcer la main des réseaux sociaux pour qu'ils détectent plus efficacement les contenus illicites «incitant à la haine, à la violence et au terrorisme» afin de les «retirer aussi vite que possible» et propose des orientations et des principes autour de trois axes:

La détection et notification —où la Commission invite notamment les géants du Web à établir un «point de contact» dans chaque État membre et de renforcer leur coopération avec des associations, afin de faciliter le signalement de contenus à caractère litigieux, l'amélioration des délais de suppression de ces messages ainsi que la prévention à la réapparition de ces messages. Un dernier point pour lequel la Commission «encourage vivement l'utilisation et le développement d'outils automatiques» permettant d'empêcher la réapparition d'un contenu précédemment supprimé.»

Un tour de vis- potentiellement- législatif qui, comme l'explique Philippe Moreau Defarges, spécialiste des relations internationales et auteurs de «Nouvelles Relations internationales» aux Éditions du Seuil, impose un dilemme à la Commission:

«Les autorités publiques, dont la Commission européenne, sont devant une difficulté extrêmement grave. D'un côté, il faut préserver la liberté d'information et chacun a le droit de s'exprimer de l'autre côté il y a un souci d'ordre public et de respect des personnes. Donc la Commission européenne cherche à trouver cet équilibre entre liberté d'expression et respect d'un ordre public. À juste titre, […] car les réseaux sociaux sont souvent mal surveillés.»

Néanmoins, la Commission précise qu'il ne s'agit là que d'une première étape, et que les suivantes seront conditionnées par la bonne volonté des acteurs du numérique concernés «dans les prochains mois» faute de quoi elle se réserve le droit de prendre des mesures législatives afin de compléter le cadre réglementaire existant.

«Si les entreprises de haute technologie ne respectent pas leurs engagements, nous le ferons.» tient à avertir Vera Jourová. Pour elle, le «code de conduite» signé avec les géants américains du Web (Facebook, Twitter, Google et Microsoft) «peut servir d'exemple et produire des résultats.» Dans cet accord, signé il y a un peu plus d'un an entre la Commission et les gestionnaires des principales plateformes du Web, ces dernières s'engageaient notamment à supprimer tous contenus haineux en moins de 24h.

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Un développement de procédés automatisés où Facebook fait figure de bon élève. Mi-février, son PDG, Mark Zuckerberg expliquait que l'intelligence artificielle était, malgré son stade de développement, déjà à l'origine de près d'un tiers des signalements à ses équipes. Facebook, qui vient d'annoncer l'essai d'un outil de lutte contre la désinformation qui devrait être prochainement déployé sur le réseau social. Il faut dire que l'automatisation de ces plateformes en ligne présente une contrepartie, et non des moindres: régies par des algorithmes, tout un chacun peut poster et promouvoir du contenu. Ainsi, YouTube est-il accusé en ce moment de trop promouvoir les contenus conspirationnistes sur la tuerie de Las Vegas, la faute aux algorithmes.

Vouloir légiférer à l'encontre des propos «illicites» sur le net n'est qu'un prétexte pour l'eurodéputée Sylvie Montel, qui rappelle que les législations nationales sont déjà compétentes et les acteurs associatifs réactifs sur de tels sujets:


«Derrière cela on voit bien que c'est la liberté d'expression, politique, qui est ciblée par la Commission européenne.»

Sophie Montel, qui avec Florian Philippot, a déposé deux jours avant cette annonce de la commission, une proposition de résolution devant le Parlement européen sur «les menaces que fait peser la Commission européenne sur la liberté d'expression.» En cause, l'attention particulière que Mariya Gabriel porte au phénomène dit des «fake news» («infos bidon») depuis son arrivée aux commandes du Commissariat au numérique, où elle avait annoncé vouloir constituer un groupe d'experts sur le sujet —groupe d'experts auquel les deux eurodéputées lui demande de renoncer.
«Il peut y avoir aussi des intentions purement politiques, à savoir brimer- par exemple- les eurosceptiques, qui sont déjà dans le collimateur de l'Union européenne.»

L'eurodéputée évoque également les attaques dont les médias jugés trop proche de la Russie, «de Vladimir Poutine, pour ne pas les nommer» ont été la cible. Rappelons que fin novembre 2016, le Parlement européen votait une résolution visant à limiter l'activité des médias russes, accusés de propager de fausses informations en vue «d'affaiblir l'unité de l'Europe», au même titre que la propagande de l'État islamique sur la toile.

Dans le cas présent, Philippe Moreau Defarges tient à rappeler que le Parlement européen est une instance démocratiquement élue et que dans le cadre de l'intérêt de la Commission concernant les fake news, celle-ci a été jusqu'ici, selon ces mots, «relativement équilibrée dans sa démarche».
«Que la Commission européenne, dans le cadre de ses pouvoirs- définis par les traités, veuille vérifier les conditions d'exercices d'une activité, c'est tout à fait normal, tout État ferait la même chose, la Russie fait la même chose sur son propre territoire.»

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Un intérêt d'autant plus légitime, selon notre expert, à la vue de la gravité d'un phénomène tel que les fake news:
«Les fake news sont un phénomène social de grande ampleur et extrêmement dangereux qui peuvent avoir des conséquences graves sur la vie des personnes. Donc la Commission européenne a le droit et le devoir de faire vérifier ces fake news.»

Assainissement salvateur au Web ou intention- à peine voilée- d'attenter à la liberté d'expression? Seul l'avenir nous le dira. On soulignera par ailleurs le changement d'attitude, ces derniers temps, de la Commission européenne sur de nombreux thèmes —notamment en lien avec le numérique et ses acteurs. Prendrait-elle la balle au bond face à la «montée des populismes» et du mécontentement des citoyens européens qui s'estiment mal protégés par l'Europe face notamment à l'hégémonie des GAFA et leurs techniques d'optimisation fiscale qui font régulièrement scandale?

Ainsi, la Commissaire européenne à la Concurrence Margrethe Vestager n'a pas hésité —malgré son président, ancien Premier ministre du Luxembourg- de mettre à l'amende Amazon pour 250 millions d'euros de «subventions déguisées» perçus au Luxembourg depuis 2003, alors même que selon des documents révélés par le quotidien britannique The Guardian, Jean-Claude Juncker aurait empêché l'UE de lutter contre l'évasion fiscale des grandes multinationales lorsqu'il était à la tête du Grand-Duché. Margrethe Vestager, qui a également assigné Dublin devant la Cour de justice de l'UE pour ne pas avoir récupérer près de 13 milliards d'euros «d'avantages fiscaux indus» auprès d'Apple. Est-ce là un soubresaut, ou un réveil?

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