L'amitié russo-américaine ne semble actuellement de mise qu'en orbite. Alors que la Station spatiale internationale (ISS) est amenée à cesser son activité en 2024, les initiatives internationales se multiplient pour lui succéder, dans une étonnante concorde générale. Ainsi, la Russie vient-elle de rejoindre le programme américain «Deep Space Gateway», auquel contribuent déjà le Canada, le Japon et l'Europe.
«La Russie, qui participait plus ou moins aux réunions techniques, pourra dorénavant apporter une contribution matérielle sous forme de modules ou d'équipements», explique Thomas Reiter, ancien membre permanent de l'ISS et membre de l'Agence Spatiale Européenne (ESA). La Russie va dorénavant fortement contribuer à l'élaboration de cette base. L'Agence Spatiale Européenne, elle, fait «partie de l'aventure» depuis cinq ans:
«Dès 2012, lors d'un conseil ministériel des États membres de l'ESA, nous avions décidé de nous engager dans un projet appelé "European service module". Il s'agit du développement d'un module propulsif pour la capsule américaine "Orion", qui à l'avenir transportera les astronautes jusqu'à la plateforme "Deep Space Gateway".»
«La plateforme "Deep Space Gateway" est bien sûr un élément intéressant. Elle s'inscrit parfaitement dans ce concept de "Village Lunaire". Nous considérons que l'exploration de l'espace par l'homme est un défi international. Donc, de notre point de vue, il faut saluer les efforts visant à élargir le cercle des agences spatiales qui sont engagées dans ce projet».
L'ancien membre de l'ISS voit même dans le Village Lunaire «un nouveau mode de gouvernance» et se félicite de l'arrivée possible d'un nouveau partenaire dans l'aventure: «Dans ce contexte, la Russie a explicitement indiqué pendant le congrès d'Adélaïde qu'elle voulait aussi s'ouvrir à d'autres pays comme la Chine, l'Inde, etc.», qui travaillent déjà sur ce projet.
Toutes ces nations, unies autour de projets majeurs pour l'avenir de l'humanité, parviendront-elles à conserver leur harmonie lunaire quand les enjeux économiques viendront s'en mêler?
Actuellement, le droit international stipule que «l'espace extra-atmosphérique, y compris la Lune et les autres corps célestes, ne peut faire l'objet d'appropriation nationale». Pas question donc de revendiquer une quelconque souveraineté sur de l'unique satellite naturel de la Terre. Mais pour combien de temps?
Les États-Unis avaient déjà ouvert la voie en la matière, avec une loi de novembre 2015 autorisant les entreprises enregistrées aux États-Unis à prospecter dans l'espace en vue d'une exploitation minière. Si le Sénat américain avait approuvé à l'unanimité cette loi, la communauté internationale n'avait cependant manifesté qu'un enthousiasme modéré… Tout comme certains États européens à l'époque.
Cette interprétation pour le moins libérale du Traité international de 1967 sur l'espace a du bon, selon Thomas Reiter: elle «favorisera les initiatives privées dans le domaine de l'exploration de l'espace», et donc boostera les investissements et la recherche. Mais, la découverte de ressources rares dans l'espace susciterait forcément l'appétit des pays et des entreprises:
«Supposons que nous parvenions à construire une base permanente sur la Lune et que nous y découvrions des ressources naturelles, par exemple des métaux rares. Bien sûr, cela ne manquera d'éveiller des intérêts commerciaux, et je peux imaginer que ça ne facilitera pas les choses. C'est pourquoi il faut avoir une réglementation claire sur la façon d'exploiter ces ressources et d'en tirer profit. Pour le moment, nous considérons l'exploration de l'espace comme une entreprise d'envergure internationale, ce qui est un signal très important adressé au monde.»
Si les problèmes écologiques sur notre bonne vieille Terre suscitent de légitimes inquiétudes, que penser alors des sources de tensions, voire de conflit, autour d'un satellite soudain perçu comme un nouvel Eldorado par les États et les entreprises?