Russian Miner Coin (Rmc), une startup codétenue par Dimitri Marinichev — également défenseur des droits des entreprises de l'industrie numérique auprès du gouvernement russe — vient de lancer une levée de fonds de 100 millions de dollars afin de financer l'ouverture d'une ferme de minage de crypto-monnaies dans l'enclave de Kaliningrad. Une partie du capital récolté devra permettre à l'entreprise de s'équiper en matériel de minage, alors qu'une autre sera allouée au développement de ses propres puces de calculs nécessaires au minage de crypto-monnaies.
Cependant, si la levée de fonds est elle-même réalisée en cryto-monnaies via une ICO (Initial Coin Offering)- qui se distingue des levées de fonds classiques réglementées par les institutions bancaires- le projet de Rmc pourrait s'effectuer en partenariat avec le géant russe des télécoms Rostelecom, ainsi que celui du nucléaire Rosenergoatom, deux entreprises publiques. Dimitri Marinichev ayant, d'après le quotidien économique russe Vedomosti, entériné les pourparlers.
Spécialiste des crypto-monnaies et des institutions monétaires, il rappelle «l'appréhension problématique» des responsables gouvernementaux à l'encontre de ces monnaies décentralisées et tient à attirer notre attention sur la «dimension géostratégique» que ce phénomène économique encore naissant est en passe de prendre. Phénomène vis-à-vis duquel les Etat sont appelés à se positionner.
Comme le souligne Maël Rolland, au-delà d'éventuelles retombées financières, le pays pourrait tirer certains avantages de cette démarche: notamment grâce au développement de compétences techniques et humaines qui lui seraient propres. Pour ces dernières, la Russie ne manque pas de talents, comme Vitalik Bouterine, créateur de l'Ether, la deuxième cryto-monnaie en termes de volume (20 milliards de dollars) après le Bitcoin. Un jeune homme de 23 ans, avec lequel s'est entretenu le président Vladimir Poutine lors du forum économique de Saint-Pétersbourg début juin.
D'autant plus que le pays jouit d'un double avantage énergétique et climatique. Le minage des quelques 800 crypto-monnaies existantes aujourd'hui à travers le monde s'avère particulièrement énergivore et la Russie produit plus d'énergie que ses réseaux électriques n'en consomment.
Une surproduction d'environ 20 gigawatts dans la région de Kaliningrad, soit l'équivalent du tiers de la production nucléaire française, explique le choix de l'emplacement de la future ferme de Rmc: un centre de données à proximité d'une centrale nucléaire. Quant au climat, un temps froid est particulièrement idéal puisqu'il permet de limiter les surcoûts liés au refroidissement des micro-processeurs de ces mêmes centres de données.
Une décentralisation, particulièrement mise en avant par les acteurs du marché des crypto-monnaies, incarnée par leur technologie phare «blockchain». Une «chaîne de blocs» qui s'apparente à un registre d'écriture public, réputé infalsifiable, permettant une grande traçabilité et fiabilité des opérations. En effet, tous les ordinateurs participant à la certification des opérations possèdent une copie de ce registre qui est donc difficile à modifier et quasi-impossible à mettre hors service.
Cependant, comme le souligne notre expert, si les banques centrales étaient hier la cible des crypto-monnaies, elles entendent aujourd'hui s'y adapter et même en faire des outils, d'autant plus que Bitcoin est un logiciel disponible en open-source. Un outil qui ne servirait pas uniquement à réduire les coûts de certaines opérations mais également, dans une perspective plus lointaine, à lancer leur propre crypto-monnaie. Un pas que compte franchir d'ici à 2020 la banque de Suède, qui a annoncé le lancement de l'Ekrona.
L'apparition de crypto-monnaies émises par des banques centrales et qui garderaient un accès exclusif à leurs registres, un cas de figure qui modifierait radicalement la «philosophie sous-jacente» de ces monnaies, devenant non pas outil de décentralisation mais de centralisation, comme on peut le comprendre dans les explications de notre expert:
«Cela révolutionnerait le schéma monétaire actuel puisqu'on sortirait d'un système monétaire fractionné, on n'aurait plus besoin de banques puisque chaque citoyen aurait son compte directement en banque centrale et cela donnerait un pouvoir exorbitant aux Etats […] l'Etat retrouverait un très grand nombre de marges de manouvre dans la tenue de sa politique monétaire.»
Initialement perçues comme un ovni dans la sphère économique, les crypto-monnaies semblent avoir de beaux jours devant elles. Malgré les craintes liées à l'appréciation particulièrement impressionnante de la valeur du bitcoin ces derniers mois et plus particulièrement ces derniers jours — passant de 3500 dollars vendredi à 4000 lundi, puis 4300 mardi — le débat fait rage autour de la question de savoir s'il s'agit là d'une bulle spéculative qui finira bien par exploser ou d'un placement pérenne qui conforte son assise, une seconde option pour laquelle opte Maël Rolland:
«Une bulle à une définition très précise en théorie économique, logiquement elle naît aussi de conditions d'accès au crédit facilitées et dans le cadre des crypto-monnaies il n'y a pas de crédit. Donc si ces monnaies connaissent un engouement très grand, je crois surtout qu'on doit le chercher auprès du nombre de nouveaux utilisateurs et surtout à ce qui se passe aujourd'hui: à l'arrivée de fonds d'investisseurs institutionnels qui commencent à comprendre que cette monnaie ne disparaitra pas de sitôt et qu'elle peut devenir très intéressante pour eux, surtout lorsqu'on voit certains drapeaux rouges au niveau des chiffres financiers américains.»
Une appréciation qui n'est pas partagée par tous les experts des crypto-monnaies, comme notamment l'ex-analyste blockchain d'ARK Invest, Chris Burniske, qui soulignait dans un tweet une corrélation entre l'augmentation de la valeur bitcoin et celle du nombre de recherches du terme «bitcoin» recensées par Google. Un « un cycle vertueux de Satoshi » pour reprendre ses mots, clin d'œil à l'inventeur du Bitcoin. Reste donc à savoir à qui l'avenir donnera raison.