Les autorités ne ménagent pas les opposants: le dernier rassemblement s'est terminé par une violente rixe, dans laquelle 72 policiers et 11 manifestants ont été blessés. Le pays n'avait pas connu de tel déchaînement des passions depuis 2011, année du Printemps arabe en Afrique du nord. Les événements d'il y a six ans pourraient-ils se reproduire au Maroc? Selon le site d'information Lenta.ru.
Le printemps paisible
Puis le roi a annoncé des transformations politiques. L'été de la même année, un référendum a été organisé pour amender la Constitution: ces changements ont été soutenus par presque toute la population. En particulier, depuis, le premier ministre est nommé par le parti ayant remporté les législatives. Le chef du gouvernement a reçu le droit de dissoudre le parlement et de nommer les ministres mais le monarque est resté le chef des armées et a été officiellement proclamé la «plus haute autorité religieuse» du pays. De plus, le roi s'est réservé le contrôle des renseignements et le droit de nommer les hommes à la tête des régions.
Bref, les tensions ont été apaisées au sein de la société marocaine — mais le répit fut de courte durée.
De nouveaux troubles
Les réformes ont finalement été purement démonstratives car le trésor manquait d'argent pour maintenir les subventions alimentaires et les salaires des fonctionnaires, et n'est pas parvenu à combler ce déficit à partir d'autres sources. De plus, tout le pouvoir restait concentré entre les mains du roi qui contrôlait les régions à l'aide des partis politiques loyaux. De nombreux Marocains se sont sentis trompés.
Des milliers de personnes sont venues assister aux obsèques du marchand. Des protestations de grande ampleur ont été organisées le soir même à Al-Hoceima et dans d'autres villes, notamment la capitale de la région Rabat. Les manifestants scandaient «Criminels, meurtriers, terroristes!», «Nous sommes tous Mouhcine», «Marre d'être humiliés», etc. La police a préféré ne pas intervenir et les altercations ont été évitées.
Les autorités ont promis d'élucider les faits et de trouver les responsables. Cependant, le ministre marocain de l'Intérieur Mohammed Assad a immédiatement rejeté une partie de la responsabilité sur le défunt. «Il a désobéi à l'ordre des policiers de s'arrêter au poste de contrôle. Il a fallu le poursuivre. Dans sa voiture ils ont trouvé beaucoup de poissons interdits à la vente. C'est pourquoi il a été décidé de détruire sa marchandise», a déclaré le ministre, qui ne nie pas pour autant que ses subordonnés aient pu outrepasser leurs pouvoirs.
Une région révoltée
Les relations ont toujours été complexes entre les autorités du pays et la population du Rif dont les habitants se considèrent comme une communauté, voire une nation à part. Ils ont combattu contre les colonisateurs espagnols au début du XXe siècle, ont organisé des manifestations contre les autorités dans les années 1950 et 1980, et les ressortissants du Rif furent les principaux activistes pendant les troubles en 2011.
Au cours des événements récents, les groupes disparates de manifestants se sont unis pour former l'organisation Hirak (Mouvement) menée par Nasser Zefzafi, dont les ancêtres et les parents étaient également des activistes civils éminents.
D'après elle, les habitants du Rif estiment que les autorités de Rabat n'accordent pas l'attention nécessaire au développement de leur région: les projets d'infrastructure ne sont pas terminés, on manque d'hôpitaux et d'établissements scolaires, le taux de chômage est élevé, les jeunes sont contraints de partir travailler dans d'autres villes. Comme l'a déclaré Nasser Zefzafi, Hirak exprime dans le Rif la protestation de tout le peuple marocain contre l'humiliation, la marginalisation et la pauvreté. L'opposant s'en prend également au roi: «Le monarque n'est pas un saint. Nous le respectons, mais nous pouvons et devons le critiquer», a déclaré le leader du mouvement protestataire.
Effet boule de neige
Nasser Zefzafi a été arrêté par la police le 29 mai après avoir interrompu un imam appelant à coopérer avec le gouvernement et le roi pendant la prière du vendredi. L'opposition a immédiatement accusé le gouvernement d'enlèvement: les partisans de Zefzafi ont en effet ignoré pendant plusieurs jours où il se trouvait. Il s'est avéré que le leader de Hirak avait été conduit à Casablanca au bureau national des enquêtes juridiques (le service de contre-espionnage du pays). Il a été inculpé pour «tentative d'interrompre un rite religieux», ainsi que pour «déstabilisation de la sécurité nationale» et «haute trahison». Plusieurs autres activistes ont été placés en garde à vue; certains d'entre eux ont déjà été jugés et condamnés à différentes peines, jusqu'à 18 mois de prison.
Les opposants qui sont restés en liberté ont immédiatement appelé leurs partisans à descendre dans la rue. Des manifestations importantes se sont déroulées dans le Rif et dans d'autres régions pour exiger la libération de Zefzafi et d'autres prisonniers politiques.
Les passions se sont déchaînées à tel point qu'Al-Hoceima a été bloquée par les forces de l'ordre. Des échauffourées avec les activistes et les manifestants se produisaient pratiquement chaque jour, et la confrontation risquait de dégénérer en violents affrontements. Cependant, le 3 juillet, il a été annoncé que les autorités avaient décidé de sortir de la ville la majeure partie des policiers «pour garantir le droit des citoyens à la liberté d'expression et d'autres libertés», selon un communiqué officiel. D'après les rumeurs, il s'agirait d'un ordre personnel de Mohammed VI qui ne s'était, jusque-là, pas ingéré publiquement dans les événements. La tension est retombée mais certaines manifestations ont continué.
C'est le roi qui parle
Malgré la gravité de la situation, ni l'opposition ni Hirak n'ont ouvertement pris position contre le roi. En dépit de la crise, le monarque garde son autorité dans le Rif, dont les habitants veulent qu'il s'ingère personnellement dans la situation au lieu d'agir via ses ministres et d'autres responsables. En d'autres termes, qu'il se pose en juge. «Nous ne sommes pas des séparatistes, nous appartenons au peuple marocain, nous aimons notre roi», disait ainsi un slogan de la récente manifestation.
Le 30 juillet, le Maroc célébrera la fête du trône instaurée en 1999 en hommage à l'ascension au pouvoir du monarque actuel. Par tradition, le chef de l'État doit s'adresser aux citoyens dans une allocution annuelle. Certains espèrent que le roi fera preuve de miséricorde et graciera les activistes condamnés, et qu'en même temps il proposera des solutions aux problèmes accumulés. Visiblement, personne ne souhaite au Maroc une nouvelle spirale de confrontation.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.