Égypte: plus de 50 ans de désordre politique

© AFP 2024 FILIPPO MONTEFORTEAn Egyptian man shouts slogans against the military in Cairo's Tahrir Square on December 23, 2011 as people gathered for a mass rally against the ruling military, which sparked outrage when its soldiers were taped beating women protesters.
An Egyptian man shouts slogans against the military in Cairo's Tahrir Square on December 23, 2011 as people gathered for a mass rally against the ruling military, which sparked outrage when its soldiers were taped beating women protesters. - Sputnik Afrique
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Depuis plus d'un demi-siècle, l'histoire de l’Égypte se caractérise par une succession de guerres et de coups d’État.

Le 23 juillet marque l'anniversaire de la Révolution nationale de 1952: ce jour-là de jeunes officiers de l'armée égyptienne, soutenus par le peuple indigné par la pauvreté et l'injustice sociale, avaient levé une insurrection contre le roi Farouk 1er. La monarchie avait été renversée mais les autorités républicaines n'étaient pas parvenues à établir une véritable stabilité politique dans le pays. L'Égypte peut-elle encore espérer un développement paisible?

Egypte: chronique de la "grande révolution"
Le 23 juillet 1952, un groupe de militaires de l'organisation «Officiers libres» renversait le roi Farouk 1er d'Égypte. Cette révolution a été soutenue par la société égyptienne et s'est terminée pratiquement sans faire de victimes. Le monarque a abdiqué la couronne et s'est exilé.

Ce jour-là, l'Égypte est passée d'un pouvoir monarchique à une forme républicaine de gouvernement. Le général Mohammed Naguib est devenu le premier président égyptien et a établi un régime panarabe dirigé par les militaires.

Pour les historiens, le coup d'État a été déclenché par la pauvreté, la corruption et la déception des Égyptiens après la guerre de 1947-1949 contre le jeune État hébreu. De nombreux citoyens du pays tenaient en effet le pouvoir royal pour responsable de la défaite militaire, car le commandement de l'armée et la coordination des structures à l'arrière étaient inefficaces.

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Egypte: démission du gouvernement
Après la guerre, la situation socio-économique a continué de se dégrader en Égypte. Dans ses vaines tentatives de la régler, le roi changeait de cabinet tous les quelques mois. Mais ce jeu de chaises musicales au gouvernement n'a servi à rien: le pays s'enfonçait de plus en plus dans la crise.

Les jeunes militaires, indignés par la situation, se sont placés sous le commandement de l'officier Gamal Abdel Nasser pour former le groupe secret «Officiers libres».

L'organisation s'est fixée pour objectif de lutter contre l'impérialisme, la monarchie et le féodalisme. Même si depuis 1919, suite à une révolution, le peuple égyptien a obtenu son indépendance formelle du Royaume-Uni, le pouvoir royal restait, dans les faits, aligné sur l'ancienne métropole.

Le pouvoir des militaires

Après l'abdication de Farouk 1er les partis politiques ont été interdits dans le pays, et tout le pouvoir était concentré entre les mains du Conseil de commandement de la révolution. L'interdiction a également frappé l'organisation islamiste des Frères musulmans*, qui jouera par la suite un rôle conséquent dans l'histoire égyptienne.

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Mohammed Naguib n'est pas resté longtemps à la tête de l'État: son aspiration à préserver certains liens avec le Royaume-Uni était sévèrement critiquée par ses partisans.

En 1954, Naguib a été écarté du pouvoir et assigné à domicile, accusé, entre autres, de nourrir des ambitions dictatoriales. C'est alors qu'Abdel Gamal Nasser a pris le pouvoir à l'issue d'un référendum.

Nasser a dirigé le pays jusqu'en 1970. Sous sa gouvernance, l'Égypte s'est unifiée avec la Syrie pour former la République arabe unie. Mais cette alliance n'a pas duré et a été officiellement abrogée après sa mort.

Une succession de coups d'État

Pendant les 65 années qui se sont écoulées depuis la révolution de juillet 1952, l'Égypte n'a pratiquement jamais connu d'accalmie: les guerres permanentes contre Israël alternaient avec les troubles politiques intérieurs.

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Après la défaite de la coalition arabe face à l'armée israélienne dans la guerre des Six Jours de 1967, l'Égypte a failli être confrontée à un nouveau coup d'État: le chef de l'armée Abdel Hakim Amer et ses partisans ont tenté de renverser Nasser mais ont été défaits.

Anouar el-Sadate, un autre ex-membre de l'organisation «Officiers libres», succédera à Nasser et abandonnera le projet panarabiste. L'Égypte renonce alors de facto à revendiquer le leadership dans le monde arabe.

Au début de sa gouvernance, Anouar el-Sadate a dû faire face aux partisans de Nasser. En mai 1971, la police a arrêté un groupe de hauts fonctionnaires avec le vice-président Ali Sabri. Ces événements, baptisés «Mouvement correctionnel de mai», ont mis fin à la confrontation intérieure au sein de l'élite et le pouvoir s'est retrouvé concentré entre les mains du président.

Dix ans plus tard, en 1981, Sadate a été assassiné par les membres des groupuscules Groupes islamiques (Gamaa al-Islamiya)* et Jihad islamique égyptien pendant le défilé militaire — c'est ainsi que les islamistes se sont vengés contre le président pour le rapprochement avec Tel-Aviv.

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Hosni Moubarak est devenu le nouveau dirigeant du pays, qu'il gouvernera pendant 30 ans. Dans la sphère politique intérieure, Moubarak a réduit la pression sur les partis politiques pacifiques en libérant de nombreux opposants de prison. En revanche, les fondamentalistes islamiques ont subi des répressions sévères — Moubarak considérait en effet les courants islamistes radicaux comme le principal danger.

Les Frères musulmans, organisation fondée en 1928 par le prédicateur Hassan al-Banna, ont également été persécutés même s'ils avaient soutenu les militaires pour renverser le roi.

Toutefois, en dépit de l'interdiction officielle, l'organisation continuait d'exister sur le territoire égyptien et était très populaire grâce à son activité caritative. Pour contourner l'interdiction officielle de constituer un parti politique, les Frères musulmans collaboraient avec d'autres organisations lors des élections. En 2000, ils ont obtenu 17 sièges à la chambre basse du parlement, et en 2005 ils disposaient déjà de 87 mandats — ils ont alors formé la plus grande fraction.

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Prises au dépourvues dans les années 2000, les autorités ont tenté de limiter l'influence politique des Frères musulmans en les réprimant. En 2010, la Commission électorale centrale d'Égypte a refusé d'enregistrer certains candidats d'opposition aux élections législatives. Les Frères musulmans ont accusé le gouvernement de falsifier les résultats des deux tours en novembre et en décembre.

Suite aux troubles qui ont submergé le pays, Hosni Moubarak a démissionné pour céder le pouvoir au conseil suprême des forces armées d'Égypte. En 2012, la présidentielle a été remportée par le représentant des Frères musulmans Mohamed Morsi.

Mais son règne fut bref: en 2013 déjà, il était renversé par les militaires et remplacé par l'ex-ministre égyptien de la Défense Abdel Fattah al-Sissi. Les Frères musulmans ont été reconnus comme organisation terroriste en Égypte et ont été fermement persécutés par les autorités.

Depuis quatre ans, la stabilité politique se maintient en Égypte. Mais dans l'ensemble la situation reste très tumultueuse.

De plus, les partisans de l'État islamique* se sont activés dans le pays — les radicaux qui s'en revendiquent se sont installés dans le Sinaï et commettent des attentats contre les représentants des autorités et de la population chrétienne de l'Égypte.

L'héritage occidental

Selon les experts, la situation en Égypte n'est pas unique: d'autres pays du Moyen-Orient la connaissent également.

«L'instabilité politique de l'Égypte est la conséquence directe de la période coloniale, analyse l'orientaliste Saïd Gafourov, chef de la section Orient du site Pravda.Ru. Une fois que le pays est tombé dans la dépendance coloniale, tout l'argent servait à rembourser les dettes aux banques occidentales datant de la période précoloniale, y compris pour la construction du canal de Suez. L'Égypte a dû continuer à rembourser cette dette après l'acquisition de son indépendance. Quand Nasser a tenté de nationaliser le canal de Suez, sa balance des paiements a été détruite. Et vu que le canal est resté longtemps fermé à cause des guerres au Moyen-Orient, l'Égypte a été privée d'une source de revenus. En fait, le pays s'est retrouvé poussé dans la pauvreté par le capital financier mondial.»

Selon l'expert, ce sont avant tout des facteurs économiques qui ont causé l'instabilité politique. A présent, aux phénomènes de crise qui existaient déjà s'ajoute la menace terroriste: les attentats ont fait s'effondrer le secteur touristique de l'économie égyptienne, qui assurait des rentrées significatives de devises étrangères. De plus, on assiste en Égypte à une forte croissance de la population combinée à un manque de terres agricoles. Les efforts du gouvernement pour la mise en exploitation de nouveaux terrains ne permettent pas de rattraper la croissance démographique.

«En outre, les dépenses élevées pour la défense sont dues à l'état de guerre permanent. On ne parvient toujours pas à régler ces problèmes structurels, en grande partie à cause d'une bureaucratisation excessive», ajoute Saïd Gafourov.

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Mais, d'après l'expert, dans les années à venir les Frères musulmans pourront difficilement regagner la confiance de la population: l'organisation s'est discréditée après seulement un an de gouvernance. De plus, les services égyptiens sont parvenus à détruire les structures organisationnelles du mouvement.

«Les Frères ne pourront certainement pas prendre leur revanche sous leur forme antérieure», souligne Saïd Gafourov.

Vladimir Chapovalov, directeur adjoint de l'Institut d'histoire et de politique de l'Université pédagogique de Moscou, partage en grande partie cet avis.

«L'Égypte est l'exemple d'un État extrêmement instable, mais ce problème est inhérent à bien d'autres pays du Moyen-Orient, explique l'expert. Il existe plusieurs raisons à cela. Premièrement, le caractère post-colonial de toute la région. De nombreux problèmes sociaux, économiques et territoriaux de la période coloniale persistent. Deuxièmement, à une époque l'Égypte était devenue une arène d'affrontement entre deux superpuissances pendant la guerre froide. Il est à noter que Moscou soutenait les forces les plus progressistes — les groupes qui aspiraient à la libération de la dépendance néocoloniale.»

D'après Vladimir Chapovalov, la montée en puissance de l'islamisme radical dans la région observée au cours des dernières décennies est, dans une certaine mesure, la réaction de la population à l'expansion occidentale. Ce qui, à son tour, est un très grave facteur de crise.

«Et à ce jour tous les problèmes mentionnés n'ont pas été réglés et ils continuent d'affecter la dynamique politique intérieure en Égypte et dans les pays voisins», conclut l'expert.


* Frères musulmans, Groupes islamiques (Gamaa al-Islamiya), Djihad islamique égyptien, État islamique (Daech) sont des organisations terroristes interdites en Russie.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.

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