En attendant le verdict de la Chambre des Représentants, prévu cet été, et dans un contexte de pression venant d'Outre-Atlantique, peut-on considérer les États-Unis comme un véritable allié de l'Europe?
Pour Philippe Sébille-Lopez, docteur en géopolitique, directeur et fondateur du cabinet Géopolia, interrogé par Sputnik, la Commission européenne n'aurait pas la possibilité juridique de s'opposer à ce projet, malgré les pressions des États-Unis.
«Vu de la Commission […] il n'y a pas de loi qui empêche le projet Nord Stream 2. C'est la volonté des États, il n'y a rien qui encadre un gazoduc de passer à partir du territoire hors de l'Union Européenne. C'est le cas des gazoducs de Libye vers l'Italie, de l'Algérie vers l'Espagne. Il n'y a rien qui interdit aux États de s'approvisionner en dehors de l'Union Européenne dès lors qu'il y a des partenaires commerciaux qui ont la volonté de mener à bien ce projet. Donc, du côté de la Commission, juridiquement, il n'y a rien qui interdit le projet Nord Stream 2, comme, d'ailleurs, il n'y avait rien qui interdisait le projet Nord Stream 1», explique-t-il à Sputnik.
Pour sa part, dans cette affaire devenue politique, il faudrait «s'en tenir à l'état des textes du droit, au droit communautaire en l'occurrence».
«La question pour la Commission c'est plutôt d'essayer de remettre un peu d'ordre dans la maison, d'éviter un affrontement intra-européen sur ce projet. Alors que sur le plan de droit, la Commission n'a aucun argument pour se faire valoir pour s'opposer au projet», continue-t-il son argumentation ajoutant que, selon lui, la Commission «n'essayerait pas d'une façon ou d'une autre de nuire à ce projet qui est assez emblématique du rapport de forces Etats-Unis — Russie sur l'Europe».
Par ailleurs, l'expert ne cache pas l'intérêt que Washington porte à ce que le projet Nord Stream 2 ne voit jamais le jour.
«Les Américains souhaitent évidemment que le projet n'aille pas au bout. Ils font notamment pression sur les Danois pour que, pour des questions environnementales, le seul pilier grâce auquel les pays baltes pourraient s'opposer au projet, c'est exiger des garanties sur le plan environnemental pour essayer de retarder si ce n'est empêcher le projet. Mais dans la mesure où le parcours du Nord Stream 2 sera le long du Nord Stream 1 et il n'y a pas eu de problèmes pour le Nord Stream 1, on se rend bien compte que les questions sont exclusivement politiques et pas du tout environnementales ou autre, mais, néanmoins, les États-Unis exercent de la pression sur le Danemark notamment pour qu'il freine le projet», affirme-t-il.
Néanmoins, en développant ce sujet, il évoque l'exemple de la politique de Berlin qui coopère avec succès dans le secteur économique avec Moscou et qui a «tout intérêt d'avoir son approvisionnement direct en provenance de la Russie».
Pour sa part, la question que devrait se poser actuellement en Europe, «c'est jusqu'à quel point les États-Unis peuvent dicter leurs lois à des États qui sont supposés d'être des alliées».
«Le problème des États-Unis c'est qu'ils ont un peu tendance de prendre l'Europe comme une arrière-cour et pas nécessairement dans les intérêts des Européens. […] C'est vrai qu'être un allié des États-Unis aujourd'hui, c'est un peu compliqué pour les Européens», a-t-il relaté ajoutant que c'était aux États-Unis de comprendre que «s'ils veulent de vrais alliés, il faut qu'ils puissent aussi laisser ses alliés disposer d'une certaine marge de manœuvre sur différents sujets qui concernent leur propre sécurité».
Le projet Nord Stream 2 prévoit la construction de deux tuyaux de gazoduc reliant le littoral russe à l'Allemagne, via la mer Baltique. Sa capacité totale sera de 55 milliards de mètres cubes par an. Le chantier doit être terminé avant la fin 2019. Le coût de projet est évalué à 9,5 milliards d'euros.