Piscine non grata
En septembre 2016, le complexe sportif Tchaïka, connu pour sa piscine en plein air, s'est retrouvé sur la liste noire antirusse des USA.
Les mesures contre la piscine ont suscité une réaction prévisible: Andreï Kostine, chef de la banque VTB à laquelle appartient le complexe sportif, a déclaré que les sanctions devenaient «caricaturales».
«L'inscription de la piscine Tchaïka appartenant à VTB sur les listes de sanctions est un drôle de cas qui nous offre une occasion de plus de nous moquer de ce système. J'ignore comment ces sanctions peuvent vraiment s'appliquer. En interdisant la vente de tickets en dollars?», ironisait-il alors.
Au moment de l'adoption des sanctions, Tchaïka n'appartenait en fait déjà plus à VTB: la banque avait vendu en juin le complexe sportif à la compagnie Perspektiva. Néanmoins, la piscine figure toujours sur la liste des sanctions.
La mauvaise cible
Les sanctions sont un outil assez imprévisible qui, dans la plupart des cas, ne fonctionne pas — ou alors de manière imprévue.
Quand en 1935 l'Italie a envahi l'Abyssinie (actuelle Éthiopie), la Société des Nations a décrété des sanctions contre le régime de Mussolini en interdisant l'importation de charbon et de pétrole. C'était une première tentative de pression politique par le biais de restrictions internationales. Et elle a lamentablement échoué: les Italiens ont simplement quitté la Société des Nations en signant des accords commerciaux à part avec les Anglais et les Français. Quelques années plus tard, les sanctions adoptées par Washington contre Tokyo, interdisant les livraisons de pétrole et d'essence, ont poussé le Japon, dépendant à 80% des importations pétrolières des USA, à entrer en guerre.
Les sanctions sont généralement adoptées pour que la population, souffrant d'une situation économique désastreuse, pousse d'une manière ou d'une autre le gouvernement à faire des concessions. Cependant, elles frappent en réalité le plus souvent ceux qu'elles sont censées défendre. Ainsi, ce sont essentiellement les Noirs qui ont été touchés par la pression internationale exercée sur l'Afrique du Sud durant le régime d'apartheid. Alors que les autorités s'en sortent généralement plutôt bien: les années de sanctions contre Saddam Hussein n'ont pas du tout conduit à la chute de son régime.
On a donc tenté de redresser la situation à l'aide de sanctions économiques ciblées, dont la Corée du Nord a été la première à faire l'objet.
La Corée du Nord privée de cognac et de Mercedes
Les Nord-coréens ont ainsi été privés de montres Rolex, de motos-neige, de jet-skis et de cognac Hennessy après l'adoption unanime de la résolution 1718 par le Conseil de sécurité des Nations unies en 2006, en réponse aux essais nucléaires de Pyongyang.
Chaque pays producteur de marchandises de luxe soutenant les sanctions a dressé sa liste des produits interdits à la vente en Corée du Nord. Au final, cette liste incluait les puissantes motos, les voitures de sport, les vêtements de haute couture, le marbré de bœuf, les services et les tapis coûteux, les appareils photo japonais, les iPods américains, les télévisions LED et la fourrure, les ordinateurs, les diamants, le vin et la bière, les cigares et le chocolat, les balles et les clubs de golf.
Selon l'idée de l'administration de George W. Bush à l'origine de ce projet, les restrictions devaient particulièrement toucher Kim Jong-il en personne. «Pendant qu'une grande partie de Nord-coréens souffre d'une pauvreté absolue, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-il vit dans le luxe et la richesse, affirmait ainsi le rapport du comité pour le renseignement du congrès américain. Kim Jong-il est le principal acheteur de cognac Hennessy dans le monde, il en achète pour 720.000 dollars par an. Il possède également un parc de Mercedes classe S d'une valeur totale de 20 millions de dollars».
Les sanctions ont également touché les citoyens nord-coréens les plus loyaux au régime. «La plus grande récompense qu'un habitant nord-coréen puisse recevoir est un cadeau de Kim», a raconté un réfugié.
Cependant, les sanctions n'ont pas fonctionné. Pour deux raisons: premièrement, le renseignement américain et sud-coréen puisait ses idées sur les goûts raffinés du dirigeant nord-coréen principalement dans les témoignages des réfugiés, qui en rajoutaient souvent. Deuxièmement, un trou de la taille de la Chine a immédiatement été découvert dans la barrière de sanctions car bien que Pékin ait décrété sa propre liste de restrictions, la Chine n'empêchait pratiquement pas la livraison d'objets de luxe en Corée du Nord. Aux objections de Washington, de Séoul, de Tokyo et de Bruxelles, Pékin répondait généralement que les produits énumérés dans les listes occidentales n'appartenaient pas à la catégorie des marchandises de luxe.
Résultat des courses: les sanctions n'ont manifestement pas du tout affecté Kim Jong-il. En 2011 la radio Free Asia a constaté avec regret qu'en 2010 le dirigeant nord-coréen avait offert à ses amis et suppôts 160 Mercedes. En décembre 2011, Kim Jong-il est décédé et Kim Jong-un lui a succédé. Et même si les sanctions sur les objets de luxe restent en vigueur, il ne s'en porte pas plus mal, apparemment.
Des innocents punis à cause de leur homonyme
Les sanctions individuelles comportent un autre danger: les homonymes sont nombreux dans le monde et les restrictions peuvent affecter (et affectent le plus souvent) des citoyens innocents.
Par exemple, les sanctions américaines contre l'ancien chef de l'administration présidentielle russe, Sergueï Ivanov, ont frappé ses deux homonymes résidant à Saint-Pétersbourg: l'un d'eux n'a pas pu recevoir les chaussures qu'il avait commandées aux États-Unis, et l'autre s'est vu bloquer sa carte bancaire, fermer son compte PayPal et la douane a bloqué l'un de ses colis avec des composants informatiques. Il a finalement réglé la situation en enregistrant la commande sous un autre nom.
La Sud-coréenne Kim Jong-yn a eu moins de chance: en 2016 elle a envoyé 27.000 dollars à sa sœur en Afrique du Sud pour l'achat d'une maison, mais l'argent n'est pas jamais arrivé à son destinataire. Les banquiers américains ont en effet soupçonné le dirigeant nord-coréen de financer de son propre nom des terroristes en Afrique du Sud. L'homonyme sud-coréenne a tenté de prouver qu'elle n'avait rien à voir avec le fameux Kim, en pointant la différence d'écriture de leur nom en alphabet latin — Un et Yn. Mais les services financiers américains sont restés inflexibles: ils ont déclaré être parfaitement au courant de la différence de transcription utilisée pour l'écriture de noms coréens.
Mais la situation la plus paradoxale concerne probablement le Britannique d'origine somalienne Ismail Ahmed, qui a été confondu plusieurs fois avec l'un des leaders du Hamas, Ismail Ahmed Yassine. Ses transactions internationales étaient bloquées, la police l'interrogeait à chaque fois dans les aéroports — même après le meurtre de son homonyme par un missile d'hélicoptère israélien. Pendant trois ans personne n'a pris la peine de rayer son nom de la base de données.
Ironie du sort, Ismail Ahmed était un fonctionnaire de l'Onu et membre de la mission de l'organisation en Somalie. Les douaniers expliquent que cette situation est un problème inévitable dû à la spécificité des noms arabes. Dès qu'un terroriste supposé nommé Ahmed se retrouve sur la liste des sanctions, avec lui se retrouvent des centaines et de milliers de paysans, de marchands et de bergers respectueux de la loi.
Plus de Lego au Moyen-Orient
Toutefois, quand c'est nécessaire, les nombreux Ahmed peuvent eux-mêmes organiser un boycott qui impacte sérieusement le pays qui en fait l'objet.
En 2006 le journal danois Jyllands-Posten a publié 12 caricatures du prophète Mahomet. Le lendemain, des millions de musulmans offusqués ont défilé dans les rues, dans certains pays la foule a attaqué des consulats et des ambassades du Danemark. La Libye, l'Arabie saoudite, l'Iran et le Soudan ont retiré leurs ambassadeurs au Danemark, et plusieurs pays musulmans ont menacé d'instaurer des interdictions sur l'importation de produits de sociétés danoises. Les autorités soudanaises ont été les plus intransigeantes: elles ont interdit non seulement les importations danoises, mais également l'entrée dans le pays à tout citoyen danois.
A l'époque, la masse populaire musulmane avait pris en main la lutte contre les «ennemis du prophète». Quelques jours plus tard l'un des principaux fabricants de produits laitiers Arla Foods, qui vendait chaque jour au Moyen-Orient des marchandises pour 1,5 million de dollars, a annoncé que ses ventes avaient chuté pratiquement jusqu'à zéro. Ceux qui ne souhaitaient pas renoncer aux produits danois et à l'argent danois y étaient forcés: en Arabie saoudite la foule avait passé à tabac deux employés du bureau local de la société.
«C'est une révolte populaire, a déclaré le porte-parole d'Arla Louis Honore. Elle se propage dans toute la région comme un incendie, et le boycott est devenu pratiquement absolu.»
Ce fut un véritable choc pour Arla et d'autres compagnies danoises. Le consul général du Danemark à Dubaï, Thomas Bay, a annoncé que les tentatives de pourparlers avec les autorités des Émirats arabes unis avaient échoué — les émirs ne pouvaient absolument pas influer sur les consommateurs. En seulement une semaine toutes les marchandises danoises, y compris Lego et les chewing-gums Dirol, ont disparu des magasins des pays du Golfe, de l'Égypte, de la Syrie, du Pakistan et d'Indonésie, ainsi que dans certains points de vente européens appartenant à des musulmans. Les mullahs ont déclaré que les enfants musulmans se passeraient du jeu de ce pays blasphématoire.
Une fois que la rédaction du journal a présenté des excuses officielles, le boycott a été progressivement levé et les relations diplomatiques ont été rétablies. Tout en laissant un arrière-goût amer. Quand en février 2014 un journal arabe a publié un article disant que le Danemark avait interdit l'abattage halal de la viande, la presse locale a appelé à donner aux Danois une nouvelle leçon.
Cette fois les responsables et les diplomates danois étaient sur le coup. Le ministre danois de l'Agriculture a immédiatement démenti l'information, et les ambassades dans les pays arabes ont publié le jour même des explications avec des citations du discours ministériel. Le scandale a été tué dans l'œuf mais, comme le reconnaissent les diplomates danois, il peut resurgir à tout moment. Et les méthodes pour contourner les sanctions populaires, contrairement aux sanctions étatiques, n'ont pas encore été inventées.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.