Malgré son départ du gouvernement, Sylvie Goulard serait-elle à son tour rattrapée par les affaires? Mardi 20 juin, soit 24 h avant la formation du gouvernement d'après-législatives, celle à qui incombait la mission ardue de succéder à Jean-Yves le Drian au ministère de la Défense annonçait sa démission. Un départ qui avait surpris, tant Sylvie Goulard faisait figure de blanche colombe en comparaison à ses confrères du Modem, François Bayrou et Marielle de Sarnez.
Mais, finalement, ce n'est pas de Bruxelles que les coups pourraient venir, mais de l'autre côté de l'Atlantique. En effet, le Canard enchaîné évoquait dans son édition de la semaine dernière, que Sylvie Goulard avait touché une confortable rémunération de «plus de 10.000 euros» mensuels de l'institut Berggruen — un think-tank américain pro-Union européenne — en complément de ses émoluments d'eurodéputée. Une somme que l'ex-ministre aurait perçue, selon le JDD, d'octobre 2013 à janvier 2016.
Bien qu'il juge «très sain» le fait qu'un député — dans le cadre du débat démocratique — puisse participer à des think-tanks, Stephen Boucher, ancien codirecteur du think-tank Notre Europe/Institut Jacques Delors également coauteur de l'ouvrage Les thinks-tanks: cerveaux de la guerre des idées (Ed. Du Félin, 2012) s'étonne du niveau —et de la régularité- de ces honoraires:
«Cela fait naître effectivement la question de pourquoi cette rémunération? Qu'est-ce que cela achète comme potentielle influence ou accès que d'autres n'auraient pas? Pourquoi cette personne ne se consacre-t-elle pas entièrement à son mandat et aurait besoin d'être rémunéré par ailleurs?»
Une activité de «conseiller spécial» dont ne se cachait pas la ministre- puisqu'elle avait soigneusement reporté ces émoluments sur sa déclaration d'intérêts financiers transmise au Parlement de Strasbourg. Dans son interview accordée au JDD et publiée le 25 juin, elle évoque «un non-sujet» que l'hebdomadaire chiffre pourtant à « 300.000 dollars ».
Une rémunération conséquente d'un décideur politique, de la part d'un organisme étranger, qui soulève la question d'un éventuel conflit d'intérêt. Un élément que semble réfuter Stephen Boucher, mettant en avant l'essence des think-tanks qui ont pour «pour ambition de contribuer à l'intérêt général par la réflexion» notamment sur les questions de politiques publiques. Un point clef sur lequel François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS), n'a pas souhaité répondre explicitement, évoquant une question de morale il propose une comparaison:
Pour François-Bernard Huyghe, au-delà de ce montant qui fait «un petit peu rêver» — lui-même étant employé par un think-tank — c'est la nature de l'institut Berggruen qu'il tient à mettre en avant:
«Ce think-tank est voué à exercer une influence idéologique au profit d'intérêts pro-européens, pro-occidentaux, affichés, avoués: ils ont des convictions qu'ils ne dissimulent pas. Donc, c'est la question de l'influence idéologique et le retour sur ce que les Américains dans les années 60 appelaient la diplomatie publique, c'est-à-dire d'exercer une influence idéologique à travers les élites des autres pays en s'y rendant favorables. Ceci parallèlement à l'utilisation de radios internationales à l'époque.»
En effet, si un bon nombre de think-tanks avancent être « indépendants » et « non-partisan », les établissements américains sont généralement réputés pour leur approche «offensive» de la promotion de leurs idées.
«Derrière la question des think-tanks se pose la question de l'indépendance de la réflexion. En général les think-tanks se disent au-dessus de la mêlée, réfléchissant au bien commun et indépendant, mais naturellement en politique la notion d'indépendance est très relative. On peut défendre- et c'est tout à fait légitime- un point de vue particulier allant plutôt dans le sens d'une intégration européenne plus forte ou non,» souligne Stephen Boucher.
Sans doute la pratique est-elle assez courante à Bruxelles et l'éphémère ministre des Armées ne voyait-elle pas de mal à «arrondir» ses fins de mois grâce à un organisme ouvertement pro-européen, un «non-sujet», pour reprendre ses mots. Il n'en reste pas moins que la question de son allégeance, tiraillée entre ses fonctions d'eurodéputée rémunérée «5 à 10.000 euros» par mois et celles de conseiller à «plus de 10.000» euros mensuels peut se poser. Quoi qu'il en soit, médiatiquement, l'affaire semble faire l'effet d'un pétard mouillé, probablement n'est-ce pas étranger à la vision atlantiste qu'offre l'Institut Berggruen… on n'ose imaginer les réactions qu'une telle affaire aurait pu susciter, si un eurodéputé avait été rémunéré pour des activités similaires au sein d'un think-tank russe.
Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur de l'article repris d'un média russe et traduit dans son intégralité en français.