Projet de loi antiterroriste: vers un état d'urgence allégé?

© REUTERS / Christian HartmannLa police au centre de Paris suite à une attaque sur les Champs-Elysées
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«pilule empoisonnée», «inutile et dangereux», «déséquilibré»… Le projet de loi antiterroriste est sous le feu des critiques. Pourtant, depuis l'annonce de son intention de promulguer une nouvelle loi antiterroriste, préalable selon lui à la sortie de l'état d'urgence, l'exécutif a corrigé sa copie et tenu compte de certaines critiques.

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Le nouveau projet de loi antiterroriste, présenté jeudi 22 juin en Conseil des ministres marque les débuts du nouveau gouvernement, à peine formé. Le texte, qui ambitionne de permettre au pays de sortir de l'état d'urgence 23 mois après son entrée en vigueur, était particulièrement attendu depuis que le quotidien Le Monde en avait ébruité au début du mois l'ébauche des principales mesures.

Des révélations qui avaient provoqué une levée de boucliers chez les magistrats et les défenseurs des libertés publiques, dénonçant le risque de voir un état d'exception tel que l'état d'urgence devenir permanent. D'autant plus que la veille du Conseil de Défense devant annoncer une 6e prorogation de l'État d'urgence suite à l'attentat de Manchester, près de onze organisations- parmi lesquelles la branche française d'Amnesty International, Human Rights Watch, la Ligue des droits de l'Homme ou encore le Syndicat de la magistrature- avaient transmis un communiqué commun à l'Élysée, dénonçant des «atteintes graves aux libertés individuelles».

Un communiqué auquel allait faire écho, une semaine plus tard, un rapport d'Amnesty International, dénonçant les «dérives» de l'état d'urgence en France, à savoir les restrictions «disproportionnées» à la liberté de manifester, ainsi que les méthodes employées par les forces de l'ordre lors des rassemblements.

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Le gouvernement n'est pas resté sourd à ces doléances. Dans une interview au Figaro, publiée le 20 juin, Gérard Collomb a mis l'accent sur la pédagogie: si les mesures phares de l'état d'urgence seront bien pérennisées, telles que les périmètres de protection, la fermeture des lieux de culte, les assignations à résidence ou encore les perquisitions administratives, celles-ci s'accompagneront «systématiquement» de «garanties protégeant les libertés individuelles.»

D'autant plus que le gouvernement a pris en compte certaines recommandations du Conseil d'État, la plus haute autorité administrative ayant par ailleurs validé le texte.

Par exemple, dans le cadre des périmètres de protection destinés à protéger des évènements pouvant être pris pour cible, les forces de sécurité intérieure ne pourront fouiller un véhicule à l'entrée qu'avec le consentement du conducteur. Autre exemple concernant l'assignation à résidence, celle-ci serait transformée en une «obligation de ne pas se déplacer à l'extérieur d'un périmètre» au minimum aussi grand que la commune de l'individu concerné afin de lui permettre de préserver une vie professionnelle et familiale normale. Un périmètre qui pourrait être élargi si l'individu acceptait de porter un bracelet électronique — toujours dans le cadre de la surveillance individuelle, les pointages quotidiens au commissariat de police ou à la gendarmerie passent de 3 voire 4 à un seul et concernant sa durée: de 6 mois et une durée totale de 2 ans, celle-ci passe à 3 mois renouvelables à condition que l'administration fournisse des éléments nouveaux pour justifier la prorogation — ou encore le fait que les perquisitions administratives —décrétées par le Préfet- ne se feraient plus sans l'accord d'un juge judiciaire.

Si le gouvernement a annoncé son intention d'aller vers la révocation de l'état d'urgence, ces garanties ne videraient-elles pas de tout sens ces mesures exceptionnelles par rapport aux possibilités qu'offrent déjà le droit ordinaire? Ce n'est pas l'avis d'Alexandre Vautravers, coordinateur du Master en sécurité du Global Studies Institute (GSI) de l'Université de Genève «On se rend compte avec le recul que certaines mesures, pour être efficaces, doivent être encadrées», tenant à souligner le contexte et le degré de menace dans lequel cette révocation est effectuée.​

«On peut dire, à l'échelle de l'Europe de l'Ouest, qu'il y a pratiquement un attentat terroriste qui a pu être déjoué chaque semaine- c'est une moyenne —, donc on est obligé de constater après coup l'efficacité des mesures de cet état d'urgence.»

Néanmoins, la réponse au terrorisme est-elle législative? «L'état d'urgence n'est pas le principal moyen de lutte contre le terrorisme», déclarait au micro de RTL l'ancien député socialiste Sébastien Pietrasanta, fondateur de la société de Sécurité Pietra Consulting et rapporteur de la commission d'enquête sur les attentats en 2015. Il faut dire que sous le seul quinquennat de François Hollande, pas moins de 5 lois antiterroristes- auxquelles s'ajoutent deux lois sur le Renseignement- ont été promulguées.

Alexandre Vautravers estime pour sa part que la création de nouvelles lois constitue une partie de la réponse au défi du terrorisme:

«Il faut se rendre compte qu'il faut une réponse de société, et une société de Droit, une démocratie, doit répondre avec une adaptation de sa réglementation, de ses lois, de ses règles de vie commune, c'est absolument indispensable.»

Notre expert cite pour exemple de la Grande-Bretagne, dont les lois antiterroristes et sur les services de renseignements sont adaptées «en moyenne tous les deux ans.»

«Il est difficile d'envisager- et même d'imaginer- que l'on puisse encore fonctionner avec des lois de lutte contre le terrorisme qui datent d'avant le 11 septembre, qui datent d'avant les attentats de Paris, du Bataclan. La menace évolue et donc il faut des règles, des lois, qui s'adaptent à cette menace.»

Ce matin, c'est Jacques Toubon, le Défenseur des droits, qui est monté au créneau. Au micro d'Yves Calvi sur RTL, il évoque un texte «déséquilibré entre la sécurité et la liberté», constituant un véritable «ferment de la dissolution nationale». Selon lui certaines mesures de l'état d'urgence visent, stigmatisent, les personnes de confession musulmane et feraient ainsi le jeu des fondamentalistes qui prônent que l'Islam ne peut être «dissous dans la République française». Un nouveau projet de loi qu'il a- plus tôt- qualifié de «pilule empoisonnée» auprès de nos confrères du Monde.

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«Quoi de plus laïc qu'une loi comme celle-là» réagit Alexandre Vautravers. Pour ce dernier, il s'agit là de présomptions à l'égard d'une loi qui s'applique à tous, notamment dans le cadre de la fermeture des lieux de culte. Pour notre expert, le problème est ailleurs et il n'est pas évoqué par le défenseur des droits: la rivalité entre le pouvoir judiciaire et l'exécutif, qui aurait été exacerbée ces derniers mois par les affaires et pas seulement en France, «dans plusieurs pays européens, les juges se sont emparés du débat politique.»

«C'est une réaffirmation du pouvoir exécutif puisqu'on a l'impression aujourd'hui que vu l'état de la situation, la proximité et l'urgence, il n'y a que le pouvoir exécutif —et donc les forces de l'ordre- qui puissent agir rapidement et endiguer, empêcher, d'autres attentats terroristes.»

En somme, une justice qui s'intéresse de près au monde politique, mais dont le bilan serait désavoué par la population sur le plan de la lutte contre le terrorisme. Un tour de vis législatif du nouvel exécutif qui s'apparente à un rattrapage des manquements de son prédécesseur.

«On pousse de côté le pouvoir judiciaire qui —probablement- n'a pas fait les réformes qui étaient nécessaires, n'est pas suffisamment rapides, n'est pas suffisamment efficaces, ses peines ne sont pas suffisamment sévères, donc on paie le certain attentisme, le certain déni de la politique de Madame Taubira et de ses prédécesseurs.»

Reste à savoir si ces nouvelles mesures, du moins le passage de certaines mesures «allégées» de l'état d'urgence dans le droit ordinaire seront en mesure de mieux protéger les français. Comme le souligne dans son interview Gérard Collomb, il est aujourd'hui difficile d'anticiper certaines attaques, comme celle perpétrée à coups de marteau à l'encontre d'un policier, sur le parvis de la Cathédrale Notre-Dame «C'est le problème de notre temps: aujourd'hui, nous sommes face à des personnes qui peuvent passer à l'acte du jour au lendemain.»

Un avis que semble partager Alexandre Vautravers. Pour lui, ces quelque 700 individus radicalisés partis combattre pour Daech en Irak ou en Syrie ne sont pas les seuls capables de menacer la paix civile en France:

«Je pense qu'il y a bien d'autres catégories de personnes qui peuvent menacer l'ordre public, il y a de nombreux terroristes qui ont agi ces derniers mois et qui n'ont pas eu besoin d'aller en Syrie pour commettre des attentats.»

Mais au-delà de ce renforcement de l'arsenal législatif, reste à savoir si le gouvernement aura le courage politique de s'attaquer à la source du problème —un courage qui a jusque-là fait défaut à ses prédécesseurs. «Les gouvernements gesticulent sans s'attaquer aux sources réelles des problèmes d'insécurité,» regrettait Éric Delbecque, directeur du département intelligence stratégique de la société SIFARIS lors d'une interview au Figaro à l'occasion de la sortie de son livre « Le bluff sécuritaire » (Éd, du Cerf, mars 2017). Pour un autre spécialiste de la sécurité intérieure, l'avocat parisien Thibault de Montbrial, fondateur du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure (CRSI) et auteur de «Le sursaut ou le chaos» (Éd, Plon, juin 2015) «il faut oser dire que le salafisme c'est l'antichambre du terrorisme.»

Rappelons également que vouloir «faire la guerre au terrorisme», comme aiment le répéter nos responsables politiques, revient à combattre un moyen et non ceux qui l'emploient. 

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