État d’urgence permanent: une vraie solution au terrorisme?

© AFP 2024 Stephane de Sakutinpolice, Paris
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Les mesures clefs de l’état d’urgence pourraient bientôt être intégrées au droit commun à en croire le texte de l’avant-projet de loi, transmis par le gouvernement au Conseil d’État et dont le quotidien Le Monde s’est procuré une copie. Pourtant, renforcer l’arsenal législatif est-il la solution à la menace terroriste?

Fourni Après la « feuille de route » de la réforme du travail, fuitée en début de semaine dans Le Parisien, c'est maintenant Le Monde qui ébruite les projets de l'exécutif, cette fois-ci en matière d'anti-terrorisme. Le quotidien s'est en effet procuré une copie de l'avant-projet de loi transmis mercredi 7 juin par le gouvernement au Conseil d'État — la plus haute juridiction administrative.

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Un texte législatif ayant pour but de renforcer l'arsenal antiterroriste en dehors de l'état d'urgence qui devrait être présenté en Conseil des ministres le 21 juin prochain, soit au lendemain des législatives. Un texte, qui en l'état, selon Le Monde, prévoit que « quasiment toutes » les mesures phares de l'état d'urgence, à savoir la facilitation de la fermeture des lieux de culte, l'établissement de zones de sécurités prioritaires, les assignations à résidence et la pose de bracelets électroniques ou encore les perquisitions administratives sous la seule décision d'un préfet, intègreront le droit commun.

Une perspective qui inquiète les défenseurs des libertés publiques, à l'instar de la Ligue de défense des droits de l'Homme qui, dans un communiqué daté du 7 juin, fustige un « délirant cocktail liberticide » estimant que « de telles mesures piétineraient les libertés individuelles et collectives et nous feraient basculer dans un autoritarisme d'État » et appelle les électeurs à « tenir compte », dans leur choix, de ces projets de l'exécutif.​

« Si les informations fournies par le journal Le Monde sont exactes, effectivement on peut s'apercevoir qu'un certain nombre de mesures deviendraient pérennes dans le cadre de la lutte anti-terroriste, mais uniquement bien sûr dans ce cadre-là. Comme cette menace va perdurer dans les années à venir, il fallait bien prendre des mesures […] on ne peut pas rester en état d'urgence en permanence car c'est un état d'exception. Il fallait bien que les forces de sécurité continuent à être efficaces tout en ayant quitté cet état d'exception. »

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Déclare Alain Rodier, directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R), qui tient à se montrer « extrêmement prudent » quant à ces révélations. Si pour ce spécialiste du terrorisme il est « tout à fait normal que les différentes associations et la Ligue des droits de l'Homme s'inquiètent des libertés publiques », la France est un État de droit, il tient à rappeler que rien n'est encore joué et que le processus législatif peut modifier le texte final de la loi jusqu'à son adoption par le Parlement et, même après, des éléments peuvent toujours être censurés par les sages du Conseil constitutionnel.

Une prudence, à laquelle appelle également Maître Guillaume Grèze, président de la section Paris du Syndicat des avocats de France (SAF). Néanmoins, l'avocat s'alarme de la rupture que représenterait l'adoption définitive d'un tel texte:

« Cela serait une grande modification, puisque normalement en France, seule l'autorité judiciaire — les magistrats — peuvent prendre une mesure attentatoire aux libertés. »

​Des « pouvoirs liberticides » confiés aux préfets, alors en mesure d'agir sans l'aval des autorités judiciaires à l'encontre de toute personne suspecte « sans qu'il n'y ait des éléments de preuves » souligne maître Grèze, qui tient par ailleurs à faire un point sur le statut des préfets:

« Ce ne sont pas des personnes indépendantes, ce ne sont même pas les autorités administratives, ce sont des fonctionnaires qui sont directement sous la responsabilité du Ministère de l'intérieur. »

Selon Le Monde, le texte devrait être présenté en Conseil des ministres le même jour qu'un tout autre projet de loi: celui prorogeant l'état d'urgence, du 15 juillet au 1er novembre. Souvenez-vous, le 24 mai, à l'issue d'un conseil de Défense faisant suite à l'attentat de Manchester, le gouvernement avait justifié cette nouvelle prorogation par la nécessité d'élaborer cette nouvelle loi anti-terroriste, alors présentée comme un préalable à la sortie de ce régime d'exception.

Une 6ème prorogation de l'état d'urgence depuis novembre 2015 qui n'avait pas laissé indifférent plusieurs organisations syndicales et non gouvernementales — comme notamment Amnesty international, Human Rights Watch, la Ligue des droits de l'Homme ou encore le Syndicat de la magistrature — qui dénonçaient dans un communiqué commun des « atteintes graves aux libertés individuelles » sans contrôle préalable des magistrats, fustigeant l'« inefficience », le caractère « contre-productif » et même les « effets toxiques » du procédé dérogatoire qu'instaure l'état d'urgence.

Une justification qui passe d'autant plus mal que celle-ci avait déjà été utilisée par Manuel Valls en février 2016, rappelle Le Monde.

Ainsi, pour Maître Grèze cette loi antiterroriste — la 25ème depuis 1986 d'après le décompte du journaliste de Télérama Olivier Tesquet — fait figure de « communication politique », le cadre législatif étant en matière d'arsenal judiciaire déjà particulièrement fourni afin de protéger les Français. Seule mesure vraiment efficace à ses yeux: l'augmentation des moyens de ceux en charge de traquer les terroristes.

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« Disons les choses, c'est plus simple de faire croire aux gens qu'on assure plus leur sécurité en faisant un projet de loi que de créer des dizaines ou des centaines de postes de policiers supplémentaires, formés: cela coûte beaucoup plus d'argent et c'est plus long à mettre en place. »

 

Pour l'avocat, il ne fait aucun doute que le gouvernement actuel continuera sur la lancée du précédent, relevant ainsi une certaine « hypocrisie ». Un constat qui pose ainsi une toute autre question: comment le nouvel exécutif appréhende-t-il la problématique du terrorisme sur le sol national? Il était en effet régulièrement reproché à l'équipe de François Hollande de ne pas nommer l'ennemi. Si au Royaume Uni, Theresa May déclarait dimanche la nécessité d'avoir des « discussions difficiles », après la série d'attentats qui a endeuillé le pays ces trois dernier mois, en France, Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, semble sur une tout autre ligne lorsqu'il déclare lundi sur Europe1 suite à ces même attentats de Londres: « Cessons de parler d'État islamique, ils trahissent la religion qu'ils prétendent servir, ce sont juste des assassins. » Quelques jours plus tard, il relègue l'attaque survenue sur le parvis de Notre Dame au rang d'« acte isolé ». Une attaque commise par un doctorant algérien qui s'est pourtant revendiqué être « un soldat du califat ».

« Je pense qu'il serait temps, effectivement, de mettre tous les problèmes un petit peu à plat […] devant des philosophes, des religieux, des politiques, des responsables de la sécurité, pour qu'on arrive enfin à bien déterminer le problème, c'est-à-dire en réalité à désigner l'adversaire et pour qu'on arrête un petit peu de parler de guerre contre le terrorisme — ce qui ne veut rien dire — parce qu'on ne se bat pas contre un moyen, on se bat contre une idéologie, » explique Alain Rodier.

« Aujourd'hui ce qu'il faut adapter, c'est un état d'esprit » déclarait le même jour que Christophe Castaner, également sur Europe1, l'avocat parisien Thibault de Montbrial, fondateur du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure (CRSI) et auteur de « Le sursaut ou le chaos » (Éd, Plon, juin 2015). Pour ce spécialiste de la sécurité intérieure, lutter contre le terrorisme ne doit pas se limiter à allumer des bougies jusqu'au prochain attentat, mais regarder la réalité en face: « La logique de l'Islam radical c'est une logique de conquête, ils sont là pour nous détruire et ils nous le disent à longueur de discours, dans les réseaux sociaux notamment et beaucoup de gens sur notre territoire ne veulent pas l'entendre. » Pour l'avocat, « il faut oser dire que le salafisme c'est l'antichambre du terrorisme. »

Plus tôt dans l'année, lors d'une interview au Figaro à l'occasion de la sortie de son livre « Le bluff sécuritaire » (Éd, du Cerf, mars 2017) un autre spécialiste de la sécurité intérieure, Éric Delbecque, Directeur du département intelligence stratégique de la société SIFARIS, se montrait également particulièrement critique à l'encontre de ces lois sécuritaires successives finissant par « relever du simulacre ou de la mystification ».

Il déclarait « Les gouvernements gesticulent sans s'attaquer aux sources réelles des problèmes d'insécurité. »

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