Fourni Après la « feuille de route » de la réforme du travail, fuitée en début de semaine dans Le Parisien, c'est maintenant Le Monde qui ébruite les projets de l'exécutif, cette fois-ci en matière d'anti-terrorisme. Le quotidien s'est en effet procuré une copie de l'avant-projet de loi transmis mercredi 7 juin par le gouvernement au Conseil d'État — la plus haute juridiction administrative.
« Si les informations fournies par le journal Le Monde sont exactes, effectivement on peut s'apercevoir qu'un certain nombre de mesures deviendraient pérennes dans le cadre de la lutte anti-terroriste, mais uniquement bien sûr dans ce cadre-là. Comme cette menace va perdurer dans les années à venir, il fallait bien prendre des mesures […] on ne peut pas rester en état d'urgence en permanence car c'est un état d'exception. Il fallait bien que les forces de sécurité continuent à être efficaces tout en ayant quitté cet état d'exception. »
Une prudence, à laquelle appelle également Maître Guillaume Grèze, président de la section Paris du Syndicat des avocats de France (SAF). Néanmoins, l'avocat s'alarme de la rupture que représenterait l'adoption définitive d'un tel texte:
« Cela serait une grande modification, puisque normalement en France, seule l'autorité judiciaire — les magistrats — peuvent prendre une mesure attentatoire aux libertés. »
« Ce ne sont pas des personnes indépendantes, ce ne sont même pas les autorités administratives, ce sont des fonctionnaires qui sont directement sous la responsabilité du Ministère de l'intérieur. »
Selon Le Monde, le texte devrait être présenté en Conseil des ministres le même jour qu'un tout autre projet de loi: celui prorogeant l'état d'urgence, du 15 juillet au 1er novembre. Souvenez-vous, le 24 mai, à l'issue d'un conseil de Défense faisant suite à l'attentat de Manchester, le gouvernement avait justifié cette nouvelle prorogation par la nécessité d'élaborer cette nouvelle loi anti-terroriste, alors présentée comme un préalable à la sortie de ce régime d'exception.
Une 6ème prorogation de l'état d'urgence depuis novembre 2015 qui n'avait pas laissé indifférent plusieurs organisations syndicales et non gouvernementales — comme notamment Amnesty international, Human Rights Watch, la Ligue des droits de l'Homme ou encore le Syndicat de la magistrature — qui dénonçaient dans un communiqué commun des « atteintes graves aux libertés individuelles » sans contrôle préalable des magistrats, fustigeant l'« inefficience », le caractère « contre-productif » et même les « effets toxiques » du procédé dérogatoire qu'instaure l'état d'urgence.
Une justification qui passe d'autant plus mal que celle-ci avait déjà été utilisée par Manuel Valls en février 2016, rappelle Le Monde.
Ainsi, pour Maître Grèze cette loi antiterroriste — la 25ème depuis 1986 d'après le décompte du journaliste de Télérama Olivier Tesquet — fait figure de « communication politique », le cadre législatif étant en matière d'arsenal judiciaire déjà particulièrement fourni afin de protéger les Français. Seule mesure vraiment efficace à ses yeux: l'augmentation des moyens de ceux en charge de traquer les terroristes.
Pour l'avocat, il ne fait aucun doute que le gouvernement actuel continuera sur la lancée du précédent, relevant ainsi une certaine « hypocrisie ». Un constat qui pose ainsi une toute autre question: comment le nouvel exécutif appréhende-t-il la problématique du terrorisme sur le sol national? Il était en effet régulièrement reproché à l'équipe de François Hollande de ne pas nommer l'ennemi. Si au Royaume Uni, Theresa May déclarait dimanche la nécessité d'avoir des « discussions difficiles », après la série d'attentats qui a endeuillé le pays ces trois dernier mois, en France, Christophe Castaner, porte-parole du gouvernement, semble sur une tout autre ligne lorsqu'il déclare lundi sur Europe1 suite à ces même attentats de Londres: « Cessons de parler d'État islamique, ils trahissent la religion qu'ils prétendent servir, ce sont juste des assassins. » Quelques jours plus tard, il relègue l'attaque survenue sur le parvis de Notre Dame au rang d'« acte isolé ». Une attaque commise par un doctorant algérien qui s'est pourtant revendiqué être « un soldat du califat ».
« Je pense qu'il serait temps, effectivement, de mettre tous les problèmes un petit peu à plat […] devant des philosophes, des religieux, des politiques, des responsables de la sécurité, pour qu'on arrive enfin à bien déterminer le problème, c'est-à-dire en réalité à désigner l'adversaire et pour qu'on arrête un petit peu de parler de guerre contre le terrorisme — ce qui ne veut rien dire — parce qu'on ne se bat pas contre un moyen, on se bat contre une idéologie, » explique Alain Rodier.
« Aujourd'hui ce qu'il faut adapter, c'est un état d'esprit » déclarait le même jour que Christophe Castaner, également sur Europe1, l'avocat parisien Thibault de Montbrial, fondateur du Centre de Réflexion sur la Sécurité Intérieure (CRSI) et auteur de « Le sursaut ou le chaos » (Éd, Plon, juin 2015). Pour ce spécialiste de la sécurité intérieure, lutter contre le terrorisme ne doit pas se limiter à allumer des bougies jusqu'au prochain attentat, mais regarder la réalité en face: « La logique de l'Islam radical c'est une logique de conquête, ils sont là pour nous détruire et ils nous le disent à longueur de discours, dans les réseaux sociaux notamment et beaucoup de gens sur notre territoire ne veulent pas l'entendre. » Pour l'avocat, « il faut oser dire que le salafisme c'est l'antichambre du terrorisme. »
Plus tôt dans l'année, lors d'une interview au Figaro à l'occasion de la sortie de son livre « Le bluff sécuritaire » (Éd, du Cerf, mars 2017) un autre spécialiste de la sécurité intérieure, Éric Delbecque, Directeur du département intelligence stratégique de la société SIFARIS, se montrait également particulièrement critique à l'encontre de ces lois sécuritaires successives finissant par « relever du simulacre ou de la mystification ».
Il déclarait « Les gouvernements gesticulent sans s'attaquer aux sources réelles des problèmes d'insécurité. »