Les raisons invoquées par les quatre États arabes sont « la déstabilisation de la sécurité » et « les actions visant à soutenir le terrorisme, y compris les groupes comme Al-Qaïda et l'État islamique au Yémen » qui incombent selon eux au Qatar.
Le pays a déjà qualifié cette rupture des relations diplomatiques « d'injustifiées » et balayé toutes les accusations d'ingérence dans les affaires d'autres États.
L'Arabie saoudite, les EAU et le Bahreïn n'ont pas été convaincus par ce démenti et continuent d'attribuer à l'émir les propos sur la normalisation des relations avec l'Iran. Le ministre émirati des Affaires étrangères Anouar Gargash a appelé le Qatar à changer sa politique et à ne pas reproduire les mêmes erreurs s'il voulait rétablir les relations avec ses voisins.
Comme une traînée de poudre
Le Bahreïn a été le premier pays à rompre ses relations diplomatiques avec le Qatar.
« Étant donné que le Qatar continue d'exacerber la situation en matière de sécurité et de stabilité au royaume de Bahreïn et de s'ingérer dans ses affaires, en poursuivant l'escalade et les provocations dans les médias et en soutenant l'activité terroriste… le royaume de Bahreïn annonce la rupture des relations diplomatiques avec l'État du Qatar », a annoncé l'agence de presse officielle du royaume lundi matin.
Littéralement quelques minutes plus tard, l'Arabie saoudite et les EAU ont annoncé des démarches identiques, suivis par le Yémen et la Libye.
Par la suite, Le Caire a précisé que la décision de rompre les relations avec le Qatar avait été prise « parce que les autorités qataries continuent de mener une politique hostile vis-à-vis de l'Égypte et font échouer toutes les tentatives de les dissuader de soutenir les organisations terroristes et notamment les Frères musulmans ».
D'après le communiqué du ministère égyptien des Affaires étrangères, le Qatar « offre un asile aux leaders des Frères musulmans condamnés pour leur implication dans des attentats commis sur le territoire égyptien ». De plus, selon Le Caire, « Doha propage l'idéologie des groupes Al-Qaïda et Daech et soutient des attentats dans le Sinaï ».
L'Égypte a appelé tous les pays amis, les entreprises arabes et internationales à prendre des mesures pour suspendre les communications de transport avec le Qatar
Les diplomates qataris ont 48 heures pour quitter le pays
L'annonce de la rupture des relations diplomatiques a été suivie par un communiqué concernant l'expulsion des diplomates. Le Bahreïn a donné aux diplomates qataris 48 heures pour quitter le territoire du royaume. Manama a également suspendu la communication aérienne et maritime avec Doha et a interdit aux citoyens qataris d'entrer au Bahreïn, tout en interdisant à ses citoyens de résider et de visiter le Qatar.
Les EAU, eux aussi, ont laissé aux diplomates 48 heures pour quitter le pays, rapporte la chaîne Al-Arabiya. « La mission diplomatique du Qatar dispose de 48 heures pour quitter le pays », selon le texte du communiqué.
Même chose du côté de l'Arabie saoudite: « Malheureusement, pour des raisons de sécurité, tous les citoyens qataris sont interdits d'entrée et de transit en Arabie saoudite. Les résidents et les personnes résidant temporairement sur le territoire saoudien ont un délai de 14 jours pour quitter le pays », indique le communiqué publié par l'agence de presse saoudienne SPA.
Par contre, l'Arabie saoudite confirme qu'elle continuera de « fournir tous les avantages et les services aux pèlerins qataris »
Fermeture de l'espace aérien
Les quatre premiers pays à avoir rompu leurs relations avec le Qatar ont décidé de ne pas se limiter aux communiqués et à l'expulsion de diplomates et de citoyens qataris: l'Arabie saoudite et l'Égypte ont notamment suspendu la communication terrestre, aérienne et maritime avec le Qatar.
De son côté, le Bahreïn a annoncé la fermeture de son espace aérien à la compagnie nationale Qatar Airways.
« Le Bahreïn ferme son espace aérien aux avions qataris… Le Qatar continue de soutenir le terrorisme à tous les niveaux et a œuvré à renverser le pouvoir légitime au Bahreïn », indique le communiqué du ministère des Affaires étrangères du royaume.
D'ici demain, les Émirats arabes unis promettent également de suspendre la communication de transport avec le Qatar. « La suspension de la communication maritime et aérienne avec le Qatar et l'interdiction de transit pour les moyens de transport à destination ou en provenance du Qatar entrera en vigueur d'ici 24 heures », annonce la chaîne Al-Arabiya se référant à la déclaration officielle d'Abou Dabi.
La compagnie aérienne émiratie Etihad Airways a confirmé la suspension des vols vers le Qatar. "La compagnie aérienne suspendra les vols à destination et en provenance du Qatar à partir de mardi matin", stipule la déclaration du porte-parole de la compagnie envoyée à Sputnik.
Tous les vols de la compagnie Flydubai entre Dubaï et Doha sont suspendus. « A partir de mardi 6 juin 2017 tous les vols entre Dubaï et Doha seront suspendus », indique le communiqué de la compagnie.
Le Qatar exclu de la coalition au Yémen
De plus, le Qatar a été exclu de la coalition arabe au Yémen, stipule la déclaration de son commandement rapportée par l'agence de presse saoudienne SPA.
Le conflit perdure au Yémen depuis 2014, impliquant d'un côté des rebelles Houthis du mouvement chiite Ansar Allah et une partie de l'armée loyale à l'ex-président Ali Abdallah Saleh, et de l'autre l'armée gouvernementale et les rebelles loyaux au président Abd Rabbo Mansour Hadi. Les autorités bénéficient d'un soutien aérien et sur le terrain de la coalition arabe menée par l'Arabie saoudite.
« Le commandement de la coalition soutenant la légitimité au Yémen annonce sa décision de suspendre la participation du Qatar à la coalition à cause de ses actions visant à soutenir le terrorisme, y compris des groupes terroristes au Yémen comme Al-Qaïda et l'État islamique, et à cause de sa coopération avec des groupes participant au coup d'État », indique la déclaration. Et d'ajouter que ces actions « vont à l'encontre des objectifs de la coalition arabe au Yémen ».
Le sport n'est pas épargné
Le scandale diplomatique a même atteint le monde du sport. Le grand club de football saoudien Al-Ahli Dubaï a annoncé la rupture de son contrat de sponsoring avec la compagnie aérienne Qatar Airways, rapporte la chaîne Al Arabiya.
« Al-Ahli Dubaï annonce la rupture de son contrat de sponsoring avec la compagnie aérienne Qatar Airways », informe le communiqué du club.
Le club Al-Ahli Dubaï joue en première ligue du championnat saoudien et a remporté plusieurs fois la coupe nationale.
Du côté du Qatar
Pour sa part, le Qatar a déclaré que toutes ces mesures étaient absolument injustifiées. « Nous regrettons cette décision de rompre les relations… Ces démarches ne sont absolument pas justifiées, elles s'appuient sur des affirmations infondées », indique le communiqué du ministère des Affaires étrangères du royaume.
Le Qatar a également balayé les accusations d'ingérence dans les affaires intérieures des pays arabes et de soutien au terrorisme. « Le Qatar est un membre actif du Conseil de coopération du Golfe ( CCG ), il respecte sa charge, il respecte la souveraineté des autres États et ne s'ingère pas dans leurs affaires intérieures. Il remplit également ses engagements dans la lutte contre le terrorisme et l'extrémisme », stipule le communiqué du ministère des Affaires étrangères.
Le Qatar accuse les pays à l'origine de la rupture des relations de tenter d'imposer leur volonté à Doha, « ce qui est en soi une violation de la souveraineté ». « Les faux prétextes pour adopter des mesures contre un État fraternel membre du CCG est la meilleure preuve qu'il n'existe pas de raison réelle pour de telles décisions prises conjointement avec l'Égypte », souligne le document.
Les USA prêts à faire médiation
Certains pays extérieurs à la région ont déjà réagi. Le secrétaire d'État américain Rex Tillerson a déclaré que Washington était prêt à jouer un rôle dans la réconciliation du Qatar avec le Bahreïn, l'Arabie saoudite, les EAU et l'Égypte.
« Bien évidemment, nous appelons les parties à s'asseoir à la table des négociations et à résoudre ces différends », a déclaré Tillerson à Sydney, cité par l'AFP.
« Si nous pouvons aider à résoudre les problèmes, nous pensons qu'il est important que le CCG reste uni », a noté le secrétaire d'État américain.
L'un des éventuels « coupables » de la crise, l'Iran, a déclaré que la situation ne contribuait pas au règlement des crises au Moyen-Orient.
« La rupture des relations diplomatiques et la fermeture des frontières […] n'est pas une solution pour régler une crise […]. Comme je le disais, l'agression et l'occupation ne font que conduire à l'instabilité », a déclaré le chef adjoint de l'administration présidentielle iranienne Hamid Aboutalebi, dont les propos sont rapportés par l'agence de presse Reuters.
La faute à Trump ?
L'experte Elena Souponina, conseillère du directeur de l'Institut russe de recherches stratégiques, estime que la rupture des relations diplomatiques des pays arabes avec le Qatar découle de la rhétorique du président américain Donald Trump.
« Derrière les accusations formulées par les monarchies arabes à l'encontre du Qatar se cachent d'autres différends, notamment concernant la politique vis-à-vis de l'Iran. Doha n'était pas d'accord avec la ligne dure adoptée par les Saoudiens, la jugeant trop dangereuse. Cela a suscité le mécontentement de Riyad », déclare l'experte à Sputnik.
Selon elle, « l'émir qatari Tamim a été froidement accueilli au sommet de Riyad, ce qui n'a pas été noté par l'invité principal: le président américain Donald Trump ». « Il était trop occupé par son discours belliqueux contre l'Iran pour remarquer que ses déclarations divisaient encore plus non seulement l'Iran d'une part et les Arabes de l'autre, mais également le monde arabe même. Cette fois, la rhétorique de Donald Trump a provoqué une division même parmi les monarchies autrefois unies du Golfe et formant le CCG », note Elena Souponina.
L'experte estime que « les divergences entre les différents pays arabes sur l'Iran provoquent des frictions dans le cadre des nombreux conflits régionaux, notamment au Yémen et en Syrie où les intérêts de l'Iran sont très visibles ».
« Trump a accompli ce que personne avant lui n'avait réussi à faire: diviser cette organisation qui jusqu'à présent avait cherché, au moins en apparence, à faire preuve d'unité et à laver son linge sale en famille. La question est désormais de savoir si cela arrêtera le président américain dans sa rhétorique dure vis-à-vis de l'Iran, s'il comprendra que cela risque de provoquer une escalade au Moyen-Orient. Peut-être est-ce justement ce que les Américains veulent précisément en appliquant le principe de "diviser pour mieux régner », analyse la conseillère du directeur de l'Institut russe de recherches stratégiques.
L'experte pense que cette situation répond clairement à la question de savoir s'il est possible de créer une « Otan arabe ». « Comme le montrent les événements récents: non, c'est impossible, au moins parce qu'ils se sont brouillés avant que la création d'une Otan arabe commence. Mais ces divergences auront également pour résultat un affaiblissement de la lutte contre le terrorisme dans la région », a souligné l'experte.
Une importance mineure pour la Syrie
La situation autour du Qatar pourrait également influencer les processus dans toute la région, auxquels Doha participait activement. Cependant, selon Boris Dolgov du Centre d'études arabes et islamiques de l'Institut d'études orientales affilié à l'Académie des sciences de Russie, il n'y aura aucun changement radical au sujet de la crise syrienne.
« Le conflit entre les groupes soutenus par Doha et Riyad se poursuivra. Y compris par les armes. Nous assisterons peut-être à une certaine réduction du financement de la part du Qatar, à une promotion plus voilée de ce financement. Il n'est, d'ailleurs, pas très affiché actuellement non plus — qui plus est officiellement — mais il transite par différents fonds islamiques et les ONG », explique Boris Dolgov à Sputnik.
L'analyste pense que le financement se réduira un peu, mais se poursuivra.
« En ce qui concerne l'aggravation de la crise syrienne ou l'impact sur l'aspect militaire du conflit syrien, je pense que la confrontation entre le Qatar et l'Arabie saoudite n'aura pas d'importance majeure », estime-t-il.
L'expert affirme qu'aujourd'hui, après la série d'attentats qui a frappé l'Europe, les politiciens suggèrent de plus en plus de se pencher sur le soutien financier apporté aux groupes radicaux dont les adeptes commettent des attentats en Europe. Il faut, selon lui, analyser en particulier l'éventuelle implication des pays du Golfe.
« D'après moi, cela a également joué un rôle. L'Arabie saoudite et les pays du Golfe qui la soutiennent cherchent à se distancer de ces accusations », note l'expert.
Bénéfique pour le secteur pétrolier
Selon l'analyste de Sberbank KIB Valeri Nesterov, la situation autour du Qatar ne devrait pas impacter significativement la mise en œuvre de l'accord sur la réduction de la production pétrolière. Néanmoins, comme il a été annoncé lundi, le ministère russe de l'Énergie a l'intention d'évoquer la situation avec le Qatar pendant la réunion de la commission veillant à la mise en œuvre de l'accord sur la réduction de la production pétrolière par les pays de l'Opep et les autres États producteurs de pétrole.
Les membres de l'Opep et les autres pays producteurs de pétrole ont décidé le 25 mai de prolonger de neuf mois l'accord sur la réduction de la production. Les parties ont l'intention d'aborder de nouveau ce thème en novembre. L'Arabie saoudite, les EAU et le Qatar sont membres de l'Opep et participent donc à cet accord.
"Du point de vue de la mise en application de l'accord sur la réduction de la production pétrolière, cela ne devrait pas avoir un sérieux impact. Premièrement, des pays qui ne sont pas amis appliquaient et appliquent toujours l'accord. L'Opep a toujours été traversée de différends politiques, parfois même très profonds", rappelle Valeri Nesterov à Sputnik.
Sachant que le Qatar, l'Arabie saoudite et le Bahreïn ont tous les trois intérêt à ce que les prix du pétrole remontent, estime l'analyste. "Le Qatar exporte avant tout du gaz liquéfié, en tant que pays producteur et exportateur de pétrole c'est un acteur bien moins notable sur le marché. C'est pourquoi même si le Qatar ne respectait pas les termes de l'accord, ce dont je doute, rien de grave ne se produirait. Ce n'est pas un pays qui pourrait décider du sort de cet accord", ajoute Valeri Nesterov.
Mais, d'après lui, « l'apparition d'un nouveau foyer de tension est un facteur assez conséquent qui maintiendra ou poussera les prix vers le haut ». « En ce qui concerne les prix du pétrole, cette situation devrait jouer un rôle positif. Toute aggravation de la situation au Moyen-Orient entraîne une hausse spéculative des prix pétroliers », a noté l'expert.
En effet, le cours pétrolier mondial augmente. A 10h01 heure de Moscou, les contrats à terme d'août pour le baril Brent ont augmenté de 0,98 % pour atteindre 50,44 dollars et les contrats à terme de juillet du baril WTI de 1,03 % jusqu'à 48,15 dollars.
Que risque le Qatar ?
Dans le même temps, la situation économique du Qatar pourrait être sérieusement mise à mal, estime le politologue saoudien Ahmed al-Faraj.
« Le Qatar exporte jusqu'à 70 % de marchandises, sachant que la grande majorité passe par un seul poste de contrôle terrestre à la frontière avec l'Arabie saoudite. Le Qatar sera considérablement touché sur le plan économique compte tenu du nombre de camions de marchandises qui seront bloqués à cause de l'interdiction de franchir la frontière saoudienne », a déclaré l'expert sur la chaîne Sky News Arabia.
De plus, selon lui, la compagnie Qatar Airways, avant que Riyad n'adopte l'interdiction, était le deuxième transporteur aérien en Arabie saoudite. Aujourd'hui la compagnie perd ce grand segment du marché.