Gérard Chaliand: à Mossoul, les djihadistes «utilisent les civils comme boucliers humains»

© REUTERS / Alaa Al-MarjaniDisplaced Iraqi people who fled homes during a fight between Iraqi forces and Islamic State militants in al-Zanjili neighbourhood, north of Old City district of Mosul, Iraq May 30, 2017.
Displaced Iraqi people who fled homes during a fight between Iraqi forces and Islamic State militants in al-Zanjili neighbourhood, north of Old City district of Mosul, Iraq May 30, 2017. - Sputnik Afrique
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Mossoul, deuxième ville d’Irak a été prise par Daech en 2014. Sa reconquête, entamée il y a sept mois, est encore en cours. Gérard Chaliand, géopoliticien et spécialiste des conflits irréguliers, revient d’Irak et nous livre son précieux témoignage sur cette bataille et les enjeux de la région.

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Le siège de Mossoul dure depuis plus de sept mois. Pourquoi prend-il autant de temps?

D'abord parce que l'État islamique a décidé d'en faire une sorte d'exemple de sa capacité, du dévouement de ses militants, on leur a dit de s'accrocher jusqu'à la mort. Deuxièmement, parce que la partie Est est extrêmement difficilement à prendre, c'est l'une de ces vieilles villes caractéristiques de la période médiévale, où les rues sont étroites, on ne peut pas y introduire des véhicules, c'est vraiment une très dure bagarre. À mon sens, il doit rester quelques centaines d'hommes et ils essaient de tenir jusqu'au bout. La défaite militaire oui, mais la victoire morale est sauve.

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Quelles sont les pertes humaines?

Difficile à évaluer, mais enfin très franchement, ils ont utilisé les civils en tant que boucliers humains, comme en fait très souvent quand on n'est pas directement concerné par la vie de ceux qui sont là, parce que ce n'est pas vraiment les vôtres.

Peut-on comparer le scénario du siège de Mossoul à un nouvel Alep?

Je ne crois pas. Je crois qu'à Alep, on a beaucoup mélodramatisé l'affaire, on a voulu transformer ça comme quelque chose d'extraordinairement important, Alep-Est est tombée relativement facilement, donc je crois que la comparaison est inexacte, ils ne sont pas du tout défendus de la même façon.

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Après la très probable prise de Mossoul, peut-on s'attendre à une guerre plus intense entre chiites, sunnites et kurdes?

À mon avis, en ce qui concerne les sunnites, je ne pense pas qu'ils vont bouger, ils sont très minoritaires. Le fait que l'État islamique ait été écrasé, ça compte, même si beaucoup de sunnites n'étaient pas du tout sympathisants de l'État islamique. Reste le problème entre les Kurdes et les Irakiens. J'entends là le pouvoir de Bagdad, chiite, la situation peut être conflictuelle dans la mesure où les Kurdes occupent une assiette territoriale qui dépasse celle qui leur revient normalement, c'est-à-dire celle qui est de façon écrasante peuplée de Kurdes. Ils se sont beaucoup avancés pendant le conflit. Il va falloir qu'ils pratiquent d'un côté comme de l'autre des discussions qui peuvent aller jusqu'à la torsion de bras. De là à ce que ça débouche sur un conflit, je pense que les Kurdes n'y ont pas intérêt et en fait, pour l'instant, Bagdad non plus. Restera évidemment la question épineuse de Kirkouk et du pétrole de Kirkouk.

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Quel est l'avenir du référendum sur l'indépendance du Kurdistan irakien?

Je pense que le souhait de déboucher sur l'indépendance chez les Kurdes d'Irak est indiscutable, c'est très net que s'il y avait un référendum, il y aurait une majorité pour. Enfin, je ne pense pas que cela soit souhaité par la communauté internationale, moins encore par les Américains, donc je pense que ce projet de référendum va être remis à plus tard, logiquement.

La solution pour la paix en Syrie passe-t-elle par Genève ou Astana?

Franchement pour l'instant, ni l'un, ni l'autre. Je ne pense pas qu'on débouche sur la paix pour l'instant. Et je vais vous dire pourquoi à mon avis. On négocie quand on pense qu'à travers la négociation, on peut obtenir davantage que ce que l'on obtiendrait à travers le conflit. Aujourd'hui, de part et d'autre, il y a le sentiment que par la poursuite du conflit, on peut encore gagner une position meilleure.

Vous avez déclaré dans une interview précédente que le grand vainqueur régional était l'Iran. Pourquoi?

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Oui, l'Iran est le grand vainqueur régional, indiscutablement. Parce qu'on voit qu'en 2003, l'intervention américain dont le but n'était pas du tout d'avantager l'Iran ni d'ailleurs les Kurdes, a eu en fait comme effet non désiré, de rendre à l'Iran cet Irak qui fut finalement iranien, au sens général du terme, du point de vue impérial. C'est-à-dire que ça a été perdu au XVIIe siècle et accidentellement retrouvé en 2003. C'est un bon point pour les Iraniens. Le Hezbollah s'est imposé comme la force militaire majeure au Liban, le régime de Bachar al-Assad se trouve aujourd'hui en meilleure position militaire qu'il y a cinq ans. Donc on peut dire que les Iraniens, à travers leur politique milicienne, la formation de milices en Syrie, à travers le travail qu'ils ont fait, le général Qasem Soleimani a participé à la formation dit-on de 50 000 hommes. Il y a eu un renforcement de chiites ramenés du Pakistan, ramenés d'Afghanistan, ces sont des Hazaras, ils vont probablement rester. Peut-être même que le régime viserait dans ce que l'on appelle géographiquement la Syrie utile à avoir davantage de chiites, c'est-à-dire faire ce qu'il faut pour qu'il y ait une légère modification de l'équilibre confessionnel. Donc oui pour l'instant, les vainqueurs ce sont indiscutablement les Iraniens, avec bien sûr l'aide effective de la participation russe entre septembre 2015 et février 2016.

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