Jusque-là, tout se passait bien, ou à peu près… Les sujets sensibles étaient abordés, les réponses diplomatiques, mais suffisamment senties. Emmanuel Macron a dévoilé une politique de la ligne rouge en Syrie en cas d'attaque chimique, ce qui est pour le moins risqué, car elle n'avait guère réussi à Barack Obama.
Mais quand même, il faut bien admettre, après le fiasco diplomatique de la présidence Hollande, la venue de Vladimir Poutine dans l'écrin versaillais, dans l'écrin du Grand Siècle, était une jolie nouvelle. On aurait presque oublié les Mistral, la posture moralisante au Proche-Orient ou encore l'annulation par François Hollande de la rencontre avec le « Tsar » Poutine.
Tout cela était presque oublié, la diplomatie regagnait ses droits, et puis, soudain, une nouvelle polémique a jailli :
« Quand des organes de presse répandent des contre-vérités infamantes, ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d'influence. Russia Today et Sputnik ont été des organes d'influence durant cette campagne, qui ont à plusieurs reprises produit des contre-vérités sur ma personne et ma campagne. J'ai donc considéré qu'ils n'avaient pas leur place, je vous le confirme, à mon quartier-général. »
Emmanuel Macron répondait à Xénia Fedorova, directrice de RT France. Pour la troisième fois, Emmanuel Macron a vertement critiqué Sputnik et RT. Avant lui, Richard Ferrand, que nous connaissons mieux aujourd'hui avec les révélations du Canard enchaîné, avait ciblé notre média. Grande nouveauté cependant : Emmanuel Macron occupe désormais l'Élysée, il est désormais chef de l'État.
Mais que voulait-il dire ?
Là est le problème: on ne sait pas, je ne sais pas! Emmanuel Macron évoque avec aplomb des « contre-vérités sur sa personne » mais, chers auditeurs, vous pourrez le vérifier: tapez sur Google « Sputnik + Emmanuel Macron » et, disons, « Mathieu Gallet ». Vous ne trouverez rien. Rien. Rien, car Sputnik s'est refusé à traiter cette rumeur.
Peut-être une autre ? On nous a reproché les propos du député Nicolas Dhuicq…
En effet, on nous reproché d'avoir publié un entretien avec le député LR de l'Aube, Nicolas Dhuicq. Celui-ci avait notamment évoqué sur Sputnik International un « puissant lobby gay », visant Pierre Bergé, soutien d'Emmanuel Macron durant sa campagne.
Alors, que l'on partage ou non cette opinion certes polémique de ce député, il serait, primo, absurde de faire porter au média l'ayant interviewé la responsabilité de ces propos, et secundo, s'il s'agit de cet entretien, vous conviendrez qu'il serait disproportionné de lui accorder autant d'importance lors d'une conférence de presse, lors d'une rencontre « au sommet », comme on dit, entre les chefs d'État français et russe. Et de refuser des accréditations pour cette raison, alors que d'autres ont fait bien pire.
Tout cela pourrait révéler une tendance autoritariste du nouveau Président. Emmanuel Macron est une bête de com' : du contrôle de son image au contrôle de l'information, peut-être n'y a-t-il qu'un petit pas.
Mais quand même, en fin de compte, j'aurais plutôt tendance à penser qu'Emmanuel Macron est mal informé par ses conseillers à notre égard. Ses conseillers et lui-même semblent suivre la doxa ambiante, l'hystérie antirusse… une mode qui nous vient d'outre-Atlantique d'ailleurs, devrait-on préciser.
Comment Moscou a-t-elle réagi ?
Bonne question, puisqu'il n'aura échappé à personne que Vladimir Poutine n'a pas répondu à Emmanuel Macron sur ce point. Comme quoi, nous ne recevons ni directives ni protection !
Le Ministre des Affaires Etrangères Sergei Lavrov, ce matin, a commenté cette critique : il a dénoncé des déclarations dénuées de preuves et affirmé « Je pense que cette déclaration est le produit de la campagne antirusse déclenchée à l'époque de l'Administration Obama, et qui par inertie s'est répandue dans d'autres pays, notamment en Europe. Malheureusement, nos partenaires européens n'arrivent pas à se défaire de cette inertie. »
En effet, les accusations à l'encontre de Sputnik sont omniprésentes, obsédantes. Donc à vrai dire, Emmanuel Macron ne fait pas preuve d'une grande originalité.
Margarita Simonyan, rédactrice en chef RT et Sputnik, a elle aussi réagi : « Selon sa logique, il faudrait chasser de Russie, tous les médias occidentaux, car absolument tous les médias occidentaux sont toujours contre Poutine et font campagne pour l'opposition, en cherchant certainement de cette façon à intervenir dans [les élections russes].» Simonian a fait remarquer à juste titre l'absurdité d'une telle réaction, en évoquant la perspective de la réciprocité.
Bref, à n'en pas douter, la crise médiatique qui traverse l'Occident entraîne tout le monde, y compris nous autres, au sein de la rédaction de Sputnik France.
À n'en pas douter, cette crise médiatique, qui se caractérise principalement par une fracture grandissante entre une caste politico-médiatique, mainstream, et le public et, en conséquence, par une forme de lutte des classes entre ces vieux médias dominants et des médias « alternatifs » plus jeunes, sera l'une des querelles les plus intenses des prochaines années.
Edouard Chanot sur France 24, le 29 mai au soir :