Pour les Républicains, serait-il devenu plus important de faire perdre le Front national que de gagner? C'est l'étonnante question que l'on peut se poser après l'annonce de François Baroin, le 29 mai, lors d'un déplacement de campagne à La Baule (Loire-Atlantique). Celui qui a l'ambition de faire des Républicains (LR) la principale force d'opposition, voire de pousser à la cohabitation a en effet annoncé que les candidats de son parti se retireraient en faveur de ceux de La République en marche (LREM) et du Parti Socialiste (PS) partout où le Front national (FN) pourrait l'emporter. « Les gaullistes sont les adversaires historiques du FN et de l'extrême droite » s'est justifié l'ex-ministre de l'Économie et sénateur-maire de Troyes.
Ainsi, avec cet accord tacite de désistement mutuel, le Front républicain est sauf! Cependant, pas sûr que ce bel élan « républicain » soit perçu d'un bon œil par la base électorale du parti, déjà secouée par la défaite de François Fillon. Pour le politologue Guillaume Bernard, maître de conférences à l'Institut Catholique d'Études supérieures (ICES) — auteur de La guerre à droite aura bien lieu: Le mouvement dextrogyre (Ed. DDB, 2016) — cette décision qui pousse à une « clarification doctrinale » peut s'avérer contre-productive pour les ténors Républicains et pourrait même « favoriser un sursaut électoral du Front national lors des législatives »:
Une décision du leadership LR qui illustre donc une « double fracture » pour le politologue, tant entre la « droite d'en haut » et la « droite d'en bas », qu'entre une partie de l'opinion et des partis politiques qui, selon lui, semblent aujourd'hui plus « bâtir leur stratégie dans l'intérêt d'un certain nombre de leurs caciques » que pour permettre « l'émergence d'un courant de droite alternatif ». Il décrit notamment la « radicalisation » d'une partie de l'électorat de droite, qui ne se retrouve pas dans Emmanuel Macron.
Le politologue dépeint ainsi trois grands blocs: une gauche socialiste autour de Jean-Luc Mélenchon, le centre libéral coalisé autour d'Emmanuel Macron et une droite au bord de l'implosion, hésitante quant au positionnement à adopter vis-à-vis des valeurs pourtant plébiscitées par sa base électorale. « La ligne de fracture idéologique passe au sein de la Droite et non plus entre la Droite et la Gauche. »
Une décision d'autant plus favorable au Front national et à LREM que celle-ci marque une énième contradiction dans l'attitude des Républicains dans la campagne, à commencer par le discours de l'entre-deux tours: si François Fillon n'avait pas perdu une minute pour appeler à voter en faveur d'Emmanuel Macron — jusque-là présenté comme le « fils spirituel » de François Hollande — Les Républicains avaient néanmoins assuré que les candidats d'« En Marche! » devraient s'attendre à faire face au rouleau compresseur des Républicains qui remporteraient hauts la main les législatives… D'ailleurs, les personnalités de la droite et du centre qui ont rejoint le premier gouvernement du quinquennat Macron ont été exclues des Républicains pour cette « trahison ».
Comment alors ne pas voir une nouvelle contradiction, proche d'une forme de pulsion suicidaire politique, dans le fait de voir une alliance de circonstance entre LR, LREM et le PS se former face au Front national à l'occasion des législatives. Un scrutin qui demeure jusqu'à présent le plus difficile pour le Front national. Il y a tout juste 5 ans, le parti frontiste, troisième formation politique du pays en termes de suffrages, représentant alors près de 6,5 millions d'électeurs (17,9 des voix), ne parvenait à envoyer sur les bancs du palais Bourbon que 2 députés… contrairement à EELV, qui malgré 8 fois moins d'électeurs (820 000, soient 2,3 % des suffrages) sont parvenus — avec 8 fois plus de députés (17) — à former un groupe parlementaire. Là encore, l'un de ces étonnants « phénomènes » dont seuls les Français — moralisateurs politiques hors pair — semblent avoir le secret.
Un reflux du vote frontiste aux législatives par rapport au scrutin présidentiel, une tendance que confirme notre politologue qui persiste et signe quant au potentiel de voix LR et donc de sièges que cette décision du parti pourrait apporter au Front national:
En 1956, Guy Mollet déclarait « on a la droite la plus bête du monde », un aphorisme qui semble avoir de beaux jours devant lui. Alors que Les Républicains, malgré leurs contradictions internes, étaient parvenus à obtenir un score bien moins catastrophique que celui de l'autre parti dit « de gouvernement », le PS, il semblerait qu'ils aient finalement opté pour la disqualification, le tout en faisant le jeu du FN qu'ils disent pourtant vouloir combattre par leur geste! Rarement on aura tant réussi à joindre l'inutile à… l'inutile. Ainsi, le seul mérite de François Baroin — à défaut d'avoir su mettre son parti en mesure de l'emporter — sera d'avoir précipité cette recomposition du spectre politique français tant prêchée par Emmanuel Macron.