Peu avant 20 h, alors qu'apparaissent sur les écrans l'esplanade du Louvre et la foule en liesse, à l'orée du bois de Vincennes, les sympathisants et militants du Front national se sont rassemblés entre les caméras et l'estrade où doit venir s'exprimer Marine Le Pen, afin d'entonner la Marseillaise.
Quelques instants plus tard, le couperet tombe.
« C'est un résultat que j'attendais », confie Gilles, un militant fraîchement rallié au Front national. Isabelle, qui milite depuis plus de deux ans, est un peu plus amère. Si elle ne s'attendait pas non plus à voir Marine Le Pen l'emporter ce soir, elle espérait néanmoins un meilleur score: « j'attendais 5 % de plus », mais elle relativise toutefois, disant être « quand même heureuse que le camp patriote fasse 35 % en France. Je pense que c'est déjà une victoire. »
C'est une défaite au parfum de succès pour Claudia, une autre militante: « elle est au-delà de 30 %, pour un parti qui a été de longue date diabolisé dans la vie politique française, c'est bien sûr une très belle performance », déclare-t-elle. Un sentiment que partagent les cadres du parti, à l'image de Wallerand de Saint-Just, le trésorier du Front national, qui évoquait à notre micro son sentiment « du devoir accompli », d'« un succès ».
Car si Marine Le Pen a perdu face à Emmanuel Macron au second tour, le résultat est là: malgré une forte abstention, près de 10,6 million d'électeurs ont accordé leurs suffrages à la candidate « bleu Marine ». C'est presque deux fois plus que le score de son père en 2002 face à Jacques Chirac et dont l'accession surprise au second tour avait provoqué une mobilisation sans précédent… ni suite au vu des nombreuses fissures dans le front républicain version 2017.
En face, malgré la présence d'un Le Pen, Emmanuel Macron avec près de 21 millions de voix, ne rassemble pas significativement plus de bulletins que Nicolas Sarkozy en 2007 (19 millions) ou que François Hollande en 2012 (18 millions).
Ainsi, malgré la défaite, l'ambiance n'est pas à l'abattement au Chalet du lac, privatisé par Marine Le Pen comme bien d'autres candidats avant elle durant cette campagne. Si la bataille des présidentielles est perdue, la guerre est loin d'être finie, les regards se tournant vers les législatives:
Un rôle d'opposition dans laquelle elle inclut Debout la France, dont le ralliement de son président, Nicolas Dupont Aignan, est unanimement salué par les sympathisants, militants et les cadres frontistes.
« Cela fait maintenant des dizaines d'années que ma famille politique ne peut pas travailler avec les gaullistes, pour un certain nombre de raisons historiques, et là c'est fini. Il a brisé un tabou, un empêchement » déclare Wallerand de Saint-Just.
Gaëtan Dussausaye, responsable du Front national de la Jeunesse (FNJ) évoque quant à lui la « véritable métamorphose » que le FN doit à présent mettre en œuvre, notamment afin d'accueillir pleinement en son sein ses nouveaux électeurs: « Le clivage gauche-droite est désormais dépassé, il appartient au passé, tandis que le clivage patriotes contre mondialistes est en train de se mettre en œuvre. »
Interrogés sur ce qu'ils estimaient être les causes de l'échec de Marine au pied du podium, les militants pointent du doigt les médias. Cependant, ce rôle semble plus ambivalent qu'à l'accoutumée. En effet, leur opposition farouche au Front national renforce l'impact du score de leur candidate, même si pour certains, du chemin reste à faire. C'est le cas d'Isabelle, qui décrit un plafond de verre toujours bel et bien présent.
« La dédiabolisation n'est pas terminée, c'est évident, il faut encore faire un travail de pédagogie sur l'ensemble des Français qui peuvent penser les poncifs habituels: "racistes" "fascistes" "xénophobes", mais ces barrières mentales sont en train de tomber. »
D'autres, comme Gilles, se montrent plus réservés quant à la ligne tenue par le Front national en termes de communication durant la campagne. Pour lui, la communication aurait dû être beaucoup plus éducative:
« La campagne aurait dû être beaucoup plus positive, toute la communication du Front national sur les réseaux sociaux était contre: contre monsieur Fillon, contre monsieur Macron, mais il n'y avait jamais vraiment de discours positif pour développer les thématiques du parti. »
« C'est la première année qu'il y avait autant d'indécis et que les deux candidats au second tour étaient un peu inédits », souligne l'un de ses amis. Selon ce dernier, « facilement 4 points » auraient été perdus à la suite du débat. Gilles, celui-là même qui déclarait s'attendre au résultat du vote, développe: « c'est le résultat du mauvais débat de mercredi, on a vu dans les sondages que Marine s'était effondrée. Donc c'est un résultat que j'attendais. » D'autres relativisent, comme Claudia, « C'était une tentative comme une autre de déstabiliser monsieur Macron, qui a montré un visage assez hautain, assez agressif. »
Au Front national, on fait donc contre mauvaise fortune bon cœur et l'on se console de la défaite avec la progression en nombre de voix. Reste que la crise du politique touche aussi le Front national, un parti qui doit maintenant aborder l'élection la plus difficile pour lui — les législatives au scrutin majoritaire — sur fond d'annonces de recomposition et de crise de confiance larvée dans la direction du parti.