Tragédie d’Odessa: 3 ans après, le silence est toujours de mise

© Photo Odessa media agency / Accéder à la base multimédiaThe House of Trade Unions building in Odessa on May 2, 2014
The House of Trade Unions building in Odessa on May 2, 2014 - Sputnik Afrique
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Dans une indifférence quasi-totale en occident, le 2 mai 2014, 42 opposants au mouvement « Euromaïdan » étaient brûlés vifs à Odessa. Une tragédie qui avait attisé la guerre civile dans ce pays multiculturel. Trois ans après, la commémoration de ce massacre s’est déroulée sous tension maximale.

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Alertes à la bombe, blindés et snipers sur les toits, le dispositif des forces de l'ordre, déployé pour encadrer ceux qui étaient venus commémorer le massacre d'Odessa, place Koulikovo Pole, était pour le moins imposant. Il y a tout juste trois ans, le 2 mai 2014, 42 personnes ont péri lors de l'incendie de la Maison des syndicats de la ville suite aux affrontements entre pro et anti-Maïdan, qui avaient fait six autres victimes près de la place Gretcheskaïa. Face à ce rideau d'uniformes, hermétique, les Odessiens ont déposé leurs gerbes de fleurs à bonne distance de la clôture calcinée de l'édifice.

Triste vision, dans ce grand port cosmopolite du Sud-ouest ukrainien, surnommé la « perle de la mer noire », fondée par l'impératrice Catherine II sur d'anciens territoires ottomans et développés par le Duc de Richelieu, dont l'aristocratique statue trône toujours au sommet du monumental escalier du Potemkine dominant le port.

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Les 42 victimes de l'incendie étaient des sympathisants communistes, qui ne voyaient pas du bon œil le mouvement « Euromaidan », lequel avait eu raison du président Viktor Ianoukovitch en février avec le soutien actif de milices paramilitaires ultranationalistes, réputées pour leur russophobie exacerbée.

Des groupes armés qui depuis constituent de réels corps francs dans le pays, à commencer par Pravyï sektor (Secteur droit). Premier acteur à Odessa, il érige en icône Stepan Bandera, un collaborateur sous l'occupation nazie qui envoya ses hommes combattre aux côtés des Allemands contre les Soviétiques et qui sera finalement éliminé par le KGB à Munich. Évoquons aussi la brigade Azov et ses bannières bleues et jaunes, marquées d'une wolfsangel étrangement similaire à celle de la division SS « Das Reich », laquelle, avait notamment, commis le massacre d'Oradour-sur-Glane. Un symbole qui fut également arboré par le parti Svoboda (Liberté), ancien « Parti Social-Nationaliste d'Ukraine », qui tous les mois d'avril, organise à Lviv un défilé en souvenir de la création de la division SS « Galizien ».

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« C'est un rappel triste et terrible de la réalité de ce qui se passe en Ukraine aujourd'hui », réagit à notre micro l'écrivain Nikola Mirkovic, auteur du livre Le Martyre du Kosovo (Éd. Jean Picollec, 2013) et fondateur de l'association Ouest-Est qui entend sensibiliser l'opinion publique et les dirigeants français à la réalité du conflit ukrainien.

Il tient d'emblée à préciser que « pour se mettre un peu dans le contexte, à l'époque vous avez beaucoup de personnes qui sont contre le coup d'État qui a eu lieu à Kiev. »

Il faut en effet rappeler le nombre important de Russes qui peuplent le territoire ukrainien, coupé de la Russie lors de l'effondrement de l'URSS. Ainsi, selon un sondage de l'Institut Razumkov, en novembre 2016, repris par Le Courrier de Russie, 27 % des Ukrainiens déclarent avoir le russe pour langue maternelle.

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C'est notamment vrai dans l'Est et dans le sud de l'Ukraine, particulièrement dans cette ville d'Odessa, où la majorité de la population parle russe et non ukrainien. Au lendemain de la fuite de Ianoukovitch, le 23 février 2014, la Rada suprême (le parlement) abrogeait par décret la loi de 2012 qui conférait au russe son statut de langue régionale de communication interethnique.

Un évènement plus que symbolique, qui malgré l'embrasement qu'il allait provoquer, n'avait pas particulièrement inquiété l'Occident. Alors même que quelques mois plus tôt, toutes les inquiétudes des chancelleries et médias s'étaient tournées vers la minorité tatare de Crimée, lorsque celle-ci votera en faveur de son rattachement à la Russie (96,77 %). Pourtant, la langue tatare y fut, comme l'Ukrainien et le Russe, érigée en langue officielle.

Un laisser-aller, d'autant plus insoutenable que les autorités ukrainiennes, non contentes de n'avoir à ce jour condamné personne, malgré une centaine d'auditions, ont redoublé de mépris à l'égard des victimes. Arseni Iatseniouk, Premier ministre ukrainien déclare ainsi, deux jours après la tragédie, que celle-ci ne serait qu'« un plan russe pour détruire l'Ukraine » évoquant une action « préparée », « planifiée », « financée » et « décidée en avance » par le gouvernement russe, le tout en vue de diviser le pays.

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Un manque d'avancées dans l'enquête également pointé du doigt par l'ONU qui, en juillet 2016, exprimait sa vive préoccupation. Selon les Nations unies, l'enquête « se trouvait influencée par les faiblesses institutionnelles et se caractérisait par des violations de procédure qui attestaient clairement de l'absence de volonté réelle d'enquêter et de poursuivre les responsables. »

Pour Nikola Mirkovic, cette absence de condamnation est une raison de plus de commémorer cet évènement « L'impunité de ces crimes est une invitation à les poursuivre », insiste-t-il.

« Parmi ces responsables, on trouvera notamment des personnes proches du pouvoir, proches des responsables politiques locaux, de la police locale, proche des militaires locaux, proche même des pompiers qui ne sont pas intervenus… il y avait une caserne de pompiers à 700 m de la maison des syndicats. »

Dans un Envoyé Spécial pour Canal +, « Ukraine: Les masques de la Révolution », diffusé le 1er janvier 2016, Paul Moreira, journaliste d'investigation, était le premier en France à revenir sur cette tragédie d'Odessa et à s'interroger du silence politique et médiatique qui avait entouré.

Dans ce reportage, on y voit notamment Mark Gordienko « chef d'une milice pro-ukrainienne » qui déclare, lui aussi à l'attention des gens qui s'étaient réunis devant la maison des syndicats « Ces bâtards ont essayé de nous imposer cette saloperie de monde russe. Ils ont mérité cette mort, je n'ai aucune pitié pour eux. » Un témoignage qui en dit long sur le degré de tolérance de ces gens issus des groupes paramilitaires et qui — non contente d'être érigées en héros par les nouvelles autorités —, n'ont pas de difficulté à évoluer dans le nouveau contexte politique du pays:

« Il n'y a plus beaucoup de miliciens, de bataillons un peu indépendants comme il a pu y avoir au début de la guerre, en 2014, pour la simple et bonne raison qu'ils ont quasiment tous été intégrés dans l'armée officielle. Donc ils font le même travail qu'avant, sauf qu'ils sont sous le commandement de l'Armée. »

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Une réalité également mise à nue par « Ukraine: Les masques de la Révolution », qui soulignait le rôle des groupes paramilitaires pendant et après la révolution. Un documentaire qui avait fait l'effet d'une bombe lors de sa diffusion, ce qui n'avait pas manqué à son auteur ainsi qu'à la chaîne de s'attirer les foudres de l'ambassade d'Ukraine ainsi que d'un certain milieu parisien. « C'est donc Canal+ qui apporte cette fois son concours la nébuleuse hétéroclite du poutinisme, » lisait-on dans les colonnes du Monde dès le 3 février, fustigeant « une partie de la gauche radicale » qui aurait « sombré dans le conspirationnisme » et qui serait « devenue l'idiot utile de la revanche de Poutine et des nostalgiques de l'empire sénile et mafieux qu'était l'URSS au moment de sa chute. »

« Vous avez une pression politique importante, pourquoi? Parce que ceux qui ont pris l'initiative de soutenir le Maïdan ne veulent pas savoir que cela a fait dégénérer complètement un pays qui est aujourd'hui à genoux et qui est sens dessus dessous à cause des interventions de Bruxelles et de Washington. »

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Peu de chance donc, pour Nikola Mirkovic, que les médias accordent à cet évènement, ce soir, une brève. Comme il le souligne aujourd'hui l'Europe a les yeux tournés vers l'Ukraine pour d'autres raisons que la guerre civile qui déchire le pays. I'Eurovision doit en effet se tenir à Kiev d'ici une semaine, compétition de variétés à laquelle les Russes ne sont pas les bienvenus.

L'interview de Marianne James, donnée samedi 29 avril à RTL, en dit long sur les priorités des Européens à l'heure de l'Eurovision. Amalgamant à foison Ukraine et Russie et souffrant visiblement d'un fort tropisme « Vladimir Poutine », la chanteuse craint avant tout une « chasse aux gays. »

Ce qui est en effet un risque au vu de l'impunité dont semble jouir les ultra-nationalistes ukrainiens, qui prisent ce genre de « sport ».

Pas de doute, avant Alep et bien plus près de nous, la tragédie d'Odessa est un cas d'école des biais médiatiques et diplomatiques occidentaux, lesquels, paradoxe suprême, ont pris fait et cause dans cette affaire pour des groupes d'inspiration néonazie face à des groupes de gauche, le tout au nom de la défense de la démocratie.

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