Comment la Tunisie a-t-elle pu devenir un tel fournisseur de djihadistes? Les facteurs sont multiples: avec la crise sociale aiguë au début des années 2000 et le durcissement du régime de Ben Ali, le djihadisme en a profité pour s'étendre; une partie de la classe politique accuse la Troïka, la coalition dirigée par Ennhada le parti islamique local, de 2011 à 2014, de laxisme. Elle aurait laissé prospérer ces réseaux, profitant de la misère sociale des quartiers populaires pour endoctriner les jeunes.
Dans un pays qui jongle toujours entre obligations en matière de droits de l'homme, exigences de sécurité et reconstruction socio-économique, se pencher sur l'origine du fléau est encore difficile, estime Ayman Alaoui, député du parti d'opposition de gauche Front populaire:
Autre reproche fait à la coalition, la rupture des liens entre Damas et Tunis en février 2012, qui complique les enquêtes, rend difficile l'établissement des preuves et l'identification des revenants:
« Le gouvernement tunisien a commis la même erreur que le gouvernement français, la rupture de toutes relations avec la Syrie. Comment voulez-vous traiter un phénomène qui vient principalement de la Syrie et de l'Irak sans avoir de relations, au moins sécuritaire? » s'interroge Mezri Haddad.
Avec le recul de Daesh en Syrie et en Irak, les autorités craignent un repli vers la Libye, dont la frontière avec la Tunisie est extrêmement poreuse. Selon Hamza Meddeb, spécialiste du Maghreb, l'approche sécuritaire mise en place dans le cadre de la guerre contre le terrorisme et le crime organisé « a favorisé le développement de la corruption au sein des services de sécurité chargés du contrôle des frontières », car il a exclu les communautés locales qui comptaient sur l'économie transfrontalière pour survivre. En décembre dernier, le ministère tunisien de l'Intérieur révèle que 800 djihadistes sont déjà rentrés chez eux, mais a assuré qu'il détenait « toutes les informations sur des individus »:
Face à la grogne populaire, le Premier ministre Youssef Chahed joue la carte de la fermeté. La loi antiterroriste de 2 015, qui permet à la police de détenir des suspects sans inculpation pendant 15 jours et sans possibilité de voir un avocat, sera systématiquement appliquée: « elle dit que chaque citoyen tunisien qui a commis des crimes de guerre et mené des combats militaires hors de Tunisie sera directement et impérativement arrêté », explique Ayman Alaoui: « peut-être que c'est efficace ». Pour l'instant, les 800 seraient « tous arrêtés ou sous surveillance ».
La Tunisie entame sa quatrième année sous état d'urgence, mesure censée être exceptionnelle, mais qui semble se normaliser. Dans un pays encore marqué par plusieurs attaques sanglantes qui ont causé la mort de policiers, militaires et de touristes, la proposition de Rached Ghannouchi, chef du parti Ennhada, de gracier les terroristes qui se repentiraient a révélé encore un peu plus l'absence de stratégie pérenne au plus haut niveau.
La contagion djihadiste est ancienne, mais le gouvernement fait mine de prendre le problème à bras le corps. En guise de complément à la loi antiterroriste, il annonce l'adoption d'une « stratégie de lutte contre l'extrémisme », en quatre axes: « prévention, protection, poursuites (judiciaires) et riposte ». Les blocages politiques ont retardé son adoption, actée seulement en novembre 2016, et dont le contenu détaillé est toujours inconnu. Il reste notamment des questions en suspens, probablement source de nouveaux clivages: le sort des femmes, qui n'ont pas forcément combattu ou des enfants nés durant le conflit.
Les décisions prises sont faites pour calmer l'opinion, estime l'ancien ambassadeur Mezri Haddad: « Je sais ce que valent ces propos, c'est pour la consommation locale et les médias. La vraie question c'est: y a-t-il une volonté politique? J'espère que oui. Sans elle, il n'y aura aucun traitement sérieux de cette menace, qui pèse lourd sur la Tunisie. » Peut mieux faire, consent le député de gauche Ayman Alaoui, qui rappelle les difficultés économiques et sociales du pays « la Tunisie ne peut pas gérer, seule, ce retour. »