Michel Maffesoli : «rendre attentif au changement d’époque qui est en cours»

© AFP 2024 FRANCOIS GUILLOTMichel Maffesoli
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À contre-courant de constats catastrophistes sur notre société contemporaine, Michel Maffesoli entend circonscrire les éléments constitutifs de notre avenir. Un certain retour à la nature est devenu pour lui l’enjeu central.

Sommes-nous allés trop loin ? Nous autres, enfants de la Modernité, du Progrès, du règne de l'individu, sommes-nous devenus déracinés, hors-sol, destructeurs  ? Destructeurs, et de quoi  ? Peut-être de notre monde, à la fois naturel et social, donc de notre terre nourricière ?

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Ces interrogations anxiogènes sont omniprésentes, le tableau semble noir, mais pour l'éclaircir, peut-être pourrions-nous devenir « écosophes »… oui, écosophes ! Et pour nous y aider, nous avons accueilli en studio Michel Maffesoli.

Professeur émérite à la Sorbonne, membre de l'institut universitaire de France, Michel Maffesoli plaide pour un réenchantement du monde. Son dernier essai vient d'être publié aux éditions du Cerf et il est intitulé Écosophie. À la fois borborygme et mot savant, l'écosophie provient du grec oïkè, l'habitat, ce qui renvoie à notre terre, et sophia, sagesse. « Seul le Réel mérite attention, écrit Maffesoli. Et c'est cela que je nomme: sensibilité écosophique ». Un souci réaliste, donc.

Regardez l'émission dans son intégralité :

Extraits :

« Je ne tiens pas à rompre avec la modernité, je me contente depuis de nombreuses années de rendre attentif à un changement d'époque qui est en cours. "Époque" en grec, ça veut dire parenthèse. Je crois que la parenthèse moderne se ferme. Elle s'inaugure avec le XVIIe et une concrétisation philosophique au XVIIIe et les Lumières, puis se systématise au XIXe — les grands systèmes sociaux, marxisants en particulier, et fonctionne tant bien que mal jusqu'au XXe. Notre propos est de repérer la décadence de cette période, qui a donné de belles choses — le progrès, le mythe prométhéen. Est en train d'émerger autre chose, j'appelle ça sensibilité écosophique. Je propose ce terme pour prendre le contrepied et éviter l'écologie politique… »

Idée & sensualisme

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« L'idéosophie est l'une des grandes caractéristiques de cette époque moderne: on pensait construire le monde à partir d'une idée. La grande idée cartésienne du "Je Pense", au milieu du Discours de la méthode, c'est ce "Je pense" qui devient comme maître et possesseur de la nature (…) J'ai rendu attentif à la figure emblématique de Dionysos, par opposition, si je reprends la définition proposée par Nietzsche, à celle d'Apollon. Ce dernier est le Dieu du ciel. C'est cela l'idéosophie : je construis le monde à partir d'une idée. Cela prend la forme prométhéenne. Dionysos est un dieu chtonien, un dieu de la terre — le mot autochtone traduit cela. C'est cela la nature : bien sûr, il y a la raison, le cerveau, mais il y a aussi les sens, sous ses diverses modulations. C'est cela pour moi le réalisme, ce sensualisme : on n'est pas purement rationnel ou rationnel, il y a des affects, des émotions, des sentiments. C'est ça le naturalisme. […] Ces jeunes générations ne se reconnaissent plus dans une définition purement rationaliste. C'est intéressant par exemple, et ce n'est pas la première fois dans les histoires humaines, le culte du corps : le corps que j'habille, la mode, le corps que je soigne — la diététique — le corps que construis —  le bodybuilding : ce corporéisme que nous avions mis entre parenthèses, est en train de renaître (…) je l'appelle épiphanisation du corps. Les jeunes générations vivent ce sensualisme. »

Drame & tragédie

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« Il y a des moments où prévaut une conception dramatique du monde : c'est la modernité. Le drame a une résolution, une solution. Marx dit : "chaque société ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre". Voilà une conception dramatique, la dialectique thèse/antithèse/synthèse ou le théâtre du boulevard: la femme/le mari/l'amant. Il y a toujours une solution. Voilà ce qui a caractérisé la modernité. À d'autres moments, et nous rentrons dans l'un de ces moments : le tragos, c'est quelque chose qui est aporique : il faut faire avec. Et l'ère du temps est au tragique. La saturation du politique en est une expression. (…) C'est accepter que l'animalité de l'animal humain. C'est parce que le XXe a refusé cette animalité qu'il a abouti à la bestialité. Le tragique c'est dans le fond, reconnaître, accepter, ritualiser, homéopathiser, cet animal qui est en nous. »

Progrès ou progressivité

« L'accent a été mis durant toute la modernité sur cette belle idée de progrès (…) tout le monde se dit progressiste. Je dis que cette domination du monde a abouti à la dévastation du monde. Les saccages écologiques en sont l'expression. Je propose un autre terme que nous avons en langue française : la progressivité. La philosophie progressive. La philosophie progressive prend acte qu'il y a une manière de progresser à partir des racines. C'était le titre de ma thèse d'État à l'époque  : l'enracinement dynamique. Voyez, c'est cette opposition  : plutôt que de rester obnubilé par le mythe du progrès qui a donné de belles choses —  je n'ai pas envie de critiquer le XVIIIe ou le XIXe, nous en sommes à bien des égards le produit  -, mais à côté de cela, il y a un autre rapport à la nature, au sens, à la dimension chtonienne. La plante humaine n'existe que parce qu'elle a des racines qui lui permettent de croître. L'[être-ensemble] également a besoin, retrouve ses racines: c'est la tradition, c'est le retour du religieux sous ses diverses modulations…  »

Le politique, une antiphrase

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« Le politique est devenu actuellement une antiphrase — comme George Orwell appelle le ministère de la guerre le ministère de l'amour. Le politique, en son sens grec, la polis, était la gestion de la cité, la proxémique, ce qui est proche. Maintenant, c'est devenu le lointain. Si on pouvait revenir à la cité, à la gestion du proche, on pourrait employer le mot politique. À mon avis, ce n'est plus le cas  : cela s'exprime dans l'abstention très forte, par exemple, ou la non-inscription sur les listes électorales. Il y a une transfiguration du politique : cela prend une autre figure et l'autre figure, c'est ce qui est en train de naître: associations, mouvements de rébellion ici ou là qui de temps en temps expriment un ras le bol, mais ne s'inscrivent pas dans cette perspective programmatique du politique. [L'idée] d'une société parfaite n'est plus en jeu.  »

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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