Va-t-on vers un nouvel épisode de guérilla urbaine, comme celui qui avait frappé la France en novembre 2005 ? C'est l'inquiétude que partagent plusieurs médias ce mercredi matin, comme Le Point qui titrait « Aulnay-sous-Bois : un remake de 2005 ? » ou Europe 1, dont un reporter a pu constater, sur place, que la tension était « toujours palpable ».
Hospitalisé, le jeune homme de 22 ans avait pourtant appelé hier au calme : « Les gars, stop à la guerre, soyez unis et ayez confiance en la justice, justice sera faite. ». « Guerre », un mot lourd de sens. Existe-t-il un climat de « guerre » dans les quartiers difficiles, entre certains « jeunes » et policiers ? Luc Poignant, représentant syndical d'Unité SGP Police — FO, rejette autant l'emploi de ce terme de « guerre » que la généralisation du mot « jeunes » dans les médias, afin de qualifier ceux qui s'opposent aux forces de l'ordre, préférant évoquer une « incompréhension ».
Une éventualité qu'exclut également le sociologue Gérard Mauger, qui se souvient bien des « violences urbaines » de 2005. Pour lui, si ce type d'évènements est bien la source de déclenchement de pics de violences, de phénomènes tels que les fameuses « émeutes » dans les quartiers difficiles, il rejette néanmoins la possibilité de voir les évènements actuels prendre une telle tournure. Le sociologue souligne la différence entre l'attitude de l'exécutif d'alors et d'aujourd'hui, ainsi que le rôle qu'avaient joué les médias.
« Les médias en novembre 2005 ont, involontairement bien sûr, certainement beaucoup contribué à la généralisation et à la prolongation de ces émeutes en jouant, en quelque sorte, un jeu-concours du nombre de voitures brûlées. »
Une leçon visiblement tirée, la communication par la Presse des chiffres concernant le nombre de voitures ou de poubelles incendiées étant aujourd'hui une tendance bien moins accentuée.
« La suite caractéristique du phénomène d'injustice, c'est le déni de la responsabilité policière, l'air de dire "ouais, non non, ils n'y sont pour rien, ils n'ont rien fait", Dieu merci le parquet ne s'en est pas tenu à cette version… »
Un déplacement du Président de la République qui s'inscrit dans une volonté d'apaisement vis-à-vis de la population des quartiers, mais ne risque-t-elle pas de créer des fractures ? Si les policiers comprennent cette volonté d'apaisement de François Hollande, comment ne peuvent-ils pas y voir un deux poids deux mesures, une prise de position du sommet de l'exécutif ?
En octobre, lorsque des policiers avaient été attaqués au cocktail Molotov, aux abords d'une cité de Viry-Châtillon, seul Bernard Cazeneuve, alors ministre de l'Intérieur, avait rendu visite aux deux policiers hospitalisés aux grands brûlés de Saint-Louis et dont le pronostic vital était engagé. Interrogé sur cette visite, Luc Poignant n'a pas souhaité commenter… du moins à sa manière.
« Je ne commenterai la visite de François Hollande que lorsque je me rappellerai de la date à laquelle il est venu au chevet de mes collègues de Viry-Châtillon. »
« Lorsque la police intervient, c'est systématiquement pour une interpellation, la police n'intervient pas pour prendre le pouls de la cité. »
Une théorie de « profond malaise » entre jeunes et policiers qui semble confirmée par Le Parisien qui relate que mardi après-midi, des mères de famille de la cité des 3 000 ont été reçues au commissariat d'Aulnay, où elles ont demandé le départ des CRS. Une présence policière renforcée, qui selon elles, inciterait les jeunes à la violence. « Nous souhaitons la fin du dispositif policier mis en place depuis samedi soir dernier », a expliqué Samira, l'une des mères reçues. Mais pas question pour autant de céder à ces demandes :
« On ne va quand même pas laisser le quartier des 3 000 aux mains des casseurs. Ce serait un constat de carence. Il y a une instruction en cours, laissons faire la justice » a déclaré Yves Lefèvre, secrétaire général du syndicat policier Unité SGP-FO.
Des demandes, certes irrecevables en l'état par les autorités, mais qui témoigne par l'initiative de ces femmes d'un transfert vers le plan politique de la grogne des quartiers difficiles habituellement exprimée dans la rue. Un phénomène de canalisation de la colère que Gérad Mauger n'avait pas observé il y a douze ans, lui qui avait parlé à l'époque de phénomène de révolte protopolitique. Le sociologue s'appuie sur un autre exemple : celui de la manifestation de lundi 6 février, où plusieurs centaines de personnes ont défilé dans les rues d'Aulnay-Sous-Bois pour demander « Justice pour Théo », une manifestation « calme, pacifique, qui fait que d'une certaine façon, c'est un peu plus politique ».
Autre Témoignage, peut-être, de cette différence entre la situation actuelle et les émeutes de 2005.
En somme, si le divorce entre la police et certaines populations des cités est consommé depuis longtemps, le grand soir façon 2005 ne semble pas être pour maintenant.