François Bousquet : «Patrick Buisson a remis l’interdit à l’ordre du jour»

© AFP 2024 MIGUEL MEDINAPatrick Buisson
Patrick Buisson - Sputnik Afrique
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Ancien conseiller de Nicolas Sarkozy, artisan de sa victoire en 2007, Patrick Buisson a profondément bouleversé la droite française. Pour François Bousquet, son biographe, la ligne buissonnière est à la fois une réponse aux échecs électoraux de la droite et une véritable révolution culturelle.

Il est l'une des personnalités les plus honnies de la politique française contemporaine et peut être ainsi l'une des plus fascinantes. Il fut l'une des causes premières de la victoire de Nicolas Sarkozy en 2007, et l'on ne peut s'empêcher de penser que son absence fut celle des défaites de 2012 et 2016 de l'ancien président.

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Cette cause, c'est Patrick Buisson. Un être d'une intelligence redoutable et redoutée. Car il faut bien dire que personne ne remet en cause la supériorité intellectuelle peu commune de celui-ci. Mais est-il un génie du mal comme ses détracteurs le décrivent ? Ou plutôt comme le libérateur de la « cause du peuple » comme ses amis le perçoivent ?

Alors pour en savoir davantage sur ce personnage très mystérieux et pour en finir avec les fantasmes, nous avons reçu en studio François Bousquet, rédacteur en chef en second de la revue Éléments, qui vient de publier une biographie de ce « conseiller du prince et prince des conseillers »: La droite buissonnière, aux éditions du Rocher. Cet ouvrage n'est pas qu'une biographie, c'est aussi un portrait de la droite française contemporaine, car il fait de Buisson un personnage central de cette dernière.

Regardez l'intégralité de l'entretien :

Extraits :

Buisson, une anomalie

« Au regard du pays légal, [Patrick Buisson] a un certain passif. Il a été Algérie française, a dirigé la rédaction de Minute, celle de Valeurs Actuelles, fait les campagnes de Philippe de Villiers entre 1993 et 1995. Rien n'indiquait que ce parcours, guidé par une éthique de conviction, permette à Buisson d'entrer dans la cité interdite, à l'Élysée. C'est une anomalie au regard de la production des élites françaises, caractérisée par la loi de l'endogamie ou de la consanguinité idéologique où le même coopte le même. Vous avez remarqué que des gens comme Éric Zemmour, Michel Houellebecq, Alain Soral, Alain Finkielkraut et d'autres, comme Robert Ménard, ont d'abord été des acteurs du système et c'est au sein du fichier central système qu'ils ont opéré leur dissidence. Buisson, c'est tout l'inverse. D'ordinaire, les portes sont toujours fermées pour ce genre de personnage… »

Désigner le totem

« Si l'on doit résumer en un mot la ligne Buisson, c'est qu'il a fait voler en éclats les interdits (…) La question essentielle est celle du fond, de la doctrine. Carl Schmitt dit "est souverain celui qui décide de la situation d'exception", il fonde la souveraineté là-dessus. En réalité, la souveraineté première est celle qui délimite le champ et le périmètre de l'interdit. Est donc souverain celui qui dit là "est le totem, là est le tabou", "là est le licite, là est l'illicite".

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Le Premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, admettait lui-même que la gauche a perdu son aura dans le combat culturel, qu'elle en est réduite à suivre une droite qui s'affranchit de ses totems et tabous. Ce n'est pas tout à fait vrai : c'est la gauche morale qui délimite le champ de l'interdit, c'est-à-dire du dicible. On le vérifie dans les médias, dans les sondages, on le vérifie partout, dans tous les domaines où Buisson s'est aventuré, et dans lesquels il a cherché à faire voler en éclats cette rigidification de la pensée que nous imposent les interdits. En résumé, Buisson dit que le surmoi de la droite c'est la gauche qui le lui impose. En réalité, c'est la gauche qui est le maître de la stratégie de la droite. Sarkozy a fait voler en éclats le front républicain. C'est un crime de lèse-république. La personne qui est derrière, c'est Buisson, pour des raisons de stratégie électorale, pour siphonner les voix du Front national. Or, la gauche n'aime pas les murs, mais elle aime les cordons sanitaires, la prophylaxie sociale, l'hygiène sociale. Rompre le cordon, c'était s'exposer à une riposte foudroyante qui n'allait pas manquer de subvenir contre Patrick Buisson.  »

Un dissident

« Il a pu se glisser au sein du pouvoir par son charisme, son magnétisme d'abord intellectuel. C'est une magnifique intelligence, structurée, qui a un pouvoir peu répandu : clarifier le réel, dégager une percée dans le brouillard confus des choses. On peut dire de lui qu'il est un trotskyste. Mais Trotsky définissait plusieurs sortes d'entrismes. Une en particulier, qui est celle de Buisson : celle à drapeau déployé. Buisson n'a rien caché de son passé, il assume tout. Mais il a porté la guerre culturelle à l'intérieur même du pouvoir. »

Le drame de Buisson

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« En réalité, il a été sollicité par Sarkozy à deux moments très précis : 2005-2007, quand Sarkozy parvient à quasiment doubler l'étiage chiraquien. Il passe de 20 à 32 % grâce à la ligne Buisson. Et il fait appel une seconde fois à Buisson fin janvier 2012 quand il songe à se présenter de nouveau. Jusque-là, il en appelait à Alain Minc, qui lui avait une campagne triple A, capitaine dans la tempête, le duo Merkozy, il avait d'ailleurs imaginé un meeting commun entre Merkel et Sarkozy, ce qui aurait été dévastateur en termes d'images. Sarkozy dévisse complètement dans les sondages. Certains sondages donnaient François Hollande à 60 %. La ligne Buisson va amener Sarkozy à plus de 48 %, sauve les meubles. Sarkozy fait appel deux fois à lui, toujours en période électorale — Buisson est un produit anabolisant pour Sarkozy. Dès qu'il est au pouvoir, il l'oublie. Tout le drame de Buisson se résume entre 2007 et 2012: il ne s'est rien passé.  »

Postérité de la ligne Buisson

« La preuve par François Fillon: je ne parle même pas du "Pénélope Gate". Fillon est en train de ramener la droite à son étiage chiraquien, à 20 % — c'était déjà le cas avant les scandales sur les emplois fictifs. L'essentiel, électoralement parlant, c'est le désenclavement sociologique de la droite conservatrice : la droite qui a voté Fillon lors des primaires. Cette droite conservatrice ne peut pas accéder au pouvoir, elle est numériquement insuffisamment puissante. La ligne Buisson, c'est un désenclavement sociologique entre la droite conservatrice et la droite populiste. Je ne vois pas comment on peut gagner à droite sans cette alliance du régalien et du populaire, des conservateurs et des populistes. C'est ça en première analyse, pour le seul versant de stratégie électorale, la dimension centrale de la ligne Buisson. »

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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