Ramush Haradinaj n'aura passé en tout et pour tout qu'une semaine dans les geôles françaises. L'ex-Commandant de l'Armée de libération du Kosovo (UCK) et ancien Premier ministre (pendant cent jours, en tout et pour tout, entre 2004 et 2005) de la région Serbe sécessionniste est ressorti libre du tribunal de Colmar jeudi 12 janvier. Une remise en liberté qui ne surprend pas Slobodan Despot, écrivain et éditeur d'origines serbo-bosniaque. Pour lui, si des « très bonnes raisons » expliquent certainement cette décision du tribunal, il n'exclut pas « l'existence de pressions, de nature politique, économique et même beaucoup plus concrètes, de gens avec qui on ne plaisante pas. »
« Cela ne m'étonne pas, ce qui eut été vraiment surprenant c'est que la justice française agisse dans le cadre d'Interpol et qu'elle extrade ce criminel — ce criminel présumé, évidemment —, alors là on aurait été vraiment très étonnés, positivement, par l'intégrité, la probité, des magistrats français… mais en Europe de l'Ouest ce n'est pas du tout ce qu'on attend. »
Il faut dire que depuis plusieurs jours, on relate dans la presse que son interpellation en France menace la reprise du dialogue entre la Serbie et le Kosovo, Ramush Haradinaj étant considéré par les Albanais de cette province comme un « héros de guerre ». Rappelons toutefois que Ramush Haradinaj est le plus fervent opposant au rétablissement des relations entre Pristina et Belgrade.
Ainsi, le criminel de guerre présumé s'est vu sommer de ne pas quitter le territoire national afin de répondre à une future convocation, contraint de remettre son passeport aux autorités françaises. Une bien maigre garantie, estime Slobodan Destpot:
« Vous pouvez bien laisser votre passeport, entre la France et le Kosovo il n'y a pas un seul endroit où vous devez présenter un passeport pour passer les frontières. Les cartes d'identité suffisent. C'est une mascarade, une mascarade qui dure depuis les années 90. »
Un examen par la Justice française de la demande d'extradition de Belgrade, qui pourrait prendre plusieurs semaines. D'autant plus que si le Ministère de la Justice serbe a annoncé mardi avoir officiellement demandé à la France l'extradition de l'ex-chef de guerre, cette demande n'est visiblement toujours pas « officiellement parvenue » aux magistrats de la Cour d'appel de Colmar. Quoi qu'il en soit, pour notre intervenant, il serait grandement surprenant que la requête de Belgrade auprès des autorités françaises aboutisse.
« Cela fait 25 ans que la crise de l'ex-Yougoslavie est traitée en Occident dans un seul sens, avec une seule catégorie de coupables et une seule catégorie d'innocents, la culpabilité d'un chef de guerre albanais pour l'instant n'est pas à l'ordre du jour. »
Il faut dire que le procès d'un homme tel que Ramush Haradinaj raviverait des souvenirs que les pays occidentaux aimeraient bien oublier, eux qui ont été les soutiens de premier plan de l'UCK et de la sécession du Kosovo.
« Dans la situation actuelle, l'OTAN est tellement ébranlée, tellement mise en doute, que personne, je pense, en Europe de l'Ouest n'aimerait rouvrir le dossier du Kosovo, c'est un dossier qu'on essaie d'oublier aussi soigneusement que possible. »
Ramush Haradinaj, un individu littéralement intouchable, un « funambule extraordinaire qui se tire de toutes les situations quelles qu'elles soient » juge Slobodan Despot. Acquitté à plusieurs reprises par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) de près de 37 chefs d'inculpation. Des acquittements survenus dans des circonstances plus que troubles. Comme nous l'expliquait la semaine dernière le Colonel des forces spéciales Jacques Hogard, qui fut déployé au Kosovo dans le cadre de l'OTAN, Ramush Haradinaj a été acquitté dans des conditions assez troubles.
« […] au fur et à mesure que disparaissaient les témoins à charge qui étaient assassinés, qui mourraient dans leur baignoire, qui étaient renversés par un bus, qui disparaissaient purement et simplement de la circulation et ce personnage est certainement l'un des plus grands criminels de guerre de notre époque troublée. »
« La procureur du TPIY, Madame Carla Del Ponte a dû renoncer à nombre de témoignages à charge pour cause de disparition, c'est-à-dire d'assassinats de témoins contre ce monsieur. »
confirme Slobodan Despot.
Comme nous le rappelions aussi la semaine dernière, le rapport du sénateur suisse Dick Marty sur le trafic d'organes organisé entre le Kosovo et l'Albanie et qui fit l'effet d'une bombe au moment de sa présentation devant l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe en décembre 2010, s'est rapidement enlisé:
« Un rapport accablant sur l'industrie du trafic d'organes au Kosovo, un rapport qui donne des faits précis et qui implique la classe politique dirigeante du Kosovo ».
La mise sous le boisseau du rapport Marty n'est d'ailleurs pas une première sur le thème. Carla Del Ponte, pourtant ex-procureur général du TPIY, évoquait dans ses mémoires — deux ans avant D. Marty — l'existence de ce trafic d'organes. Il faut dire que dans cette affaire, Ramush Haradina, aujourd'hui chef de l'opposition au Kosovo n'est pas le seul impliqué, son compagnon d'armes de l'UCK, Hashim Thaçi, actuel Président du Kosovo, l'est également. Slobodan Despot se désole:
« C'est probablement le crime le plus hideux de toute la guerre civile yougoslave qu'on est en train d'essayer d'étouffer. »
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