Manipulations médiatiques : la Serbie hier, la Syrie aujourd’hui

© AP Photo / Visar KryeziuRamush Haradinaj
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L’interpellation de Ramush Haradinaj ancien Premier ministre du Kosovo et commandant de l’UCK, accusé de crimes de guerre, nous donne l’occasion de revenir sur la couverture médiatique dont avait fait l’objet le conflit au Kosovo. Un conflit qui, au-delà du biais médiatique, présente d’étonnantes similitudes avec la guerre en Syrie.

« Ce personnage est je pense l'un des plus grand criminel de guerre de notre époque troublée », le Colonel Jacques Hogard réagissait hier à l'arrestation de Ramush Haradinaj, ancien Premier ministre du Kosovo, à sa descente d'avion en provenance de Pristina.

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Un ex-Premier ministre, sous mandat d'arrêt international? Celui-ci est en effet accusé par les autorités Serbes d'avoir torturé et assassiné des dizaines de personnes, tant Serbes qu'Albanaises ou Roms, lorsque son unité, les « Aigles noirs » contrôlaient la région frontalière entre l'Albanie et le Kosovo. Un secteur par où transitaient les armes destiné au groupe rebelle durant le conflit de 1998-1999 dans l'ex-province Serbe. Des personnes dont les corps ont été découvertes près du lac Radonjic dans la région de Decani.

Car avant d'être un présentable et cravaté chef de gouvernement, d'une province Serbe qui allait bientôt devenir un pays autoproclamée ainsi que l'une des plus grandes bases de l'OTAN en Europe (Camp Bondsteel), et même un candidat à l'Union Européenne, Ramush Haradinaj fut l'une des figures de proue de l'Armée de libération du Kosovo (UCK). Une organisation à l'origine d'un conflit qui vit l'OTAN sortir pour la première fois de son cadre défensif. L'UCK, cette organisation rebelle, « résistante », qui fut en son temps encensée par les médias occidentaux.

D'ailleurs, encore aujourd'hui, on tient à rappeler que Ramush Haradinaj a été acquitté à deux reprises par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) des différents chefs d'inculpations qui s'accumulait à son égard (37 pour être exact). Des acquittements troublants « d'un gros bonnet du banditisme mafieux et politique du Kosovo », suite à des poursuites « tardives » et « timides » sur lesquels revient le Colonel Hogard:​

« Acquitté dans des conditions assez troubles […] au fur et à mesure que disparaissaient les témoins à charge qui étaient assassinés, qui mourraient dans leur baignoire, qui était renversé par un bus, qui disparaissaient purement et simplement de la circulation et ce personnage est certainement l'un des plus grands criminels de guerre de notre époque troublée. »

Le Colonel des forces spéciales Jacques Hogard, déployé début 1999 sur le théâtre d'opération, sous commandement de l'OTAN et du Général britannique Michael Jackson, fut en charge de préparer le terrain à l'armée française dans son futur secteur de responsabilité, devenu la principale enclave Serbe du Kosovo: Mitrovica. Il est l'auteur du livre « L'Europe est morte à Pristina » (Ed. Hugo Doc).

D'ailleurs, pour lui ce n'est pas vraiment le fruit du hasard si Ramush Haradinaj s'est fait arrêter, il fut en effet le compagnon d'arme d'Hashim Thaçi qui n'est autre que l'actuel président du Kosovo. Un Président qui est aujourd'hui mouillé dans une affaire de trafic d'organes.

« Cela doit bien l'arranger, malgré ses demandes officielles de remise en liberté de Ramush Haradinaj, le président de la soit-disante république du Kosovo, Hashim Thaçi, qui est son vieux complice… mais quand on veut se débarrasser de son chien on dit qu'il a la rage. »

Des accusations qui n'ont rien de nouveau. Dès 2008, Carla Del Ponte, qui venait tout juste de quitter ses fonctions de Procureure générale du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY), avait évoqué dans ses mémoires l'existence d'un trafic d'organes organisé entre le Kosovo et l'Albanie. Des éléments corroborés par le rapport du député suisse Dick Marty, présenté devant le Conseil de l'Europe en décembre 2010.

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Un rapport qui avait fait l'effet d'une bombe et son auteur l'objet de tentatives de décrédibilisassions tous azimuts, notamment de la part des autorités albanaises, qui n'avaient pas lésiné sur les comparatifs. Des accusations, parfois ubuesques, sur lesquelles revenait en détails le spécialiste des Balkans, Jean-Arnault Dérens, correspondant du Monde Diplomatique dans la région.

Le député helvète fut présenté comme un « ennemi du peuple albanais » voir un « raciste » (Dixit Sali Berisha, Premier ministre albanais), on lui reprochait notamment d'avoir critiqué la légalité de la proclamation d'indépendance du Kosovo, au regard du droit international ou encore son « anti américanisme », pour avoir, déjà, révélé en 2006 le scandale des prisons secrètes de la CIA en Europe. Voir d'avoir des « préjugés politiques » pour avoir publié un rapport sur les fraudes massives lors d'élections parlementaires, visiblement commises par le Parti démocratique du Kosovo (PDK) d'Hashim Thaçi.

Des accusations à l'encontre de ces membres de l'UCK qui rappellent certaines méthodes employées par les rebelles syriens, notamment à Alep. Depuis la libération de la ville, les langues se délient. Et racontent le trafic organes humains, sur une large échelle, dans les quartiers sous administration rebelle.

« La première nature de l'UCK, c'est mafieux et terroriste » soulignait le Colonel Hogard, un constat que dressait également à l'époque le criminologue Xavier Raufer. L'officier revient sur plusieurs évènements macabres dont ont été témoins ses forces spéciales:

« Une nuit dans les faubourgs nord de Mitrovica, un groupe de forces spéciales françaises tombe sur un groupe de l'UCK, en train de vider une barre d'immeuble de ses habitants serbes en leur donnant le choix, soit la valise et vous partez tout de suite en vous confiant les clefs de vos appartements, soit vous prenez une balle dans la tête. Il y avait déjà quelques morts parmi les vieillards serbes qui ne voulaient pas abandonner leur appartement, qui était leur seul bien. »

Des exactions qui n'ont nullement soulevé l'indignation des foules en occident et pour cause, comme le souligne Xavier Raufer:​

« Cela s'est accompli dans un silence de cathédrale de la part des grands médias européens, qui n'avaient pas de mots assez durs pour accuser les uns de nettoyage ethnique et qui gardaient un silence religieux concernant les autres. »

« On a très vite identifié le jeu de l'UCK, s'en prenant à tout ce qui est patrimoine Serbe, historique et religieux » déclare le colonel, qui relate la destruction systématique des monastères orthodoxes « une volonté de faire table rase du passé » au-delà de ça, la « volonté d'éradiquer la population non albanaise, à commencer par les Serbes mais aussi les Roms qui ont été victimes de pogroms, de massacres, d'expropriations. »

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Il faut dire que suite à l'intervention de l'OTAN, les Albanais ont chassé une grande partie des Serbes de la province du Kosovo. Pour ceux qui restent, la vie est des plus difficile: cultures et champs saccagés, bétail tué, maisons fréquemment cambriolées, coupures d'eau, d'électricité dans les enclaves serbes qui subsistent dans le pays. Eglises profanées, incendiées, voir utilisées comme dépotoir et toilettes publiques.

Là encore, des méthodes qui rappellent fortement celles employées par les djihadistes en Syrie, qu'il s'agisse de la destruction de patrimoine historique et religieux ou de leur profanation. Dans les deux cas ils tentent de rendre impossible la vie des habitants: eau empoisonnée, attentats suicides, bombardements, y compris au gaz… s'ajoutent aux multiples menaces et racket sur la population.

Dans les deux cas aussi, le traitement médiatique réservé en occident à ces combattants est favorable: les « résistants » de l'UCK (champ lexical de la deuxième guerre mondiale), les « rebelles » syriens (champ lexical romantique, façon Star-Wars…). Une présentation des médias de ces rebelles sur laquelle revient Xavier Raufer:

« C'était très clairement dès le départ une opération américaine, une opération où la guerre de l'information dans ce qu'elle a de plus sordide et sinistre avait été utilisée, c'est-à-dire qu'on refait le coup de Timisoara avec les faux massacres et les cadavres retirés de morgues et de cimetières qu'on laissait trainer dans les rues et on disait « regardez un massacre vient de se produire! »

Un mécanisme, de manipulation de l'information, qui n'épargnait pas les observateurs dépêchés sur place pour constater ces exactions:

« Il y a eu des pressions extrêmement fortes qui avaient été à l'époque accomplies sur des médecins envoyé par des organismes de contrôle de l'Europe pour vérifier ce qu'étaient ces massacres et qui trouvaient ces massacres fort douteux. On a fait sur eux des pressions extrêmement fortes pour les amener à mentir ou en tout cas à se taire. »

À 16 ans de distance, le parallèle entre le traitement médiatique des deux conflits est frappant:

« On est dans un contexte où ce sont les mêmes organes de presse qui biaisent exactement les mêmes choses, à savoir que cela fait bien longtemps que ces organes de presse ont renoncé à faire de l'information. En réalité ils font de la morale, c'est-à-dire qu'ils accusent ceux qu'ils n'aiment pas de mal se conduire, de commettre des crimes de guerre, contre l'humanité, d'être des dictateurs, d'être le nouvel Hitler, d'être ceci, d'être cela. Bien entendu cela n'est pas innocent, car c'est au service d'une cause différente et bien souvent d'intérêts dont le centre de gravité se trouve aux Etats-Unis. »

Des serbes littéralement diabolisés et ce depuis le conflit Bosnie-Herzégovine, « Nous avons pu dans l'opinion publique faire coïncider Serbes et nazis » déclarait James Harff, directeur de l'agence de communication américaine Ruder & Finn Global Public Affairs durant le conflit, au journaliste français Jacques Merlino, auteur du livre « Les vérités yougoslaves ne sont pas toutes bonnes à dire » (Ed. Albin Michel) Pour Xavier Raufer, c'est toujours le même schéma qui s'applique, implacablement, depuis la fin de la Guerre froide:

« Il semble y avoir des experts de la guerre de l'information, qui avant de détruire une entité, une organisation, un pays par les bombes, la détruisent moralement de manière à ce qu'après quoi les choses se passent bien en disant « mais oui, vous vous rendez compte, si c'est un dictateur, si c'est le nouvel Hitler, bah alors c'est normal ce qui lui arrive et on ne s'inquiète pas trop » c'est ça qui est à l'œuvre. »

Une moraline qui justifie aussi de soutenir activement le camp du bien: livraisons d'armes aux « rebelles modérés » en Syrie, envoie de conseillers militaires et de soutien logistique, indirectement par le biais des casques blancs, voire de manière plus directe comme dans le cas de Deir ez-Zor où l'US Air Force a bombardé par erreur des positions de l'armée syrienne, juste avant une offensive de « daech » sur ces mêmes positions.

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Les Etats-Unis prenaient encore mois de gants au Kosovo, puisque l'opération de l'OTAN allait en soutien direct au « kosovars » contre les serbes. Alors que le colonel évoque un autre « fait d'arme peu glorieux » de l'UCK pour illustrer ses propos, les Forces spéciales françaises ayant eu à « croiser le fer » avec l'organisation rebelle à plusieurs reprises: une attaque contre une colonne de civils entre Peć et Mitrovica, un épisode qu'il avait rappelé il y a déjà quelques années sur le plateau de TV liberté. « On ne pouvait pas imaginer laisser faire ces salopards — il n'y a pas d'autres mots, des criminels de guerre — attaquer un convoi civil ». Le colonel dépêche alors un hélicoptère sur place afin de dissuader les assaillants, « pratiquement dans la minute qui suivait, j'ai eu mon général britannique qui m'a demandé ce qui se passait "vous êtes en train de tirer sur les SAS avec vos hélicos!" »

En France, encore une fois, rien de tout ne transparait dans les médias, bien au contraire, les forces de l'UCK sont érigées en véritables héros. Un hiatus qu'a mal vécu le colonel Hogard:

« C'est évident que je l'ai mal vécu, j'ai compris tout de suite que nous nous étions trompés d'amis et trompés d'ennemis, on avait fait une inversion des rôles… mais tout cela sous la pression de l'OTAN, la pression des Etats-Unis. C'est un problème de politique étrangère […] nous sommes devenus atlantiste au point d'en oublier notre faculté de jugement autonome et propre […] cela nous a amenés à nous aligner complètement sur les intérêts américano-britanico-allemands dans cette affaire, pour jouer un rôle de supplétif dérisoire et minable!»

Au delà du sort du colonel Hogard — qui, suite à cet engagement, a mis un terme à sa carrière militaire — le sort qu'a connu l'ex-province yougoslave laisse songeur quant à l'avenir de la Syrie si les projets américains de renversement de Bachar El Assad se réalisaient. Le Kosovo est en effet, près de dix-huit ans après l'intervention de l'OTAN, un État maffieux au sein de l'Europe.

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