Ingérence : contre qui Le Drian a-t-il tenu à mettre les Français en garde ?

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Dans la foulée de la parution du rapport du renseignement américain supposé mettre en lumière l’ingérence russe dans les élections américaines, le ministre français de la Défense, Jean-Yves le Drian, a mis en garde les Français contre toute opération de déstabilisation électorale. Qui craint-il vraiment ?

« J'appelle chacun à la plus grande vigilance ». Jean-Yves le Drian a mis en garde les Français contre le risque d'ingérence dans le processus électoral en France: « Il ne peut être exclu que des opérations de même nature que celles observées aux États-Unis cherchent à perturber le processus électoral français » a-t-il déclaré au Journal du Dimanche, le 8 janvier. Le ministre de la Défense n'exclut pas que la France puisse faire l'objet d'opérations de déstabilisation de son système politique via les réseaux informatiques:

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« Depuis que je suis à mon poste et notamment depuis trois ans, la menace cybernétique est devenue majeure y compris sur nos propres outils militaires ». Le ministre évoque une « ingérence insupportable » au cas où « une action pour influencer ou manipuler l'élection présidentielle américaine » aurait bien eu lieu, mais malgré les incitations des journalistes, jamais il ne cite la Russie et refuse d'évoquer la « nouvelle guerre froide » que l'Occident et la Russie se livreraient.

« Je dis plutôt que nous assistons à un retour en force des puissances qui se réaffirment. C'est le cas de la Russie bien sûr, mais aussi de la Chine ou de l'Iran » précise-t-il. Un contexte dans lequel il estime que la France se doit de « préserver sa souveraineté de décision et son autonomie d'action » et de s'en donner les moyens.

Des déclarations qui surviennent sur fond de parution, du rapport du Bureau du Directeur du renseignement national américain (ODNI), le 6 janvier dernier. S'il n'apportait rien de concret concernant les hackings supposés, le rapport accusait néanmoins la Russie d'avoir, via ses médias publics, « cherché à aider les chances du président Trump à être élu, lorsque cela était possible, en discréditant la secrétaire Clinton et en l'opposant défavorablement à son adversaire. »

Alors, la Russie est-elle responsable de tous les « cyber-maux » des États-Unis? « ridicule » pour le député socialiste Jérôme Lambert:

« Que des informations aient pu fuiter aux États-Unis, en provenance du staff du Parti Démocrate ou de l'entourage d'Hillary Clinton c'est un fait, puisque ces informations ont été publiées. »

Faisant allusion aux emails, diffusés sur la Toile, relatifs au sabordage par le parti Démocrate de la campagne de Bernard Sanders, au profit d'Hillary Clinton, le député français développe:

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« Penser qu'en France de telles opérations pourraient conduire à influencer ou détourner l'attention des électeurs par rapport à l'élection présidentielle, on est dans le pur fantasme […] c'est ridicule, les électeurs vont se déterminer par rapport au choix qui vont leur être proposés, aux candidats, à leurs programmes et le reste c'est vraiment pour amuser les médias! »

Pour Charles Préaux, fondateur et directeur de l'école d'ingénieurs en cyberdéfense au sein de l'École Nationale Supérieure d'Ingénieurs de Bretagne-Sud (ENSIBS), il faut distinguer les opérations de hacking pur, qui dans le cas américain demeurent « une hypothèse », soulignant que « La démonstration, la preuve en tout cas, de cyberattaques aux États-Unis n'a pas été révélée » et les opérations dites « d'influence »:​

« En réalité, ce qui s'est passé sur les élections américaines est une opération de cyberinfluence. On utilise les moyens cyber, c'est-à-dire les capacités à mobiliser les différents médias dans le domaine cyber, pour influencer le vote. »

Selon Charles Préaux, s'il n'est pas possible qu'un scrutin français puisse faire l'objet de cyberattaques, « des opérations d'influence, elles, restent possibles. » En effet, le vote en France étant matérialisé, sur papier, dans des urnes transparentes, cela rend improbable que nous puissions être victime de cyberattaques sur les scrutins, explique Charles Préaux. Les machines à voter sont l'exception en France: après avoir été introduites auprès de 64 communes de plus de 3 500 habitants représentant 1,5 million d'électeurs, un moratoire sur leur déploiement a été décidé en 2007.

« Les opérations de cyberinfluence peuvent très bien aussi se produire lors d'élections, par exemple présidentielles, dans d'autres pays et pourquoi pas en France. Rien n'interdit à d'autres pays de pouvoir manifester leurs préférences pour tel ou tel candidat. »

Et il semble bien qu'en parlant « d'ingérence », le ministre désigne plutôt la « cyberinfluence » des médias étrangers en France. Des médias qui présentent sous un angle alternatif des infos qui pourraient par conséquent influencer l'électorat. Charles Préaux semble aller dans ce sens:

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« Vous le savez mieux que moi, c'est vieux comme le monde, les médias étrangers qu'ils soient gouvernementaux ou non gouvernementaux font valoir leurs préférences, compte tenu de tel ou tel contexte politique […] en réalité, c'est la continuité de ce qui se faisait auparavant avec d'autres solutions ».

Il faut dire que le développement des moyens techniques est allé de pair avec celui de la portée de ces médias, « Le cyber est capable de toucher une cible énorme en quelques clics » souligne Charles Préaux.

Quant aux principaux intéressés, les partis politiques français, dont les candidats sont aujourd'hui en lice pour la présidentielle, ils semblent surpris par les déclarations du ministre, à commencer dans son propre camp.

« Je ne vois pas en quoi le Parti socialiste ou d'autres partis pourraient être menacés. Certainement qu'il y a des opérations de hackers, mais pour prouver ou influencer quoi? » se demande le député socialiste Jérôme Lambert.

Quant au Front national, on a pu croire un instant que son site Web avait été victime de ces fameux hackers russes. Une partie du site a été mis hors ligne suite à une attaque informatique dans la soirée du 9 janvier, qui a déclenché des mesures de sécurité automatiques. Rien ne dit qu'il s'agissait de hackers russes, selon une de nos sources au sein du FN, lequel serait d'ailleurs très étonné de subir le courroux des supposés pirates du Kremlin.

Il faut souligner que les partis politiques français ont fait l'objet d'une attention toute particulière de l'Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d'Information (ANSSI), comme le rappelle Charles Préaux:

« Cette agence a fait un travail remarquable en matière d'information des partis politiques sur les risques de cyberinfluence. »

Un lot de conseils et de mesures à appliquer, relatif à une « hygiène informatique », sur laquelle revient d'ailleurs le ministre devant les journalistes, soulignant au passage que l'ANSSI, n'avait pas constaté de tentative d'ingérence extérieure dans les affaires politiques du pays.

Pour autant, la défense s'organise, en témoigne l'inauguration récente du pôle d'excellence cyber à Rennes. Le ministre de la Défense soulignait d'ailleurs dans son interview au JDD que la loi de programmation militaire portera d'ici à 2019 à 2 600 les effectifs français de ses « combattants numériques » et que 2 milliards d'euros sur six ans seraient alloués à la cybersécurité.

Il faut dire que si la France est la cible de nombreuses attaques informatiques, celles-ci sont très majoritairement le fait de hackers isolés. « Quelques centaines élaborées », avec « de véritables intentions de nuire » demeurent, souligne le ministre, qui avance le chiffre de 24 000 « attaques externes » que Ballard aurait subies l'année passée, ajoutant que « les tentatives d'agression informatique sur mon ministère doublent chaque année ». S'il précise qu'« aucune attaque sur le ministère de la Défense n'est parvenue à ses fins », on ne peut pas en dire autant de l'Élysée.

En 2012, le palais présidentiel avait été en effet victime d'une attaque informatique, une attaque menée — à en croire l'ancien directeur technique de la DGSE, Bernard Barbier — par les États-Unis.

Les opinions exprimées dans ce contenu n'engagent que la responsabilité de l'auteur.

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