« La libération totale d'Alep est proche », c'est ce qu'annonçait une source militaire de Sputnik dès le 12 décembre au soir. Une libération qui pourrait être pleinement effective « d'ici 48 heures », si on en croit le témoignage de Pierre le Corf, français vivant à Alep Ouest où de nombreux habitants sont descendus dans les rues pour célébrer cette libération «imminente» et la fin des combats et des bombardements.
« Alep, une fin dans le sang et les flammes » pour France Inter, quant à Le Monde : « Alep, en passe de tomber aux mains du régime de Bachar Al-Assad » (rappelons qu'un million et demi de civils vivent actuellement à Alep en zone gouvernementale). D'autres médias titrent sur le spectre des massacres et autres « atrocités contre les civils », tel que RFI ou L'Express.
La palme revient néanmoins à l'Obs, qui semble affectionner les comparaisons historiques, via Rue89, « Alep: "C'est Srebrenica qui parle. Impuissance" », quelques heures plus tard, autre article autre titre, « ALEP. Comme à Grozny, la stratégie russe est simple: c'est la destruction totale »
Christian Harbulot, Directeur de l'École de Guerre Économique (EGE), voit dans la couverture médiatique de la libération d'Alep, une sorte de « danse de Saint-Guy » des journalistes français :
« Nous assistons hélas à un concert de protestations qui relèvent plus de l'intention d'influencer l'opinion publique que le devoir d'informer l'opinion publique française. »
« Pour un certain nombre d'acteurs dans le monde occidental, une victoire de l'armée syrienne appuyée par la Russie à Alep est une défaite en termes d'image. »
Pour Christian Harbulot, la question d'Alep va au-delà d'un simple revers public des médias :
Mais au-delà des grands titres et de leurs biais informationnels, la couverture médiatique révèle l'influence de Twitter, et autres réseaux sociaux chez les journalistes, qui échangeaient visiblement avec des « sources » sur place via ces derniers. Des sources qui en deviennent d'autant plus difficilement vérifiables…
Twitter, sur lequel revient LCI, qui titre un reportage « Terrifiés, les habitants d'Alep-Est font leurs adieux sur Twitter » ou encore le JDD « A Alep, la fin du monde en direct ». Car c'est bien connu, lorsqu'on est terrifié, pris entre deux feux et que l'on fuit des combats en tâchant de sauver sa peau… on tweete.
On tweete sous les bombes, comme Bana, ou plutôt sa mère, professeur d'anglais, qui tweete le quotidien de cette fillette de 7 ans, non sans quelques agréments politiques, ne serait-ce dans ses interviews Skype à CNN et TF1. Bana, sur laquelle s'épandait hier Rue89 : « La mère de Bana, la fillette d'Alep "Nous sommes de vraies personnes" », dont le compte Twitter a été ouvert à quelques jours de l'offensive de l'armée régulière sur Alep Est. Coïncidence…
On tweete, ou on se contente d'envoyer de simples hurlements par téléphones interposés, comme ceux relatés par la reporter Laura-Maï Gaveriaux :
Le dernier message WhatsApp que j'ai reçu d'#Alep est un hurlement. Littéralement. Un hurlement dans la nuit. L'horreur totale.
— Laura-Maï Gaveriaux (@lmgaveriaux) 12 декабря 2016 г.
Des tweets dont les informations n'ont encore pu être recoupées, mais qui donnent du grain à moudre à des journalistes visiblement bien plus préoccupés par l'aspect émotionnel, voire lyrique, qu'informationnel des infos…
Il faudrait que je veille, que je guette l'info, un message, un signe. Pour l'instant le silence.
— Laura-Maï Gaveriaux (@lmgaveriaux) 12 декабря 2016 г.
Dur de faire mon métier, ce soir. #Alep
Twitter, où la situation à Alep donne une merveilleuse opportunité de mesurer l'influence de sources aussi controversées que l'OSDH ou les Casques Blancs, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois :
L'organisation syrienne des droits de l'homme confirme des massacres de civils par les pro-Assad. L'ONU parle "d'atrocités". #Alep
— Hugo Clément (@hugoclement) 12 декабря 2016 г.
Pour être précis, Ban Ki-moon ne confirme pas les atrocités, mais se dit « alarmé lundi par des informations faisant état d'atrocités commises contre un grand nombre de civils, dont des femmes et des enfants, ces dernières heures à Alep, en Syrie. »
« Tout en soulignant que l'ONU n'est pas en mesure de vérifier ces informations de manière indépendante, le Secrétaire général exprime sa profonde préoccupation aux parties concernées », pour reprendre les termes exacts du communiqué de presse des Nations Unies.
Des informations alors non recoupées mais relayées par des tweetos épris d'humanisme :
#Alep: L'ensemble du personnel de l'hôpital Alhaya vient d'être exécuté par les miliciens du régime de Bachar al-Assad
— Axel Joly (@AxelJoly) 12 декабря 2016 г.
Des tweets repris des milliers de fois par des lecteurs tant crédules que critiques, qui n'hésitent pas à mettre leurs auteurs faces à leurs contradictions… Des contradictions qui ne manquent pas, parfois même émanant de ceux dont ces tweetos au grand cœur souhaiteraient se faire les porte-voix. Tels que les pro-« rebelles » du média local Aleppo24 : « La nouvelle de l'exécution de personnels médicaux dans les environs de Kallasa est fausse. Le centre médical avait déjà été évacué. »
It not true about the News of execution of medical point workers in Kallasa neighbourhood. Medical point evacuated before that time#A24
— Aleppo24 (@24Aleppo) 12 декабря 2016 г.
Bref, à la « pluie d'obus », les médias semblent vouloir répondre par une pluie de rumeurs et de bruits alarmistes propres à émouvoir le chaland et à bloquer toute réflexion, tout recul sur le sujet. Un alarmisme, une réaction épidermique d'une presse appelant à l'action militaire, qui rappelle Timisoara en Roumanie, où les crimes de guerre présumés des Serbes au Kosovo (alors que les crimes, avérés, de l'UÇK étaient passés sous silence). Dernier exemple en date, dans la Lybie de Kadhafi, avec Benghazi, qui fut d'ailleurs, comme Alep, comparée à Srebrenica.
Pour Christian Harbulot, là où les médias « perdent la face », c'est lorsqu'ils condamnent les syriens, voire les russes, en omettant totalement les exactions commises pas la partie adverse. Une attitude d'autant plus incompréhensible et impardonnable lorsqu'on connaît les liens entre les djihadistes qui déchirent aujourd'hui le pays et les attentats commis en Europe ces deux dernières années.
« Là je suis désolé, mais il y a deux poids — deux mesures, les médias français n'ont aucune leçon d'humanisme à donner à personne à partir du moment où ils s'avèrent totalement incapables de dénoncer comme il se doit la barbarie, que ce soit celle de l'État Islamique ou des groupes du type Al-Qaïda ou affiliés [Front Fatah al Cham, ex Front al Nosra, ndlr]. Il y a là quelque chose de profondément choquant, de profondément injuste et on est plus dans des luttes d'influences que dans de l'information digne de ce nom. »
D'autant plus que si un hiatus existe entre les informations relayées et la réalité des faits, ces derniers sont têtus : Ces derniers jours des milliers de personnes ont été évacuées d'Alep Est. Hier déjà, le Centre russe pour la réconciliation annonçait qu'en 24 heures « 13 346 civils, dont 5 831 enfants, ont été évacués des quartiers qui restent toujours sous contrôle des combattants. »
Des individus qui sont partis à Alep-Ouest en grande majorité. On est bien loin de l'image des civils fuyant les chars du régime, refusant de tomber dans le « piège » des couloirs humanitaires et préférant mourir plutôt que de tomber sous la coupe de Bachar que nous décrivent certains confrères.
Quelques heures avant la fin des combats, c'est déjà la fin des bombardements, pour tous les habitants d'Alep, après 4 ans de conflit: alors pourquoi une telle posture des journalistes français?
Une posture ou une imposture?
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