Le FBI a-t-il causé la défaite d'Hillary Clinton?

© AFP 2024 Jim WATSON Brendan SMIALOWSKIJames Comey / Hillary Clinton
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Hillary Clinton estime que le FBI et son directeur James Comey sont responsables de sa défaite à l'élection présidentielle américaine.

Rappelons que quelques jours avant le vote, le Bureau avait rouvert l'enquête sur la correspondance professionnelle d'Hillary Clinton quand elle était secrétaire d'État avant de clore l'affaire la veille de l'élection. Selon la candidate démocrate, le FBI s'est rangé du côté des républicains pendant la période électorale, ce qui a entraîné sa défaite. La reprise de l'enquête a effectivement eu un impact négatif sur l'image de l'ex-secrétaire d'État puisque la popularité de Clinton a chuté. Cependant, sans l'ombre d'un doute, la position du FBI en tant qu'institution n'est pas exclusivement pro-républicaine ou pro-démocrate, et les actions du Bureau ne sont certainement pas la cause principale de l'échec des démocrates à l'élection.

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Le fait est que le système politique américain est basé sur un mécanisme de freins et de contrepoids qui régulent les relations entre tous les organismes fédéraux et locaux de pouvoir. Une partie des services, en particulier le FBI, ont généralement une attitude négative envers les démocrates et Clinton. Mais ce n'est pas suffisant pour influencer l'issue de la campagne électorale. De plus, il ne faut pas négliger le poids du ministère de la Justice qui ne permet pas au FBI et à d'autres services de renseignement de franchir la ligne rouge. Un organisme gouvernemental spécial, l'Office of Special Counsel, veille justement à ce que les employés fédéraux n'aient de préférence pour aucun parti politique aux USA.

Par ailleurs, la directrice exécutive de la Société des anciens agents spéciaux du FBI Nancy Savage a déclaré que le Bureau ignorait pour qui votaient ses collaborateurs et qui les employés du service soutenaient. Selon elle, le FBI est au-dessus de toutes les contradictions de partis et enquête sur les crimes indépendamment de toute orientation politique.

En 1939 déjà avait été adoptée la loi Hatch (Hatch Act) interdisant à un fonctionnaire de participer aux campagnes électorales, y compris pour la récolte de dons et la promotion. De plus, ils ne pouvaient pas profiter de leurs fonctions pour agir au profit d'un parti politique. Des changements mineurs ont été apportés à cette loi fédérale en 1993 quand l'administration Clinton et la majorité démocrate du congrès s'étaient mis d'accord pour autoriser les fonctionnaires à participer à la vie politique du pays. Ainsi, les collaborateurs de différents établissements publics ont obtenu la possibilité de porter des insignes de parti et d'avancer leur candidature aux élections régionales et fédérales. Toutefois, les démocrates étaient formellement opposés à annuler ces restrictions vis-à-vis des fonctionnaires travaillant à la CIA, au FBI et au ministère de la Justice.

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Les propos de l'ex-représentante du FBI sont sans équivoque. Par contre, la déclaration du directeur du FBI James Comey pourrait parfaitement être interprétée comme une violation de la loi fédérale qui impose que si un participant à une campagne électorale fait l'objet de suspicions, le bureau fédéral doit en informer le congrès et fournir des preuves afin que ce dernier prenne une décision. En l'occurrence, James Comey n'a pas respecté toutes les procédures en vigueur, ce qui pourrait être considéré comme une violation de la loi Hatch. Pas étonnant, donc, que les leaders du parti démocrate aient remarqué l'aspect politique de sa déclaration.

Cependant, le sérieux conflit entre les démocrates et les services de renseignement a des racines encore plus profondes. Après la Seconde Guerre mondiale les différents présidents américains, les membres du congrès, les militaires du Pentagone et d'autres hauts fonctionnaires cherchaient à réformer le renseignement et il y a eu au moins sept tentatives entre 1947 et 2008: le rapport de la commission Hoover (1948 et 1955), le rapport Dulles et Smith (1953), les propositions du groupe de Kirkpatrick (1960), le rapport de la commission Murphy et Taylor (1975), le rapport de la commission Aspin-Brown (1995), l'allocution spéciale de Scowcroft (2001) et le rapport de la commission 9/11 (2004). Pratiquement tous les présidents démocrates de Kennedy à Obama ont tenté de réformer en profondeur le renseignement en le divisant et en brisant la hiérarchie interne.

Compte tenu de la spécificité de la société américaine, les présidents et d'autres hommes politiques haut placés s'efforçaient de trouver un équilibre entre la transparence et le secret. Le maintien d'un certain niveau de transparence est le meilleur moyen d'assurer le contrôle et la responsabilité démocratique nécessaires pour accroître le degré d'information de la société et du soutien public.

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Mais il faut aussi tenir compte de l'aspect historique. Les dispositions idéologiques du renseignement se sont formées pendant la Guerre froide, quand le secret était le principal et probablement le seul facteur de succès. C'est à la même période que les élites actuelles du renseignement national ont été formées. En règle générale, la direction était toujours entre les mains de conservateurs militaires acharnés qui avaient une attitude méprisante et méfiante envers les politiciens de la Maison blanche. La peur pour leur carrière et l'avenir après la chute de l'URSS a poussé certaines cellules des élites du renseignement militaire à s'unir pour survivre dans une Amérique en plein changement.

L'administration Bill Clinton était d'accord pour admettre des changements et un réarrangement des priorités du renseignement, alors que l'administration républicaine de George W. Bush s'opposait à toute initiative visant à remplacer le renseignement conservateur classique par des administrateurs modernes. Dans l'ensemble, c'est sous la présidence républicaine que le renseignement a obtenu les plus larges capacités fixées dans le Patriot Act. C'est pourquoi les militaires n'étaient pas très enthousiastes quant à l'idée de l'équipe démocrate Obama-Biden-Clinton de retirer les troupes d'Irak et d'Afghanistan, de rendre public le rapport sur les activités du renseignement à l'étranger et de fermer la prison américaine de Guantanamo sur l'île de Cuba.

Le renseignement savait que l'ère Obama ne serait pas facile. Et ses craintes étaient justifiées. Dès les premiers jours de sa présidence, le président démocrate a déclaré que les services de renseignement bénéficiaient de pouvoirs trop démesurés qu'il fallait limiter. Après l'assassinat de l'ambassadeur américain à Benghazi et la formation de Daech (groupe terroriste interdit en Russie), deux groupes politiques se sont formés ayant chacun leur propre vision des actions à engager par les USA.

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Le premier groupe, mené par Hillary Clinton et la plupart des membres du parti démocrate, prônait la formation d'une coalition dont les membres apporteraient à Bagdad un soutien financier et militaro-technique par un soutien aérien direct sans déployer d'opération terrestre. Le second groupe — le lobby militaire et les renseignements que soutenaient la plupart des républicains — appelait Obama à des actions plus fermes. Ignorant l'avis du renseignement, le locataire de la Maison blanche a accepté les propositions du premier groupe.

La stratégie choisie ne s'est pas révélée fructueuse et Obama a dû chercher des voies de secours. De manière préventive, il a rejeté toute la responsabilité sur les renseignements. Dans une interview accordée à CBS News il a ainsi déclaré que la menace de Daech avait été sous-estimée par les renseignements, et a ouvertement accusé la CIA et le FBI d'incompétence en notant que leur échec avait commencé en Libye déjà.

L'ex-directeur de la CIA Leon Panetta avait souligné qu'Obama prenait de manière très superficielle les rapports du renseignement et s'appuyait trop souvent sur une logique de professeur de droit au lieu de suivre des instincts de leader. Un autre représentant de l'élite des renseignements, Robert Gates, a également écrit qu'Obama se méfiait particulièrement des conseils des militaires et du renseignement, préférant se baser sur l'avis du vice-président Joe Biden et de la secrétaire d'État Hillary Clinton. Obama ignorait également l'avis du renseignement concernant la nomination des cadres: il a par exemple placé les responsables civils inexpérimentés Tom Donilon (lors de son premier mandat) et Susan Rice (second mandat) au poste de conseiller à la sécurité nationale.

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La transition du renseignement classique vers le numérique était et demeure l'une des priorités centrales du parti démocrate. Contrairement à Carter et Clinton, Obama n'était pas effrayé par l'influence du lobby du renseignement militaire classique et fut l'unique président américain à n'avoir jamais visité le siège de la NSA.

Quand Edward Snowden a dévoilé les secrets des opérations spéciales américaines, les représentants du renseignement ont reconnu qu'ils se sentaient abandonnés par le gouvernement. Après la révélation des écoutes du téléphone personnel d'Angela Merkel, Obama avait déclaré qu'il ignorait l'existence de telles opérations et en avait entièrement rejeté la responsabilité sur les renseignements.

Les élites conservatrices du renseignement militaire avaient été très irritées par cette attitude. Dans cette optique, la déclaration du FBI sur l'affaire Clinton peut être analysée à travers le prisme de la confrontation interne entre le lobby du renseignement militaire et Obama avec les démocrates. Bien sûr, la vengeance du renseignement a joué un certain rôle dans la chute de la popularité de Clinton mais on ne peut pas la considérer comme l'unique facteur de la défaite des démocrates non seulement à la présidentielle, mais également dans leur lutte pour le congrès.

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