Ces manifestations ont lieu pratiquement toutes les nuits. Parfois, comme ce fut le cas à Strasbourg, les policiers sont rejoints par des pompiers. De manière générale, ces manifestations reçoivent la sympathie de la population.
Des manifestations significatives
Ces manifestations sont significatives non seulement d'un épuisement tant physique que moral des policiers, mais aussi d'une profonde exaspération. Les policiers qui participent à ces manifestations prennent un risque. En effet, les forces de police ont un droit de manifestation qui est très réglementé. En outrepassant ces réglementations, en faisant ces manifestations sauvages, les policiers se mettent en contravention avec leur statut. S'ils le font, c'est essentiellement pour exprimer leur ras-le-bol, mais aussi leurs inquiétudes grandissantes quant à la situation en France. En effet, ces manifestations surviennent après plusieurs embuscades, celle de Grigny/Viry-Châtillon ou celle de Mantes-la-Jolie, dont les policiers ont été victimes, et ou la « volonté de tuer » a été manifeste.
Cette forme de « Nuits debout » de la Police est révélatrice d'une dégradation générale de la situation qui, en réalité, va bien au-delà de la Police. Car, ce que vivent les policiers est désormais vécu, certes à une moindre échelle, par le personnel hospitaliers ou les enseignants. Il a fallu un élément déclencheur à ce mouvement, et l'attentat de Grigny/Viry-Châtillon a donc fournit le détonateur. Mais, ce mouvement pourrait bien, dans les semaines qui viennent, faire tâche d'huile, agrégeant d'autres professions qui ont de bonnes raisons d'être en colère elles aussi. Nous sommes probablement en train d'assister à un basculement de la situation politique.
L'attentat de Grigny/Viry-Châtillon
L'incident de Grigny/Viry-Châtillon appelait une réponse politique forte, à la hauteur de l'agression, qui a fait deux blessés graves et qui aurait très bien pu faire deux morts. Quand on jette des cocktails Molotov dans un véhicule et que l'on empêche les occupants d'en sortir, il y a bien une volonté de tuer délibérée et préméditée. En proposant une réponse purement technique, le Premier ministre, et l'ensemble du gouvernement avec lui, ont démontré qu'ils n'avaient pas pris la mesure de ce qui s'était passé. Ceci, venant avec la déplorable déclaration de Jean-Christophe Cambadélis, a achevé de convaincre les policiers, qui sont plutôt des personnalités individualistes, de se lancer dans un mouvement collectif.
Une violence organisée et le risque de guerre civile
Mais, les policiers, s'ils sont les principales victimes de ce que Malek Boutih appelle « le niveau de violence, le terrorisme, et cette frange de population qui veut tuer un policier » (2), n'en sont pas les seuls. Des incidents similaires, quoi que pour l'instant moins violents, se manifestent autour des fonctionnaires de santé (dans les services d'urgence des hôpitaux), des médecins, mais aussi maintenant des enseignants. Cette violence a des racines diverses, qui vont de la volonté de protéger des trafics et des zones de racket (ce qui est à l ‘évidence le cas pour Grigny) à la volonté d'imposer une loi religieuse dans de nombreuses agressions commises en milieu hospitalier. Mais, ce qui unifie cette violence, c'est le sentiment d'impunité qu'ont, à tort ou à raison, les personnes qui s'y livrent. Cette violence pourrait d'ailleurs, à court terme, provoquer des mouvements similaires à ceux des policiers que ce soit dans la fonction publique hospitalière, chez les fonctionnaires territoriaux, voire chez les enseignants.
C'est cela qui explique cette montée rapide dans le degré de violence, cette escalade, qui doit être stoppée au plus vite, sous faute de voir se produire de véritables drames qui nécessiteront, sous la pression de l'opinion publique, une réaction répressive d'une ampleur telle que, de fait, une partie du pays aura basculé dans la guerre civile.
Territoires perdus et territoires oubliés
Il faut un ensemble de mesures éducatives, visant à rappeler à tous les principes politiques de la République, des mesures économiques (qui, elles, seront étroitement associées aux mesures répressives dans la mesure ou ce qui décourage les acteurs économiques c'est d'abord la délinquance organisée) et des mesures sociales avec la réinstallation des services publics au sein de ces territoires.
L'intégration des différents éléments dans une stratégie de reconquête des territoires, la compréhension que la seule répression est impuissante en l'espèce, devrait faire réfléchir tous les candidats potentiels à l'élection présidentielle de 2017. Car, incontestablement, cette question de la reconquête tant physique que morale des territoires, qu'ils soient « perdus » ou qu'ils soient « oubliés », sera la grande affaire du prochain quinquennat et un des enjeux les plus cruciaux de l'élection présidentielle qui s'annonce.
Mais, pour que cette reconquête puisse être menée à bien, il faudra impérativement que la France recouvre sa souveraineté.
(3) L'expression « Territoires perdus de la République » vient du livre d' E. Brenner (pseudonyme de G. Bensoussan) Les Territoires perdus de la République — antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire publié en 2002 à Paris aux éditions les Mille et Une Nuit.
(4) Guilly C., La France périphérique: comment on a sacrifié les classes populaires, Paris, Flammarion, 2014.
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