Dans un communiqué en date du 16 octobre, Stéphane Le Foll, ministre de l'Agriculture, ainsi que ses homologues allemand (Christian Schmidt) et polonais (Krzysztof Jurgiel), ont enjoint la Commission européenne à redistribuer le surplus de production de viande bovine au bénéfice des pays faisant face à un afflux de Syriens fuyant la guerre, au premier rang desquels la Turquie, le Liban et la Jordanie.
Une situation pour les éleveurs, particulièrement difficile, sur laquelle revient Michel Manoury, éleveur de bovins dans l'Orne et Président de la Coordination Rurale Section Viande à Interbev, l'association nationale interprofessionnelle du bétail et des viandes:
« Cela ne va plus du tout, ça fait 5 ans qu'ils n'ont plus de revenu. On s'y intéresse très peu, même monsieur le Foll dans le plan de mesures qu'il nous a mis en place les mesures sont dérisoires pour la filière viande — dérisoires! — on croirait qu'on n'existe plus ».
En sommes, faire d'une pierre deux coups: outre sa dimension humanitaire, ce « programme en nature à destination des réfugiés » permettrait de s'attaquer en partie à la crise que traverse la filière bovine dans l'Union européenne: moins d'excédents afin de provoquer une remontée des cours.
Mais si la mesure semble partir d'une double bonne volonté, aider les migrants tout en donnant un coup de pouce aux éleveurs, peut-elle résoudre le problème de fond? Ne parlons même pas de la crise en Syrie et de l'afflux de réfugiés à nourrir, crise dans laquelle l'Europe a sa notre part de responsabilité, mais des raisons de la crise bovine, là aussi passée sous silence par les médias, à quelques exceptions — stigmatisantes — près.
Michel Manoury pointe du doigt le régime de sanctions et ses répercussions sur la filière bovine:
« Ça été un des gros problèmes. On a sacrifié notre agriculture à ce moment-là: ça été le porc, nous la viande bovine… Dès que le boycott est arrivé on savait très bien que c'était l'agriculture qui allait en payer le principal tribut. Rien n'a été fait à part des petits trains de mesures… qui ne résolvent pas le problème de la filière, ce dont on a besoin c'est de clients, c'est tout! Déjà au niveau européen, mais aussi au niveau mondial… mais on n'arrive pas à percer! Pourquoi? Peut-être à cause de prises de positions qui ne sont pas toujours les bonnes ».
En effet, si le cours de la viande s'effondre aujourd'hui, ce n'est pas parce que les Français se désintéressent soudainement de la viande, mais parce que les abattoirs tournent à plein régime. Là encore, ce n'est pas parce que l'année a été exceptionnellement productive pour les éleveurs, c'est tout simplement parce que les producteurs laitiers, qui peinent à écouler leur stock de lait, vendent aux abattoirs leurs vaches laitières dans une ultime tentative de contrebalancer une tendance mortifère pour leur filière.
Ce sont en effet un million de vaches laitières de plus qu'en 2015 qui seront abattues en 2016 dans l'ensemble des 28 pays membres de l'UE, afin de réduire drastiquement la production et soutenir ainsi les cours du lait, selon la Fédération Nationale Bovine.
Un afflux de viande bon marché qui vient ainsi accentuer une tendance morose. En août déjà, les éleveurs tiraient le signal d'alarme: sur les 80 000 exploitations spécialisées dans la viande bovine que compte la France, 30 000 seraient au bord de la faillite. Un « état de quasi-faillite » sur lequel insistait Guy Hermouet auprès du Figaro. Un phénomène sur lequel revient à notre micro Michel Manoury:
« En ce moment on est peut-être à plus de 100 000 vaches — en races à viande, je ne parle pas en laitières — qui sont restées en stock dans les cours de fermes, qui ont du mal à partir ou qui vont partir à un prix dérisoire ».
La mesure de le Foll peut certes aider les producteurs de viande. Si écouler 2 à 3 % de la production de viande ferait remonter le court de celle-ci de 5 %, comme l'explique Jean-Christophe Bureau, spécialiste en économie agricole, qu'en est-t-il des producteurs de lait qui sacrifient aujourd'hui — à perte — leur cheptel?
La question qui demeure est aussi de savoir comment cette proposition va être reçue par Bruxelles. Depuis l'entrée en vigueur du traité de Maastricht, il y a presque 23 ans, les autorités européennes de la concurrence ont toujours fait preuve de zèle quant au respect de la libre concurrence et à « l'ouverture totale du marché agricole ». La mesure en question, même « en nature », s'apparente bien à un coup de pouce, avec une répercussion sur les marchés, bref à une infraction au dogme.
Une politique européenne vis-à-vis de laquelle Michel Manoury exprime une certaine amertume, responsable selon lui de la situation des éleveurs français:
« Elle nous a complètement oublié nous autres les producteurs de viande, […] on avait tout un historique d'aides qui soutenaient le prix de la viande qu'a été enlevé et rien n'a été préparé derrière pour nous permettre de faire face. En plus on a pu faire augmenter la viande auprès de la distribution ou des abatteurs puisqu'on est aussi sur un pouvoir d'achat en berne en France ».
Cette idée de mettre en place une aide humanitaire en nature avec leurs surplus de production avait déjà été lancée par les éleveurs début octobre, à l'occasion du Sommet de l'élevage en Auvergne. Une proposition relayée par Interbev, à laquelle Phil Hogan — Commissaire européen à l'agriculture et au développement rural — aurait adressé une fin de non-recevoir selon un professionnel de la filière, relate le Figaro.
Dans un rapport de l'AITEC, Attac France, la Confédération Paysanne, la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme et Les Amis de la Terre, le « CETA », que le gouvernement français souhaite une application « provisoire » dès cet hiver, comme un « coup de massue supplémentaire » pour les éleveurs, via notamment le démantèlement des droits de douane dans les secteurs bovin et porcin et l'augmentation des importations autorisées.
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