D'Arnault Montebourg à Emmanuel Macron, les critiques ont été virulentes. Cette décision n'est pourtant pas réellement étonnante quand on considère l'état — à court terme — du marché de la construction ferroviaire. Elle est la suite logique du dépeçage d'Alstom, consécutif à la vente à General Electrics de l'ensemble de ses activités dans la production d'énergie, et en un sens la conséquence de l'action de l'Etat qui a avalisé cette vente et ce dépeçage. Elle symbolise aussi parfaitement la logique de gestion d'une entreprise ou l'intérêt immédiat de l'actionnaire domine.
Les conséquences
Cette décision apparaît pourtant comme scandaleuse parce qu'elle survient au moment même où Alstom se félicite d'avoir remporté un contrat important (le TGV dit « américain ») et vient de signer avec le gouvernement français un pacte d'innovation pour la production du TGV du futur. C'est ce qui crée le scandale. Alors que les perspectives dans le domaine du transport se développent, on sacrifie la base historique de la production ferroviaire pour Alstom, l'usine de Belfort.
De ce point de vue, si l'on considère l'avenir de l'entreprise à long terme, à 10 ans et plus, il y a un véritable intérêt à maintenir en activité des sites de production même si ils peuvent être, temporairement, en situation de faible charge de travail. La préservation des compétences industrielles implicites est à ce prix. On est en présence de ce que l'on nomme en théorie économique des actifs (matériels et humains) hautement spécifiques, c'est-à-dire qui ne peuvent être employés dans d'autres activités sans des pertes de valeurs très importantes.
Quelle intervention pour l'Etat?
Les fluctuations dans le temps des plans de charge, qui viennent de ce que tant les opérateurs publics que les acteurs privés sont englués dans des logiques de gestion à court terme, posent le problème du maintien des compétences sur les sites de production. L'intervention de l'Etat s'avère alors nécessaire que ce soit en subventions, pour le maintien des sites opérant temporairement en sous-capacité, ou indirectement par des engagements de long terme dans des dépenses d'investissement. Cette importance du rôle, direct et indirect, de la puissance publique et les effets d'externalités qu'induisent ces grandes infrastructures sont des arguments importants, et sans doute décisifs, pour une nationalisation (partielle ou totale) de ces activités.
Si l'Etat ne peut s'abstraire des impératifs de court terme, et il doit conserver une capacité de réaction importante devant les évolutions de la conjoncture, il doit impérativement conserver des moyens importants pour se projeter dans le long terme. Car, ce faisant, il favorise les décisions d'investissement des acteurs privés. Plus et mieux il le fait et plus et mieux il stabilise les anticipations des acteurs privés et peut donc jouer sur la conjonction de ces anticipations avec sa propre stratégie et ainsi créer des « cercles vertueux ». Mais, cela implique qu'une partie importante du budget soit programmée dans le long terme.
Ne nous y trompons pas: cette décision est la conséquence directe et immédiate, de la financiarisation de l'économie et avec elle de cette « tyrannie des actionnaires », en réalité des fonds de pensions, qui cherchent en permanence le rendement le plus élevé possible pour leurs investissements. C'est parce que les rythmes imposés par la financiarisation aux entreprises (et au budget de l'Etat) sont en réalité incompatibles avec les rythmes de la production et du développement des activités, en particulier dans les secteurs où les externalités positives, les effets induits et non directement visibles de ces activités, sont les plus importants. Il faut alors pouvoir penser à 15 ou 25 ans. Et, pour cela, il faut se dégager de l'emprise de la finance et la mettre au service, s'il le faut par la contrainte, de ces priorités de développement. Cette dé-financiarisation passe par la sortie de l'euro car, et on le constate tous les jours, l'euro est un carcan fait pour imposer la domination de la finance sur nos économies.
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