Tandis que l'Onu discute, ce "Schindler kurde", vient au secours des Yézidis

© AFP 2024 SAFIN HAMED Une jeune femme yézidie
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Les Yézidis font partie des principales victimes de Daech, exterminés avec une cruauté particulière. Les femmes sont enlevées, vendues et revendues. Pourtant, les esclaves ont depuis deux ans un ange gardien, Osman Denai. Ayant libéré 243 esclaves, il dévoile aux médias russes les détails de ses opérations et souligne le rôle de le Russie en Syrie.

En 2014, quand la guerre-éclair de Daech n'avait pas encore été stoppée, les terroristes avaient occupé la ville de Sinjar et tué 1 200 yézidis. 6 000 personnes avaient été réduites en esclavage (essentiellement des femmes et des enfants). Deux ans plus tard, ce crime a été reconnu comme génocide par la communauté internationale. Le site d'info Lenta.ru a rencontré un homme qui, pratiquement depuis la proclamation du califat, sauve des yézidis et a accepté d'expliquer comment se déroulaient ses opérations.

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Les proches de tous les yézidis disparus connaissent tous son numéro. Osman Denai, plus connu comme Abou Shoudjaa, libère depuis deux ans par tous les moyens ses coreligionnaires de la servitude. Il parle peu de son passé. Dans sa jeunesse, il faisait passer par la frontière irakienne des chargements de contrebande au risque d'être condamné à la peine de mort. A la naissance de son premier enfant, il l'a appelé Shoujaa à la demande des amis — ce qui se traduit de l'arabe comme "courage". Après cela, selon la tradition orientale, Osman Denai a commencé à être appelé Abou Shoujaa – "père du courage". Aujourd'hui qu'il a sauvé de l'esclavage plus de 400 personnes, Osman Denai peut même être considéré comme le "Schindler yézidi".

Lorsque l'Onu discute, il est déjà là pour les Yézidis

"Nous essayons de le faire depuis presque deux ans. Il est difficile pour l'Onu d'entreprendre des actions concrètes — pour l'instant ce ne sont que des discussions. Il me semble que les islamistes comprennent mieux que les autres ce qu'est un génocide: ils tuent des enfants, des femmes, des hommes, asservissent des jeunes femmes. Et quand quelqu'un dit "génocide" à l'Onu, c'est une coquille vide, des paroles", déplore M. Denai.

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Et d'ajouter, "Daech hait les yézidis. Nos femmes peuvent être revendues plusieurs fois: d'abord d'un commandant à un autre, qui ajoute 50-100 dollars au prix et la revend à un autre".

 

Elles sont vendues comme en bourse

D'après lui, c'est tout un marché d'esclaves. Les terroristes se réunissent dans une grande maison, y amènent des jeunes femmes au visage caché. On ne peut pas les voir ou les photographier, il y a seulement une photo et un numéro. Cela ressemble beaucoup à un camp de concentration où les gens avaient un numéro au lieu d'un nom: 1, 2, 3, 4…

"lles sont vendues comme en bourse: je veux le numéro un, etc. Comme s'il s'agissait d'un objet et non d'un individu. Les prix varient en fonction de l'âge et du physique. Si l'esclave est vierge, son prix est bien plus élevé. Très récemment nous avons libéré une adolescente de 14 ans, que les terroristes violaient depuis plusieurs mois. Les fanatiques pensent qu'en amenant dans leur maison une fille d'infidèles, il faut simplement coucher avec elle pendant quelques mois pour que son sang soit purifié et qu'elle puisse se convertir à leur religion", explique le savuer des Yézidis.

 

Prix de la vie d'un yézidi

"La vie d'un Yézidi ne valait pratiquement rien tant que ce commerce se déroulait uniquement sur le territoire de Daech. Les chefs militaires payaient des sommes dérisoires pour des femmes esclaves", raconte M. Denai.

 

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Mais après l'apparition de Saoudiens  sur ce marché, ce business est devenu "très rentable". "Nous avons appris que très récemment, un millionnaire saoudien avait acheté une yézidie pour 22 000 dollars, il l'a utilisée quelques mois avant de la renvoyer en Irak", confie-t-il.

On ignore exactement combien de Yézidis se trouvent actuellement sur les territoires contrôlés par Daech. De nombreux prisonniers se sont suicidés car ils ne voyaient pas d'autre issue. 

 

Des opérations dans les villes impossibles de pénétrer

Il y a toujours plusieurs groupes qui agissent pour accéder à des villes isolées, explique Osman Denai. Le groupe de reconnaissance recueille toutes les informations sur l'emplacement des prisonniers. Le groupe d'assaut travaille sous couverture sur les territoires de Daech. Un autre groupe fournit tout le nécessaire: les armes, le transport, le carburant, ainsi que la couverture et le retrait du groupe d'assaut avec un prisonnier. Après la localisation, les hommes attendent le bon moment pour lancer l'évacuation vers la frontière turque. 

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"Parfois, après l'opération, ils doivent disparaître des radars pendant un certain temps — pour cela nous avons plusieurs maisons sûres sur le territoire de Daech. Mais dans tous les cas nous agissons individuellement, nous changeons constamment de tactique. Avant une opération nous analysons toujours la situation, nous choisissons le moment le plus favorable et le moyen approprié pour sauver les gens", raconte-t-il.

"Parfois nous trouvons des esclaves par hasard, parfois leur emplacement nous est indiqué par des proches. Il arrive que des prisonniers nous appellent eux-mêmes pour dire exactement où ils sont détenus. Peu importe comment nous obtenons cette information: il est toujours possible de libérer un individu", souligne l'Ange gardien des Yézidis.

 

La récompense

Le "Schindler kurde" avoue ne rien payer à ceux qui travaillent sur le territoire contrôlé par Daech. 

"Tout est basé sur les relations humaines. Je connaissais beaucoup de ces hommes avant l'apparition de Daech. Nous payons pour le transport, les armes, l'essence, nous payons la location d'une maison où il est possible de rester après une opération, mais les participants à l'opération ne reçoivent pas d'argent. Même s'ils prennent beaucoup de risques: en deux ans, nous avons perdu 17 hommes", confie-t-il.

 

Les menaces

"Ils (les combattants de Daech) me connaissent: ils connaissent mon apparence, mon numéro – j'ai reçu des dizaines d'appels et de messages de menaces de mort. Ils ont essayé de me tuer. A Dahuk je suis l'une des principales cibles. Ma famille s'est retrouvée en danger après le documentaire tourné sur moi par les journalistes de la chaîne RT. J'ai envoyé mes proches en Russie, puis en Allemagne.

 

Ne jamais se fier au désespoir

Depuis deux ans, il confie avoir libéré 432 personnes. Pour sauver les Yézidis, "nous avons toujours un plan B au cas où quelque chose tournerait mal. Si les terroristes prenaient connaissance du plan B, alors nous avons un plan C. Mais le problème n'est pas là. Le fait est que la prison et la servitude influent sur la conscience. Les yézidis changent. Leur psyché est brisée et ils ne pensent plus à la libération. C'est déjà arrivé. Par exemple: j'appelle une jeune femme et je lui dis pouvoir la sauver. Elle accepte mais ne peut pas abandonner ses enfants, qui ne veulent aller nulle part". 

Autre exemple: Daech interdit de regarder la télévision. Les prisonniers sont autorisés à lire le Coran, à parler d'islam et à prier, rien d'autre. Pour eux le monde normal cesse d'exister il n'y a plus que la réalité dans laquelle ils sont placés. Les terroristes disent aux prisonniers que la majeure partie du pays, les villes d'Erbil et de Dahuk, sont sous leur contrôle. Une femme qui a été sauvée pensait que Daech avait déjà pris l'Italie et on lui disait que sa famille y déménagerait bientôt. On inculque aux prisonniers qu'on ne peut fuir nulle part, qu'ils doivent oublier toute leur vie passée. 

"Tôt ou tard ils baissent les bras et décident de rester. Encore un problème: la situation économique au Kurdistan. Après leur libération ces personnes ont nulle part où aller, ils n'ont pas de maison, d'argent, de travail, de quelqu'un qui pourrait prendre soin d'eux. Mon frère, le docteur Mirzo, s'occupe de ce problème. En collaboration avec le gouvernement allemand il a élaboré un programme de réhabilitation pour les personnes libérées. 1 162 personnes ont suivi le traitement mais malheureusement, ce programme a été suspendu".

 

 

Combattre jusqu'au bout

"Je me suis promis de ne pas abandonner cette cause jusqu'au retour du dernier prisonnier, je chercherai à les aider jusqu'au bout. Peu importe qui est le prisonnier – un yézidi, un chrétien ou un musulman. Tant qu'un individu est retenu de force par Daech je suis prêt à lui venir en aide. Et je ne m'arrêterai pas. Parfois c'est difficile, je ne vois pas du tout ma famille, mais quand j'arrive à sauver quelqu'un j'ai le sentiment de lui avoir offert une nouvelle vie", avoue Osman Denai.

Et de souligner, "le gouvernement ne nous aide pas, nous ne recevons rien de sa part, ni armes ni argent".

 

Ils restent gravés dans sa mémoire

Il dit se souvenir de "chacun d'entre eux". 

"En mars 2015 les terroristes ont trouvé une femme âgée à qui ils ont pris la fille et le petit-fils pour les asservir. Ils lui ont dit qu'elle devrait payer si elle voulait les revoir. Elle a réuni près de 10 millions de dinars irakiens pour les remettre aux ravisseurs. Ces derniers ont demandé plus. J'ai été présenté comme l'oncle du garçon qui serait prêt à donner 20 000 dollars pour l'enfant. J'ai pu joindre la femme kidnappée quand il n'y avait personne à proximité et j'ai brièvement demandé qu'elle sorte de la maison à exactement 8 heures 30 du matin. Je l'ai informée que notre homme l'approcherait. Et on a dit au terroriste qu'il pourrait obtenir l'argent le lendemain dans un bureau à la frontière". 

"La femme a été évacuée littéralement une heure après son départ de la maison. Quand la mère et l'enfant sont arrivés, j'ai pris en photo le garçon pour envoyer notre selfie au terroriste. Il téléphonait ensuite pour savoir comment nous avions fait. Je lui ai simplement montré le garçon encore une fois: tu vois, il est avec moi maintenant, il ne t'appartient plus", poursuit-il.

"Je voudrais dire que je n'oublierai jamais ce que la Russie a fait pour cette région, pour nous. Vous frappez Daech à l'endroit où ça fait le plus mal, pas comme d'autres pays. Si quelqu'un est voué à mettre un terme à cette organisation, c'est bien la Russie, vous ne combattez pas simplement pour nous ou pour vous, vous vous battez pour toute l'humanité. Je remercie également votre gouvernement de m'avoir aidé à sauver ma famille.", déclare-t-il en guise de conclusion.


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